N° 3
PARAISSANT TOUS LES MOIS
DÉCEMBRE
1901
BULLETIN
DES MUSÉES ROYAUX
DES ARTS DÉCORATIFS ET INDUSTRIELS
(Antiquités, Industries d'Art, Art monumental et décoratif, Armes et Armures, Ethnographie)
A BRUXELLES
ABONNEMENTS :
Pour la Belgique.5 francs. | Pour PÉtranger.é fr. 50.
Le numéro : 50 centimes.
VULGARISATION
NOUS avons insisté précédemment sur l’erreur
que l’on commettrait en confinant l’activité
du musée dans la contemplation de lui-même.
C’est chose fort importante assurément que cette
contemplation, avec ses descriptions, ses analyses
et tous les travaux qu’elle peut engendrer. Mais,
en s’occupant d’étudier ainsi sa propre richesse, un
musée n’accomplit encore que la partie spéciale
de sa tâche, celle qui touche à son individualité, à
l’unité qu’il représente dans l’ensemble des musées
du monde.
Pris isolément, les musées remplissent à peu
près le même office que les mots dans le langage.
Chacun en particulier veut dire quelque chose ;
mais il en faut beaucoup pour faire une langue et
celle-ci ne méritera même de s’appeler ainsi qu’à la
condition de répandre à travers tous ces mots une
ordonnance, une syntaxe, qui les coordonne et les
fasse marcher d’accord.
De même, un musée n’acquiert sa valeur défini-
tive que par son groupement autour des musées
congénères et par son rattachement à l’ordonnance
finale, à la « syntaxe » d’art, vis-à-vis de laquelle
il n’est qu’un mot.
C’est le motif, avons-nous dit déjà, pour lequel
nous devons avoir, à côté de nos collections, une
bibliothèque qui les commente, qui les élargisse,
qui permette de les fondre dans l’ensemble des
sciences ou des arts dont elles relèvent.
Seulement, disons-le de suite, pratiquer une bi-
bliothèque n’est ni dans les goûts, ni dans les
aptitudes de tout le monde. Il faut, pour goûter
la substantielle nourriture des livres, être déjà
sevré et savoir manger seul. La bibliothèque est
une ressource excellente, mais qui présuppose un
certain savoir. Or, les musées ne sont pas fait uni-
quement pour les savants; ils appartiennent davan-
tage encore au grand public,d’autant plus que pour
celui-ci, ils constituent bien souvent l’unique
chance d’apprendre convenablement quelque chose
en ces matières qui dépassent le terre à terre de
la vie.
Il s’agit, dès lors, de trouver une autre forme
pour mettre à la portée de ce public l’enseigne-
ment d’ensemble, « l’aliment complet » auquel il a
droit. Servons-le lui sur une modeste assiette cet
aliment, plutôt qu’à la façon de la cigogne, en un
vase trop profond ; au lieu de lui donner nos
livres, donnons lui nos murailles : ce fut de tout
temps leur rôle d’instruire ceux qui ne savent pas
lire.
S’instruire : le public ne demande pas mieux ;
il se montre même avide d’explications, mais qu’on
ne l’oublie pas, la visite d’un musée ne lui apparaît
pas moins toujours comme un délassement. Il veut
s’instruire, mais à la condition de ne pas se fati-
guer « les mains dans les poches ». Il consent à
se nourrir ; seulement, c’est à la façon de ces en-
fants, déjà grands mais un peu gâtés, qui n ac
ceptent de manger que lorsqu’on leur donne la
becquée.
C’est affaire de grand tact que 1 éducation du pu-
blic. Les données qu’on lui propose doivent êtie
exactes mais simples, aussi complètes que possi
PARAISSANT TOUS LES MOIS
DÉCEMBRE
1901
BULLETIN
DES MUSÉES ROYAUX
DES ARTS DÉCORATIFS ET INDUSTRIELS
(Antiquités, Industries d'Art, Art monumental et décoratif, Armes et Armures, Ethnographie)
A BRUXELLES
ABONNEMENTS :
Pour la Belgique.5 francs. | Pour PÉtranger.é fr. 50.
Le numéro : 50 centimes.
VULGARISATION
NOUS avons insisté précédemment sur l’erreur
que l’on commettrait en confinant l’activité
du musée dans la contemplation de lui-même.
C’est chose fort importante assurément que cette
contemplation, avec ses descriptions, ses analyses
et tous les travaux qu’elle peut engendrer. Mais,
en s’occupant d’étudier ainsi sa propre richesse, un
musée n’accomplit encore que la partie spéciale
de sa tâche, celle qui touche à son individualité, à
l’unité qu’il représente dans l’ensemble des musées
du monde.
Pris isolément, les musées remplissent à peu
près le même office que les mots dans le langage.
Chacun en particulier veut dire quelque chose ;
mais il en faut beaucoup pour faire une langue et
celle-ci ne méritera même de s’appeler ainsi qu’à la
condition de répandre à travers tous ces mots une
ordonnance, une syntaxe, qui les coordonne et les
fasse marcher d’accord.
De même, un musée n’acquiert sa valeur défini-
tive que par son groupement autour des musées
congénères et par son rattachement à l’ordonnance
finale, à la « syntaxe » d’art, vis-à-vis de laquelle
il n’est qu’un mot.
C’est le motif, avons-nous dit déjà, pour lequel
nous devons avoir, à côté de nos collections, une
bibliothèque qui les commente, qui les élargisse,
qui permette de les fondre dans l’ensemble des
sciences ou des arts dont elles relèvent.
Seulement, disons-le de suite, pratiquer une bi-
bliothèque n’est ni dans les goûts, ni dans les
aptitudes de tout le monde. Il faut, pour goûter
la substantielle nourriture des livres, être déjà
sevré et savoir manger seul. La bibliothèque est
une ressource excellente, mais qui présuppose un
certain savoir. Or, les musées ne sont pas fait uni-
quement pour les savants; ils appartiennent davan-
tage encore au grand public,d’autant plus que pour
celui-ci, ils constituent bien souvent l’unique
chance d’apprendre convenablement quelque chose
en ces matières qui dépassent le terre à terre de
la vie.
Il s’agit, dès lors, de trouver une autre forme
pour mettre à la portée de ce public l’enseigne-
ment d’ensemble, « l’aliment complet » auquel il a
droit. Servons-le lui sur une modeste assiette cet
aliment, plutôt qu’à la façon de la cigogne, en un
vase trop profond ; au lieu de lui donner nos
livres, donnons lui nos murailles : ce fut de tout
temps leur rôle d’instruire ceux qui ne savent pas
lire.
S’instruire : le public ne demande pas mieux ;
il se montre même avide d’explications, mais qu’on
ne l’oublie pas, la visite d’un musée ne lui apparaît
pas moins toujours comme un délassement. Il veut
s’instruire, mais à la condition de ne pas se fati-
guer « les mains dans les poches ». Il consent à
se nourrir ; seulement, c’est à la façon de ces en-
fants, déjà grands mais un peu gâtés, qui n ac
ceptent de manger que lorsqu’on leur donne la
becquée.
C’est affaire de grand tact que 1 éducation du pu-
blic. Les données qu’on lui propose doivent êtie
exactes mais simples, aussi complètes que possi


