5°ANNÉE. N°7
PARAISSANT TOUS LES MOIS
AVRIL 1906
BULLETIN
DES MUSÉES ROYAUX
DES ARTS DÉCORATIFS ET INDUSTRIELS
(Antiquités, Industries d'Aft, Art monumental et décoratif, Armes et Armures, Ethnographie)
A BRUXELLES
ABONNEMENTS :
Pour la Belgique.5 francs. I Pour l'Etranger.6 fr. 50.
Le numéro : 50 centimes.
CHRONIQUE.
ES vieux s'en vont ! En vain, ie temps tra-
vaille chaque jour àenfabriquerde nouveaux;
ce ne sont plus les anciens, les vrais, ceux qui,
plongeant dans le passé par toutes leurs racines, en
ramenaient les sucs à la surface et le faisaient fleu-
rir dans leurs usages, leurs demeures, leurs vête-
ments, leur atours. L'hiver se fait maintenant sur
tout cela et les fleurs tombent une à une, jon-
chant le sol : hiver mondain, brillant, toujours en
fête, mais dont les chaleurs factices remplacent mal
le bon soleil de la nature et dont les artificielles
floraisons demeurent, au fond, sans fraîcheur, ni
parfum !
N'allons pas toutefois tourner à l'élégie. Soyons
pratiques et ne songeons pas surtout à remonter
des courants trop rudes pour nos bras.
Il est triste, sans doute, de voir nos grandes villes
prendre, pour la plupart, cet uniforme interna-
tional, dont l'élégance ne rachète pas toujours la
raideur de coupe et qui fait que, dans certaines
rues, les mêmes partout, n'étaient les enseignes,
on pourrait se croire à Berlin, tout aussi bien qu'à
Paris ou à Rome.
Seulement il est juste de mettre, en regard de
cet envahissement de la banalité, les nécessités de
la vie moderne, que les formules nouvelles servent,
sans contredit, beaucoup mieux que toutes autres :
les communications rapides, par exemple, avec leurs
tramways et leurs autos, ou bien encore les canali-
sations de toutes sortes, que rendent seuls possibles
les alignements droits de nos grandes artères et les
renversements de quartiers qu'ils nécessitent... Et
puis l'hygiène, qui ne fut souvent, à vrai dire, qu'un
masque de spéculateurs et de vandales, mais qui
souvent aussi, reconnaissons-le, a réellement le
droit de parler plus haut que l'amour du pittores-
que ou de l'antiquaille.
Le cœur se serre un peu quand on découvre à
Naples le vaste champ de bricaillons, où grouillait,
il y a peu d'années, la célèbre Santa-Lucia, bercée
de loques flottantes et de guitares emplissant l'air.
Mais le quartier était hanté et, pour en déloger le
spectre tenace, l'horrible choléra, il fallut bien tout
démolir.
De même un peu partout, et sans chercher plus
loin que le vieux Bruxelles^ il est certain, par
exemple, que le fait, pour nos concitoyens, de
n'avoir plus à traverser la scène de misère qu'ac-
centuait de son contraste la poésie de Notre-Dame-
aux-Neiges, doit, dans une certaine mesure, les
consoler de la rue de l'Enseignement et de ce qui
est au bout.
Ne pleurons donc vraiment qu'à bon escient et
puisqu'une partie des vieilles bâtisses doit s'en
aller, sachons apprécier du moins celles qui ont la
permission de rester et appliquons-nous à les con-
server de notre mieux.
Notre philosophie sera plus dure à se faire en ce
qui concerne les usages et les pratiques du bon
vieux temps. L'unification y sévit tout comme
dans les briques, mais, hélas ! sans les mêmes
excuses.
Nos villages ne sont plus guère que les faubourgs
des villes voisines, autour desquelles ils rêvent de
bourdonner, comme autour de la ruche, à laquelle
se ramène toute leur activité. C'est à la ville qu'on
PARAISSANT TOUS LES MOIS
AVRIL 1906
BULLETIN
DES MUSÉES ROYAUX
DES ARTS DÉCORATIFS ET INDUSTRIELS
(Antiquités, Industries d'Aft, Art monumental et décoratif, Armes et Armures, Ethnographie)
A BRUXELLES
ABONNEMENTS :
Pour la Belgique.5 francs. I Pour l'Etranger.6 fr. 50.
Le numéro : 50 centimes.
CHRONIQUE.
ES vieux s'en vont ! En vain, ie temps tra-
vaille chaque jour àenfabriquerde nouveaux;
ce ne sont plus les anciens, les vrais, ceux qui,
plongeant dans le passé par toutes leurs racines, en
ramenaient les sucs à la surface et le faisaient fleu-
rir dans leurs usages, leurs demeures, leurs vête-
ments, leur atours. L'hiver se fait maintenant sur
tout cela et les fleurs tombent une à une, jon-
chant le sol : hiver mondain, brillant, toujours en
fête, mais dont les chaleurs factices remplacent mal
le bon soleil de la nature et dont les artificielles
floraisons demeurent, au fond, sans fraîcheur, ni
parfum !
N'allons pas toutefois tourner à l'élégie. Soyons
pratiques et ne songeons pas surtout à remonter
des courants trop rudes pour nos bras.
Il est triste, sans doute, de voir nos grandes villes
prendre, pour la plupart, cet uniforme interna-
tional, dont l'élégance ne rachète pas toujours la
raideur de coupe et qui fait que, dans certaines
rues, les mêmes partout, n'étaient les enseignes,
on pourrait se croire à Berlin, tout aussi bien qu'à
Paris ou à Rome.
Seulement il est juste de mettre, en regard de
cet envahissement de la banalité, les nécessités de
la vie moderne, que les formules nouvelles servent,
sans contredit, beaucoup mieux que toutes autres :
les communications rapides, par exemple, avec leurs
tramways et leurs autos, ou bien encore les canali-
sations de toutes sortes, que rendent seuls possibles
les alignements droits de nos grandes artères et les
renversements de quartiers qu'ils nécessitent... Et
puis l'hygiène, qui ne fut souvent, à vrai dire, qu'un
masque de spéculateurs et de vandales, mais qui
souvent aussi, reconnaissons-le, a réellement le
droit de parler plus haut que l'amour du pittores-
que ou de l'antiquaille.
Le cœur se serre un peu quand on découvre à
Naples le vaste champ de bricaillons, où grouillait,
il y a peu d'années, la célèbre Santa-Lucia, bercée
de loques flottantes et de guitares emplissant l'air.
Mais le quartier était hanté et, pour en déloger le
spectre tenace, l'horrible choléra, il fallut bien tout
démolir.
De même un peu partout, et sans chercher plus
loin que le vieux Bruxelles^ il est certain, par
exemple, que le fait, pour nos concitoyens, de
n'avoir plus à traverser la scène de misère qu'ac-
centuait de son contraste la poésie de Notre-Dame-
aux-Neiges, doit, dans une certaine mesure, les
consoler de la rue de l'Enseignement et de ce qui
est au bout.
Ne pleurons donc vraiment qu'à bon escient et
puisqu'une partie des vieilles bâtisses doit s'en
aller, sachons apprécier du moins celles qui ont la
permission de rester et appliquons-nous à les con-
server de notre mieux.
Notre philosophie sera plus dure à se faire en ce
qui concerne les usages et les pratiques du bon
vieux temps. L'unification y sévit tout comme
dans les briques, mais, hélas ! sans les mêmes
excuses.
Nos villages ne sont plus guère que les faubourgs
des villes voisines, autour desquelles ils rêvent de
bourdonner, comme autour de la ruche, à laquelle
se ramène toute leur activité. C'est à la ville qu'on


