LA CHRONIQUE DES ARTS
qu'une technique trop concertée n'affaiblit pas-. On
n'en dirai! pas autant de M1110 Elodie La Villette
dans son Chemin du Ras-Toil-Blanc, une marine
de lumière bleue, intense et colorée, que la main-
d'œuvre, plus encore que l'émotion, rend at-
tirante. De lui-même, M. BarUlot n'est pas un
rustique dans la forte acception du terme. C'est
moins l'âpre glèbe du paysan qu'il peint qu'un
côté de nature aimable, animé par la tacbe ve-
loutée des bestiaux ; mais il la peint avec un
sentiment qui, pour n'être ni très élevé ni très
vigoureux, n'en est pas moins à lui. Ses Bords
de rivière et sa Matinée d'été en Normandie tien-
nent une place fort honorable au Salon de Gand.
Citons encore, de M. Bergeret, un savoureux
plat de sa façon, Crus et cuits, un amoncellement
de salicoques et de crustacés piqués de chatoie-
ments lumineux sur un fond opaque et noir —
malheureusement — mais enlevés à la force du
pinceau avec une bravoure toute française. —Une
ordonnance d'accessoires et de fleurs, de Mme Ayr-
ton. Des paysages de MM. de La Rochenoire et
Comtat. — Une Pêcheuse de moules de M. Henri-
Eug. Delacroix. — Et terminons cette rapide
revue des peintres par un des clous du Salon,
une honnête et moyenne scène de la vie des
pêcheurs, les Loups de mer, de Mme Demont-
Breton. Je soupçonne l'excellente artiste d'a-
voir visé au pathétique : les bonnes gens
des côtes sont plus simples dans leur mimique
et leurs airs de tête ; même devant le péril,
ils n'ont pas des roulements d'yeux qui, au théâ-
tre, soulignent le frisson tragique. Les silhouettes,
du reste, ne manquent pas d'énergie, ni la pein-
ture d'éclat.
Quand j'aurai mentionné le beau dessin de
M. Lhermitte (les Lavandières), le pastel de M. Car-
rier-Belleuse {Etude de dos), le Bouffon italien de
M. François Flarneng, le Buste de Servais, en mar-
bre, di M, Godebsky, j'aurai établi la part de la
France en ce Salon gantois qui, nombre de fois, a
mené les artistes aux durables honneurs des mu-
sées. L.
Les Triomphes de Pétrarque
peint par Boniîazio
Un érudit Allemand, M. le Dr Frimmel, dans
une intéressante brochure publiée en 1884 sous
le titre : Eine Verwechslung von Bonifazio Vene-
ziano mit Tizian (1) — Une Confusion entre Bo-
nifazio Veneziano et le Titien — établit avec raison,
à mon sens, que les représentations des Triom-
phes de Pétrarque, attribuées communément au
Titien,sont dues à Bonifazio Veneziano. Les six ta-
bleaux composant la série, œuvre de ce dernier
peintre, ont passé en Angleterre assurément
avant 1648, puisque Ridolfi le dit dans ses Ma-
raveglie delV Arte, publiées à Venise à cette date.
Ou ne sait ce qu'ils sont devenus jusqu'au xvme
siècle. En 1719, les deux premières peintures de
la série sont mentionnées dans l'inventaire de
la collection artistique du château d'Ambras;
actuellement elles se trouvent au Belvédère de
(1) Extrait du Repertorium fier Kunstwissenscfiaft,
>1. VII, le livraison; W. Spemann, éditeur, Stuttgard.
Vienne (1). Quant aux quatre autres, elles furent,
dans les années 1748-1750, la propriété d'un cep-
tain GiovanniMichillo, à Rome, où Le graveur Po-
marede fi t des estampes d'après ces compositions.
Les gravures ont été conservées, mais les quatre
originaux ont été perdus de vue.
Quant à la confusion établie entre Bonifazio Ve-
neziano et le Titien à propos de ces peintures, c'est
à Borne qu'elle s'est produite, vers 1748, par suite
de certaines ressemblances de la gravure du
Triomphe de la Divinité (Bonifazio) avec le Triom-
phe du Christ (Titien), déjà gravé par Andreani ;
ressemblances qui ont fait croire que l'original de
cette gravure, et par conséquent toute la série,
était attribuable au Titien.
Les deux peintures que possède le Belvédère de
Vienne sont le Triomphe de l'Amour et le Triomphe
de la Chasteté. Que sont devenues les quatre
autres? Ridolfi, dans les Maraveglie delV Arte,
page 273,dit que « ces six Triomphes, peints sur de
longues toiles, furent transportés en Angle-
terre... » De même, Bernasconi, dans ses Studi so-
pra la storia délia pittura italvma dei secoli xiv
et xv, page 288 : « On doit indiquer les Triomphes
de Pétrarque qui passèrent en Angleterre et qui,
vers le milieu du xvme siècle, furent gravés à Borne
et attribués au Titien. » Enfin, M. Charles Blanc, à
l'article Bonifazio, mentionne également ces six
tableaux, ajoutant qu'ils se trouvent en Angleterre.
La question est de savoir en quelles mains ils se
trouvent. A défaut d'une réponse catégorique,
j'apporte du moins, sur.ee point, des renseigne-
ments intéressants pour les amateurs.
Un riche collectionneur de tab.eaux et d'anti-
quités de Richmond, M. Francis Cook, possède,
dans ses galeries, trois frises portant cette inscrip-
tion : « Frises représentant les Triomphes de la
Foi, de In Religion et de la Chasteté, d'après le
poème de Pétrarque, par Bonifazio. Autrefois en
possession de Charles P*. » Ne serions-nous pas
en présence de trois des représentations dont on
a perdu la trace? On peut être tenté de le croire
au premier abord; cependant un doute s'élève
aussitôt, car M. le D* Frimmel signale, au Belvé-
dère de Vienne, un Triomphe de la Chasteté appar-
tenant à cette même série, ce qui donnerait à
supposer que le peintre a traité eu double ce
sujet. D'autre part, dans les Triomphes que décrit
le savant Allemand, les noms des personnages
sont inscrits au-dessus d'eux, comme dans les
gravures de Pomarede, tandis que les frises de la
collection Cook ne portent aucune inscription.
J'ai consulté le catalogue des tableaux ayant appar-
tenu à Charles I", avec l'espérance d'y rencontrer,
soit des descriptions, soit des indications; mes
recherches ont été vaines.
Ce qui me porterait à croire assez volontiers
que ces tableaux sont bien ceux de Bonifazio, dont
on a perdu la trace, c'est l'indication de Ridolfi :
« de longs morceaux ». Ces frises, en effet, sont
longues de plusieurs mètres et hautes d'un peu
plus d'un mètre; elles sont bien vénitiennes, et
du xvie siècle ; la composition, la richesse du co-
loris, le style, sont bien de l'époque de Bonifazio.
Comment donc expliquer qu'elles n'aient aucun
rapport de composition avec les gravures de^ Po-
marede, et, surtout, que le Triomphe de la Chas-
(1) N«* 72 et 73 du catalogue ds la galerie d'à Belvé-
dère, par M. de Engerth, Vienne 188?.
qu'une technique trop concertée n'affaiblit pas-. On
n'en dirai! pas autant de M1110 Elodie La Villette
dans son Chemin du Ras-Toil-Blanc, une marine
de lumière bleue, intense et colorée, que la main-
d'œuvre, plus encore que l'émotion, rend at-
tirante. De lui-même, M. BarUlot n'est pas un
rustique dans la forte acception du terme. C'est
moins l'âpre glèbe du paysan qu'il peint qu'un
côté de nature aimable, animé par la tacbe ve-
loutée des bestiaux ; mais il la peint avec un
sentiment qui, pour n'être ni très élevé ni très
vigoureux, n'en est pas moins à lui. Ses Bords
de rivière et sa Matinée d'été en Normandie tien-
nent une place fort honorable au Salon de Gand.
Citons encore, de M. Bergeret, un savoureux
plat de sa façon, Crus et cuits, un amoncellement
de salicoques et de crustacés piqués de chatoie-
ments lumineux sur un fond opaque et noir —
malheureusement — mais enlevés à la force du
pinceau avec une bravoure toute française. —Une
ordonnance d'accessoires et de fleurs, de Mme Ayr-
ton. Des paysages de MM. de La Rochenoire et
Comtat. — Une Pêcheuse de moules de M. Henri-
Eug. Delacroix. — Et terminons cette rapide
revue des peintres par un des clous du Salon,
une honnête et moyenne scène de la vie des
pêcheurs, les Loups de mer, de Mme Demont-
Breton. Je soupçonne l'excellente artiste d'a-
voir visé au pathétique : les bonnes gens
des côtes sont plus simples dans leur mimique
et leurs airs de tête ; même devant le péril,
ils n'ont pas des roulements d'yeux qui, au théâ-
tre, soulignent le frisson tragique. Les silhouettes,
du reste, ne manquent pas d'énergie, ni la pein-
ture d'éclat.
Quand j'aurai mentionné le beau dessin de
M. Lhermitte (les Lavandières), le pastel de M. Car-
rier-Belleuse {Etude de dos), le Bouffon italien de
M. François Flarneng, le Buste de Servais, en mar-
bre, di M, Godebsky, j'aurai établi la part de la
France en ce Salon gantois qui, nombre de fois, a
mené les artistes aux durables honneurs des mu-
sées. L.
Les Triomphes de Pétrarque
peint par Boniîazio
Un érudit Allemand, M. le Dr Frimmel, dans
une intéressante brochure publiée en 1884 sous
le titre : Eine Verwechslung von Bonifazio Vene-
ziano mit Tizian (1) — Une Confusion entre Bo-
nifazio Veneziano et le Titien — établit avec raison,
à mon sens, que les représentations des Triom-
phes de Pétrarque, attribuées communément au
Titien,sont dues à Bonifazio Veneziano. Les six ta-
bleaux composant la série, œuvre de ce dernier
peintre, ont passé en Angleterre assurément
avant 1648, puisque Ridolfi le dit dans ses Ma-
raveglie delV Arte, publiées à Venise à cette date.
Ou ne sait ce qu'ils sont devenus jusqu'au xvme
siècle. En 1719, les deux premières peintures de
la série sont mentionnées dans l'inventaire de
la collection artistique du château d'Ambras;
actuellement elles se trouvent au Belvédère de
(1) Extrait du Repertorium fier Kunstwissenscfiaft,
>1. VII, le livraison; W. Spemann, éditeur, Stuttgard.
Vienne (1). Quant aux quatre autres, elles furent,
dans les années 1748-1750, la propriété d'un cep-
tain GiovanniMichillo, à Rome, où Le graveur Po-
marede fi t des estampes d'après ces compositions.
Les gravures ont été conservées, mais les quatre
originaux ont été perdus de vue.
Quant à la confusion établie entre Bonifazio Ve-
neziano et le Titien à propos de ces peintures, c'est
à Borne qu'elle s'est produite, vers 1748, par suite
de certaines ressemblances de la gravure du
Triomphe de la Divinité (Bonifazio) avec le Triom-
phe du Christ (Titien), déjà gravé par Andreani ;
ressemblances qui ont fait croire que l'original de
cette gravure, et par conséquent toute la série,
était attribuable au Titien.
Les deux peintures que possède le Belvédère de
Vienne sont le Triomphe de l'Amour et le Triomphe
de la Chasteté. Que sont devenues les quatre
autres? Ridolfi, dans les Maraveglie delV Arte,
page 273,dit que « ces six Triomphes, peints sur de
longues toiles, furent transportés en Angle-
terre... » De même, Bernasconi, dans ses Studi so-
pra la storia délia pittura italvma dei secoli xiv
et xv, page 288 : « On doit indiquer les Triomphes
de Pétrarque qui passèrent en Angleterre et qui,
vers le milieu du xvme siècle, furent gravés à Borne
et attribués au Titien. » Enfin, M. Charles Blanc, à
l'article Bonifazio, mentionne également ces six
tableaux, ajoutant qu'ils se trouvent en Angleterre.
La question est de savoir en quelles mains ils se
trouvent. A défaut d'une réponse catégorique,
j'apporte du moins, sur.ee point, des renseigne-
ments intéressants pour les amateurs.
Un riche collectionneur de tab.eaux et d'anti-
quités de Richmond, M. Francis Cook, possède,
dans ses galeries, trois frises portant cette inscrip-
tion : « Frises représentant les Triomphes de la
Foi, de In Religion et de la Chasteté, d'après le
poème de Pétrarque, par Bonifazio. Autrefois en
possession de Charles P*. » Ne serions-nous pas
en présence de trois des représentations dont on
a perdu la trace? On peut être tenté de le croire
au premier abord; cependant un doute s'élève
aussitôt, car M. le D* Frimmel signale, au Belvé-
dère de Vienne, un Triomphe de la Chasteté appar-
tenant à cette même série, ce qui donnerait à
supposer que le peintre a traité eu double ce
sujet. D'autre part, dans les Triomphes que décrit
le savant Allemand, les noms des personnages
sont inscrits au-dessus d'eux, comme dans les
gravures de Pomarede, tandis que les frises de la
collection Cook ne portent aucune inscription.
J'ai consulté le catalogue des tableaux ayant appar-
tenu à Charles I", avec l'espérance d'y rencontrer,
soit des descriptions, soit des indications; mes
recherches ont été vaines.
Ce qui me porterait à croire assez volontiers
que ces tableaux sont bien ceux de Bonifazio, dont
on a perdu la trace, c'est l'indication de Ridolfi :
« de longs morceaux ». Ces frises, en effet, sont
longues de plusieurs mètres et hautes d'un peu
plus d'un mètre; elles sont bien vénitiennes, et
du xvie siècle ; la composition, la richesse du co-
loris, le style, sont bien de l'époque de Bonifazio.
Comment donc expliquer qu'elles n'aient aucun
rapport de composition avec les gravures de^ Po-
marede, et, surtout, que le Triomphe de la Chas-
(1) N«* 72 et 73 du catalogue ds la galerie d'à Belvé-
dère, par M. de Engerth, Vienne 188?.