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SECONDE DISSERTATION
SUR LA
G U
E/ E/#
Oute la justice qu'on rend en ce
Pais consiste en quelques amendes
pécuniaires, auxquelles on condam-
Ine les Criminels. On n'exécute
; presque personne à mort, sinon pour
; trois choies, lavoir pour la fuite des
Esclaves, pour trahison, & pour sortilége. Les
autres crimes demeurent impunis, sur tout le lar-
cin , qui bien loin de palier pour un crime parmi
les Nègre.;, est une qualité louable. Ils le récom-
pensent même au lieu de le punir. Le parjure
îbufï're une amende aussi bien que Je menteur.
Lorsijue quelcun en tue u autre , si les parens du
mort peuvent le joindre sur le champ , il leur est
permis de le tuer par represailles ; mais s'ils don-
nent au meurtrier le tems de faire une Palabre ou
Requête au Roi, ils n'y sont plus reçus. Le meur-
trier est seulement condamné à payer dix bendes,
c'est-à~dïre mille francs aplicables moitié au Roi,
& moitié aux Parens, ou à devenir esclave. Si le
meurtrier est déjà esclave & qu'il n'ait pas de l'or
pour payer, il eit vendu aux Blancs à bord de quel-
que VaisTeau. Pour se faire payer d'une dette, on
s'adresse au Roi-, qui sur l'expolé du Créancier en-
voyé un de ses Esclaves avec son bâton reconnu de
tous ses sujets : ce qui le fait regarder avec respect
comraeon feroit en France un Exemt. Il ajourne
le Débiteur à comparoitre au jour nommé , ou à
le suivre sur le champ , si l'affaire presse , à quoi il
n'oseroit manquer. Ils n'ont point l'uiage de l'é-
criture parmi eux , & donnent toutes leurs assïgna-
tions de bouche. Quand les Parties comparoillént
devant le Roi, il faut que le Demandeur , avant
que de commencer le Palabre, pése pour l'eau de
vie de ce Prince huit écus de poudre d'or, & de
plus un tiers de la somme qu'il demande , & sou-
vent la moitié : ensuite on commence à raisonner
& à faire affirmer au Demandeur que la Partie qui
elt là presente lui doit la somme qu'il demande. Le
Défendeur est ouï ensuite en ses raisons, & tâche
de se justifier. Si ses moyens ne sont pas valables,
il est condamné à payer incesiàmrnent la dette dans
un terme allez court, qu'on lui alliage, & alors le
Roi lui commande de jurer sur sa tête qu'il payera
en ce tems-là. S'il y manque d'un jour seulement,
le Roi le . condamne à lui payer une amende pour
avoir juré à faux sur sa tête, & ce sont là les plus
grands revenus du Roi.
Lorsque quelcun est convaincu de sortilége, on
1 envoyé noyer sur le champ, par les premiers qui
se presentent devant le Roi. A l'égard des trai-
Tom. VI.
très, qui vont révéler aux Etrangers les secrets des
Palabres du Roi & de l'Etat, il n'y a point de quar-
tier à esperer pour eux. On leur coupe la tête sans
beaucoup de cérémonie, & souvent avant que le
Roi l'ait ordonné. Les Esclaves ou Prisonniers de
guerre, qui font des tentatives pour s'enfuir , sont
austi mis à mort impitoyablement. Voici de quel-
le manière l'Arrêt s'exécute. On prend le Criminel
à qui on attache les mains derrière le dos,& on lui
met dans la bouche un bâillon attaché par les deux
bouts à une petite corde qu'on noue fortement der-
rière la tête avec un petit bâton en forme de tour-
niquet. Alors ùn des Esclaves du Roi, à qui l'on
pése avant toutes cheses huit écus de poudre d'or,
prenant la fétiche Royale sur sa tête, se met à cou-
rir comme un fou par le village, & par les bois voi-
sins, laissant pencher la fétiche tantôt d'un côté
tantôt de l'autre, comme si elle vouloit tomber.
Ensuite venant où est le Criminel, qui est, comme
par tout Païs, environné d'une grande multitude de
Peuple, il demande à la fétiche qui est celui qui
tuera l'Esclave. Alors il se met à courir comme
auparavant, & comme s'il cherchoit quelcun , it
touche de son coude le premier jeune homme qu'il
rencontre , & qui par là est obligé de tuer cet Es-
clave. Il demande une autre fois à la fétiche si ce-
lui-là seul suffira pour tuer l'Esclave, & se mettant
encore à courir comme auparavant, il en touche
quelquefois un autre, & quelquefois il n'en touche
pas. ^ En sorte qu'il s'en est quelquefois trouvé jus-
que à dix nommez par la fétiche, & quelquefois
deux ou trois ou deux seulement. Ces choies ainsi
disposécs, on fait aprocher ce pauvre Esclave près
de la fétiche à laquelle on l'a destiné , on lui fait
avancer la tête, en sorte que sa gorgesoitimmédia-
tement dessus , & alors celui qui a été le premier
nommé pour l'exécution , tire un poignard , & lui
coupe la gorge , pendant que les autres le tiennent
fortement. Tandis que le lang coule à grands ruis-
seaux sur cette fétiche, l'Exécuteur s'écrie à haute
voix, Reçoi, ô fétiche, le sang de cet Esclave que
nous t'offrons ; & lorsqu'il est mort, ils le coupent
en morceaux, & le mettent dans un trou qu'ils font
au pié de la fétiche.
Pour ce qui est de la Religion de ces Peuples■>
c'a été jusques ici l'écueil des Historiens qui n'ont
jamais bien compris quel étoit le culte religieux
observé dans ce Païs. En effet la croiance des Ha-
bi tans de ces Côtes est si embrouillée, qu'il est dif-
ficile d'en connoitre rien de certain. Cependant
un Voyageur qui s'est apliqué sur tout à cette re-
O cher-
SECONDE DISSERTATION
SUR LA
G U
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Oute la justice qu'on rend en ce
Pais consiste en quelques amendes
pécuniaires, auxquelles on condam-
Ine les Criminels. On n'exécute
; presque personne à mort, sinon pour
; trois choies, lavoir pour la fuite des
Esclaves, pour trahison, & pour sortilége. Les
autres crimes demeurent impunis, sur tout le lar-
cin , qui bien loin de palier pour un crime parmi
les Nègre.;, est une qualité louable. Ils le récom-
pensent même au lieu de le punir. Le parjure
îbufï're une amende aussi bien que Je menteur.
Lorsijue quelcun en tue u autre , si les parens du
mort peuvent le joindre sur le champ , il leur est
permis de le tuer par represailles ; mais s'ils don-
nent au meurtrier le tems de faire une Palabre ou
Requête au Roi, ils n'y sont plus reçus. Le meur-
trier est seulement condamné à payer dix bendes,
c'est-à~dïre mille francs aplicables moitié au Roi,
& moitié aux Parens, ou à devenir esclave. Si le
meurtrier est déjà esclave & qu'il n'ait pas de l'or
pour payer, il eit vendu aux Blancs à bord de quel-
que VaisTeau. Pour se faire payer d'une dette, on
s'adresse au Roi-, qui sur l'expolé du Créancier en-
voyé un de ses Esclaves avec son bâton reconnu de
tous ses sujets : ce qui le fait regarder avec respect
comraeon feroit en France un Exemt. Il ajourne
le Débiteur à comparoitre au jour nommé , ou à
le suivre sur le champ , si l'affaire presse , à quoi il
n'oseroit manquer. Ils n'ont point l'uiage de l'é-
criture parmi eux , & donnent toutes leurs assïgna-
tions de bouche. Quand les Parties comparoillént
devant le Roi, il faut que le Demandeur , avant
que de commencer le Palabre, pése pour l'eau de
vie de ce Prince huit écus de poudre d'or, & de
plus un tiers de la somme qu'il demande , & sou-
vent la moitié : ensuite on commence à raisonner
& à faire affirmer au Demandeur que la Partie qui
elt là presente lui doit la somme qu'il demande. Le
Défendeur est ouï ensuite en ses raisons, & tâche
de se justifier. Si ses moyens ne sont pas valables,
il est condamné à payer incesiàmrnent la dette dans
un terme allez court, qu'on lui alliage, & alors le
Roi lui commande de jurer sur sa tête qu'il payera
en ce tems-là. S'il y manque d'un jour seulement,
le Roi le . condamne à lui payer une amende pour
avoir juré à faux sur sa tête, & ce sont là les plus
grands revenus du Roi.
Lorsque quelcun est convaincu de sortilége, on
1 envoyé noyer sur le champ, par les premiers qui
se presentent devant le Roi. A l'égard des trai-
Tom. VI.
très, qui vont révéler aux Etrangers les secrets des
Palabres du Roi & de l'Etat, il n'y a point de quar-
tier à esperer pour eux. On leur coupe la tête sans
beaucoup de cérémonie, & souvent avant que le
Roi l'ait ordonné. Les Esclaves ou Prisonniers de
guerre, qui font des tentatives pour s'enfuir , sont
austi mis à mort impitoyablement. Voici de quel-
le manière l'Arrêt s'exécute. On prend le Criminel
à qui on attache les mains derrière le dos,& on lui
met dans la bouche un bâillon attaché par les deux
bouts à une petite corde qu'on noue fortement der-
rière la tête avec un petit bâton en forme de tour-
niquet. Alors ùn des Esclaves du Roi, à qui l'on
pése avant toutes cheses huit écus de poudre d'or,
prenant la fétiche Royale sur sa tête, se met à cou-
rir comme un fou par le village, & par les bois voi-
sins, laissant pencher la fétiche tantôt d'un côté
tantôt de l'autre, comme si elle vouloit tomber.
Ensuite venant où est le Criminel, qui est, comme
par tout Païs, environné d'une grande multitude de
Peuple, il demande à la fétiche qui est celui qui
tuera l'Esclave. Alors il se met à courir comme
auparavant, & comme s'il cherchoit quelcun , it
touche de son coude le premier jeune homme qu'il
rencontre , & qui par là est obligé de tuer cet Es-
clave. Il demande une autre fois à la fétiche si ce-
lui-là seul suffira pour tuer l'Esclave, & se mettant
encore à courir comme auparavant, il en touche
quelquefois un autre, & quelquefois il n'en touche
pas. ^ En sorte qu'il s'en est quelquefois trouvé jus-
que à dix nommez par la fétiche, & quelquefois
deux ou trois ou deux seulement. Ces choies ainsi
disposécs, on fait aprocher ce pauvre Esclave près
de la fétiche à laquelle on l'a destiné , on lui fait
avancer la tête, en sorte que sa gorgesoitimmédia-
tement dessus , & alors celui qui a été le premier
nommé pour l'exécution , tire un poignard , & lui
coupe la gorge , pendant que les autres le tiennent
fortement. Tandis que le lang coule à grands ruis-
seaux sur cette fétiche, l'Exécuteur s'écrie à haute
voix, Reçoi, ô fétiche, le sang de cet Esclave que
nous t'offrons ; & lorsqu'il est mort, ils le coupent
en morceaux, & le mettent dans un trou qu'ils font
au pié de la fétiche.
Pour ce qui est de la Religion de ces Peuples■>
c'a été jusques ici l'écueil des Historiens qui n'ont
jamais bien compris quel étoit le culte religieux
observé dans ce Païs. En effet la croiance des Ha-
bi tans de ces Côtes est si embrouillée, qu'il est dif-
ficile d'en connoitre rien de certain. Cependant
un Voyageur qui s'est apliqué sur tout à cette re-
O cher-