SALON DE 1884
58
donne aux ombres des limpidités bleues dans lesquelles les objets
se détachent avec des formes vagues et flottantes, on devine
l'apparition prochaine des premières lueurs de l'aube. Devant
cette toile aux attirantes profondeurs, remplies par la poésie
éternelle et intime qui se dégage de la vue de la campagne et
des hameaux paisiblement endormis sous le calme du ciel étoilé,
on subit le charme de la nuit et Ton baisse involontairement la
voix de peur de troubler les rêveries passionnées de la mélan-
colique promeneuse.
Nous constatons chaque jour avec une inquiétude toujours
croissante que l'œuvre de Flaubert tend à devenir le foyer inspi-
rateur des peintres qui, par l’intensité de leur sentiment littéraire
et la vigueur de leur facture, semblaient destinés à exprimer avec
succès les grands faits de l’histoire.
L’insuffisance avec laquelle peintres et sculpteurs ont traité
jusqu'à ce jour les figures que Flaubert a si profondément
étudiées, et les scènes de mœurs qu’il a si magistralement décrites,
nous autorise à supposer que toute œuvre plastique ou picturale
qui sera inspirée par la lecture de Madame Bovary, des Trois
Contes ou de Salammbô, sera toujours très inférieure au sujet qui
aura servi de thème à son auteur.
L'imagination du peintre peut se promener librement à tra-
vers les récits historiques et trouver de nombreux et larges motifs
d’interprétation dans les faits mémorables dont ils ne sont le
plus souvent que des constatations simplement formulées. Elle
peut aussi emprunter à la poésie vague de la légende des formes
indécises et séduisantes. Mais il nous semble qu’elle doit être
bien à l’étroit dans la prose impeccable de Flaubert, où chaque
mot a la forme, la couleur, l’harmonie qui lui conviennent,
où chaque phrase est comme un fidèle miroir délicatement
ciselé, dans lequel se reflètent, avec une précision parfaite,
les plus basses des turpitudes humaines et les réalités les plus
idéales de la nature, les scènes les plus grotesquement banales
58
donne aux ombres des limpidités bleues dans lesquelles les objets
se détachent avec des formes vagues et flottantes, on devine
l'apparition prochaine des premières lueurs de l'aube. Devant
cette toile aux attirantes profondeurs, remplies par la poésie
éternelle et intime qui se dégage de la vue de la campagne et
des hameaux paisiblement endormis sous le calme du ciel étoilé,
on subit le charme de la nuit et Ton baisse involontairement la
voix de peur de troubler les rêveries passionnées de la mélan-
colique promeneuse.
Nous constatons chaque jour avec une inquiétude toujours
croissante que l'œuvre de Flaubert tend à devenir le foyer inspi-
rateur des peintres qui, par l’intensité de leur sentiment littéraire
et la vigueur de leur facture, semblaient destinés à exprimer avec
succès les grands faits de l’histoire.
L’insuffisance avec laquelle peintres et sculpteurs ont traité
jusqu'à ce jour les figures que Flaubert a si profondément
étudiées, et les scènes de mœurs qu’il a si magistralement décrites,
nous autorise à supposer que toute œuvre plastique ou picturale
qui sera inspirée par la lecture de Madame Bovary, des Trois
Contes ou de Salammbô, sera toujours très inférieure au sujet qui
aura servi de thème à son auteur.
L'imagination du peintre peut se promener librement à tra-
vers les récits historiques et trouver de nombreux et larges motifs
d’interprétation dans les faits mémorables dont ils ne sont le
plus souvent que des constatations simplement formulées. Elle
peut aussi emprunter à la poésie vague de la légende des formes
indécises et séduisantes. Mais il nous semble qu’elle doit être
bien à l’étroit dans la prose impeccable de Flaubert, où chaque
mot a la forme, la couleur, l’harmonie qui lui conviennent,
où chaque phrase est comme un fidèle miroir délicatement
ciselé, dans lequel se reflètent, avec une précision parfaite,
les plus basses des turpitudes humaines et les réalités les plus
idéales de la nature, les scènes les plus grotesquement banales