La soirée nous parut bien longue et fort
triste. Le moindre bruit nous causait des
frayeurs que la fermeté de notre mère apaisait,
mais dont nous souffrions beaucoup.
Nuit tragique.
Le soir descendit. Une nuit de fin de no-
vembre, froide et triste, lutta longtemps avec
un reste de jour accroché sur la neige. Les
arbres dressaient, sur cette blancheur, leurs
fûts sombres, et leurs bras tendus vers le ciel
découpaient des ombres noires bordées d’her-
mine, sur le sombre azur piqué de claires étoi-
les. Nul bruit dans le bois que les hô ! hô ! du
grand-duc et le hi-ou hi-ou ! de la chouette,
notre voisine de la vieille tour. Son cri ne nous
troubla jamais. Ce soir, pourtant, il me parut
bien désolé, bien monotone, et comme chargé
de menaces.
Je résolus de veiller pendant que ma mère
et ma sœur reposeraient. Ce fut là une sage
précaution. Plusieurs fois le vol ouaté d’un
busier fondant sur une musaraigne me fit fris-
sonner ; bien vite je me reprochais cette couar-
dise qu’on attribue à ceux de notre race.
L’oreille attentive, je ne perdis aucun bruit de
la plaine et du bois. Une lune à son premier
quartier promenait dans le ciel son arc d’argent
et les ombres bleutées que les arbres proje-
taient sur la neige dessinaient des arabesques
sur cette nappe blanche tendue par le bois.
Les étoiles brillaient d’un vif éclat dans l’azur
sombre où la voie lactée traçait, du Nord au
Sud, un large sillon de lumière blanche, le
Chemin de Saint-Jacques des paysans. Dans
cette clarté diffuse j’essayais de découvrir les
milliers d’étoiles qui la composent et je fati-
guais ma vue à cet exercice. Le craquement
d’une branche morte du côté de l’étang me
ramena à la réalité.
Que se passait-il ? Je n’en pus douter bien
longtemps.
Une forme noire se profilait sur la neige et
déjà le bruit de pas arrivait à mon oreille.
Pas de méprise possible ! Jean-Pierre s’avan-
çait, le fusil sous le bras. Il était seul. Sa main
droite soutenait une boîte longue qui balançait
au rhythme de la marche du braconnier.
Je la reconnus, cette boîte fermée d’un côté
par un treillis en fil de fer ; elle contient le fu-
ret, le furet notre plus redoutable ennemi !
Je dois l’avouer, cette vue fit battre mon cœur
bien vite et bien fort, et mon premier mouve-
ment fut de prévenir les miens et de fuir. J’eus
le courage d’attendre encore un moment pour
m’assurer si vraiment Jean-Pierre venait à
notre terrier. Il s’arrêta, hésita une minute,
puis se glissa dans l’ombre d’un châtaignier.
Avait-il entendu quelque bruit suspect, deviné
la ronde du garde ? Son regard fouillait le
sous-bois du côté de la ferme, du côté de mère
Séraphine, dans la direction de la maison du
garde.
Rien ne bougeait ; le vent bruissait faible-
ment dans la cime des arbres. Que pouvait
craindre le braconnier ? Je prêtai de nouveau
une attention que ma crainte rendait aiguë.
Rien ! toujours rien ! et Jean-Pierre ne bougeait
pas.
Bientôt j ’entendis vaguement des bruits
cadencés sur la neige. Plus de doute, des hom-
mes s’approchaient. Us débouchèrent bientôt
du chemin creux. Jean-Pierre se dissimula plus
soigneusement derrière son arbre ; il déposa sa
boîte, écouta de nouveau la direction des pas et
se glissa, plus loin, dans l’ombre épaisse des
arbustes habillés de houblon que la neige cou-
vrait comme d’un dôme. Il attendit.
Les pas se rapprochaient ; ils hésitèrent, eux
aussi, à l’entrée du sentier. Deux mots furent
échangés et les hommes se dirigèrent, par des
voies différentes, dans la direction de notre
terrier. Qu’allait-il nous arriver ? Quel danger
nouveau nous menaçait ? Il fallait le savoir
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