En tout cas, les représentants de la loi n hé-
sitèrent point dès qu’ils se furent concertés.
L’un à droite l’autre à gauche, à travers le
taillis ils coururent vers l’arbre qui dissimulait
le braconnier. Celui-ci se voyant surpris, se
jeta en pleine lumière. Je le vis se débarrasser
de son sac et vivement saisir à deux mains son
fusil. Allait-il se défendre et commencer une
lutte inégale qui pouvait lui devenir mortelle r
Il hésita pourtant.Les gendarmes avaient prévu
le geste de Jean-Pierre et, revolver au poing,
ils continuaient d’avancer en criant : « Haut
les mains! » Le fusil tomba sur la neige;
le braconnier se rendit.
Les gendarmes confisquèrent l’arme; ils em-
menèrent l’homme et son attirail.
Cette scène rapide de l’arrestation de Jean-
Pierre nous avait troublés profondément. Au
fond cette aventure nous rassurait ; elle ven-
geait la mort de deux des nôtres et nous lais-
sait, pour quelques semaines, pour quelques
mois peut-être, la quasi-certitude d’une rela-
tive sécurité.
Une nuit de Noël. == Des malfaiteurs.
Plusieurs fois déjà l’on avait vu rôder, au-
tour du jardin, des individus de mauvaise mine
inconnus dans le village. On savait, dans la
région, que la vieille femme était devenue riche.
Les journaux, en contant la nouvelle de cet
héritage inespéré, avaient produit quelque
émotion dans le voisinage et, sans le vouloir,
aiguisé des convoitises, suscité des jalousies,
inspiré de mauvais desseins. Mère Séraphine ne
demeurait jamais plus seule. Louise veillait
soigneusement auprès d’elle et Chariot rentrait
avant le soir. La nuit, sa bonne hache de bû-
cheron demeurait à portée de sa main et son
fusil, son ancien fusil de braconnier, chargé de
chevrotines, était là, lui aussi, suspendu au
manteau de la cheminée. Que pouvait-on crain-
dre des rôdeurs !
Les allées et venues de plusieurs suspects ne
laissèrent pas d’inquiéter les deux femmes.
Andrée, qui continuait à la chaumière ses visi-
tes aimables, partagea bientôt leurs craintes et
son père offrit, à ces braves gens, un logement
dans la ferme. Mère Séraphine, toujours dis-
crète, n’osait accepter. Chariot, vigoureux et
adroit, ne redoutait aucune fâcheuse aventure.
Bref, les choses en restèrent là et l’on ne quitta
point la pauvre maison.
La veille de Noël, mère Séraphine conseilla
à ses enfants d’assister à la messe de minuit.
Tous deux lui firent remarquer le danger de la
solitude dans laquelle la laisserait leur absence.
Volontiers Louise et Chariot eussent sacrifié
le plaisir d’assister à cet office de la nuit, si
plein de charmes à la campagne, pour demeu-
rer auprès de leur mère. La bonne vieille in-
sista tellement que les enfants finirent par cé-
der. Après une tranquille veillée au foyer,
après les soins les plus attentifs prodigués à
leur mère les jeunes gens, chaudement vêtus,
se dirigèrent vers l’église.
Une neige fine tombait sur la terre glacée et
dans le ciel ne brillait aucune étoile. De-ci de-
là, la nuit se piquait d’une faible lueur; les
braves paysans, munis de lanternes, pour la
plupart, se rendaient à l’office que la cloche
annonçait par son joyeux carillon. D’église en
église, de village en village, les cloches se ré-
pondaient à travers la nuit, invitant les hommes
à l’adoration du Dieu fait enfant pour les
sauver.
Louise et Chariot venaient de quitter le
chemin du bois. Us se retournèrent vers leur
maison, tous deux subitement pris de la même
inquiétude : Qu’allait devenir leur vieille mère,
seule ainsi durant deux heures au milieu de la
nuit, au bord du bois ? Une même pensée leur
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