LES BONNES PAGES
Les fêtes de la forêt.
... Puis viendront l’ascension des premières
graines plumeuses, qui sont celles des saules et
des trembles, par un jour doux et par un vent
léger, la floraison subite des genêts transformés
en buissons ardents environnés de langues de
flammes, comme celles qui, pour la Pentecôte,
descendirent sur les Apôtres. Leur parure
royale persistera jusqu’à la Fête-Dieu, pour
éclater alors dans toute sa splendeur. Autour
d’eux, du matin au soir, la forêt retentira de
chants d’allégresse ; on va vers la Saint-Jean
d’été, et le « long jour chasse la nuit ».
Forêt célèbre ton Sauveur...
Que ta louange dans les airs
Résonne pleine, harmonieuse,
Mêlée aux joyeux concerts.
Avec l’ostensoir du soleil, Dieu, du haut du
ciel bleu, donne tout le jour sa bénédiction ;
sous les feuillages, que l’on dirait un peu flétris
et pendants de chaleur, les arbres semblent se
prosterner. Dans toutes les clairières sont pré-
parés des reposoirs, devant lesquels les églan-
tiers vont faire leur offrande de pétales de roses.
Et les étoiles, le soir, sur la fête assoupie, allu-
meront leurs veilleuses dorées dans l’ombre des
chapelles.
A mesure que gagne l’été, la forêt, que le
vacarme de ses orgues déchaînées remplissait
tout l’hiver, se plonge dans le mystère et le
recueillement. Vous l’avez entendu dans ses
branches, un jour de juin ou de juillet, ce doux
murmure d’oraison, qui tombe, au temps de la
fleur, sous le dôme de ses tilleuls tout pétillants
d’abelles ou d’un de ses chênes, visité par les
mouches, quand leurs feuilles nouvelles sont
vernies de miellat. Ce sont, dans le lointain,
des nefs, des rosaires sans fin, tandis que le pie
vert a l’air d’accrocher à grands coups de mar-
teau des tentures de fête, que le merle, plus
polisson qu’un clerc, s’envole avec de francs
éclats de rire des aulnes du ruisseau, où l’on
croirait qu’il vient de vider ses burettes, et que
le loriot entonne tout le jour de sa voix écla-
tante son : Gloria in excelsis Deo !
15 août ! Fête de Notre-Dame d’août !
« Comme le cinnamome et le baume odorant,
la forêt exhale son parfum ; comme la myrrhe
choisie, elle répand une odeur suave. » Elle
s’élève sur la colline comme une tour de feuilles
« comme le cèdre sur le Liban, comme le cyprès
sur la montagne de Sion.» Puis, l’été déclinant,
peu à peu elle remplace ses tentures de sinople
par des tentures d’or, si bien que, sur la fin
d’octobre, aux approches de la Toussaint, elle
est vêtue d’une grande chape d’orfroi, qui l’en-
veloppe tout entière : fête unanime dans la fo-
rêt comme dans le temple chrétien ; fête de
toutes les feuilles, fête de tous les Saints. C’est
l’apothéose générale, triomphe de la gloire,
qui suit après le deuil. Car, avec le mois de no-
vembre et ses brumes glaciales, et ses tristesses
de mort, et ses soleils tout étouffés dans le
brouillard, voici que les arbres deviennent de
grands squelettes. Bois dorés de l’automne, on
vous cherchera un matin et vous ne serez plus :
un coup de vent du Nord sur une gelée de nuit
aura suffi pour vous dépouiller de votre royauté
et vous faire entrer, comme chaque année, au
monastère franciscain, où vous oublierez, dans
la pénitence et le deuil, de décembre à février,
vos fêtes de l’automne 1 ».
Jean Nesmy.
1. Jean Nesmy. Les quatre saisons de la forêt, Gras-
set, Paris.
271 —
Les fêtes de la forêt.
... Puis viendront l’ascension des premières
graines plumeuses, qui sont celles des saules et
des trembles, par un jour doux et par un vent
léger, la floraison subite des genêts transformés
en buissons ardents environnés de langues de
flammes, comme celles qui, pour la Pentecôte,
descendirent sur les Apôtres. Leur parure
royale persistera jusqu’à la Fête-Dieu, pour
éclater alors dans toute sa splendeur. Autour
d’eux, du matin au soir, la forêt retentira de
chants d’allégresse ; on va vers la Saint-Jean
d’été, et le « long jour chasse la nuit ».
Forêt célèbre ton Sauveur...
Que ta louange dans les airs
Résonne pleine, harmonieuse,
Mêlée aux joyeux concerts.
Avec l’ostensoir du soleil, Dieu, du haut du
ciel bleu, donne tout le jour sa bénédiction ;
sous les feuillages, que l’on dirait un peu flétris
et pendants de chaleur, les arbres semblent se
prosterner. Dans toutes les clairières sont pré-
parés des reposoirs, devant lesquels les églan-
tiers vont faire leur offrande de pétales de roses.
Et les étoiles, le soir, sur la fête assoupie, allu-
meront leurs veilleuses dorées dans l’ombre des
chapelles.
A mesure que gagne l’été, la forêt, que le
vacarme de ses orgues déchaînées remplissait
tout l’hiver, se plonge dans le mystère et le
recueillement. Vous l’avez entendu dans ses
branches, un jour de juin ou de juillet, ce doux
murmure d’oraison, qui tombe, au temps de la
fleur, sous le dôme de ses tilleuls tout pétillants
d’abelles ou d’un de ses chênes, visité par les
mouches, quand leurs feuilles nouvelles sont
vernies de miellat. Ce sont, dans le lointain,
des nefs, des rosaires sans fin, tandis que le pie
vert a l’air d’accrocher à grands coups de mar-
teau des tentures de fête, que le merle, plus
polisson qu’un clerc, s’envole avec de francs
éclats de rire des aulnes du ruisseau, où l’on
croirait qu’il vient de vider ses burettes, et que
le loriot entonne tout le jour de sa voix écla-
tante son : Gloria in excelsis Deo !
15 août ! Fête de Notre-Dame d’août !
« Comme le cinnamome et le baume odorant,
la forêt exhale son parfum ; comme la myrrhe
choisie, elle répand une odeur suave. » Elle
s’élève sur la colline comme une tour de feuilles
« comme le cèdre sur le Liban, comme le cyprès
sur la montagne de Sion.» Puis, l’été déclinant,
peu à peu elle remplace ses tentures de sinople
par des tentures d’or, si bien que, sur la fin
d’octobre, aux approches de la Toussaint, elle
est vêtue d’une grande chape d’orfroi, qui l’en-
veloppe tout entière : fête unanime dans la fo-
rêt comme dans le temple chrétien ; fête de
toutes les feuilles, fête de tous les Saints. C’est
l’apothéose générale, triomphe de la gloire,
qui suit après le deuil. Car, avec le mois de no-
vembre et ses brumes glaciales, et ses tristesses
de mort, et ses soleils tout étouffés dans le
brouillard, voici que les arbres deviennent de
grands squelettes. Bois dorés de l’automne, on
vous cherchera un matin et vous ne serez plus :
un coup de vent du Nord sur une gelée de nuit
aura suffi pour vous dépouiller de votre royauté
et vous faire entrer, comme chaque année, au
monastère franciscain, où vous oublierez, dans
la pénitence et le deuil, de décembre à février,
vos fêtes de l’automne 1 ».
Jean Nesmy.
1. Jean Nesmy. Les quatre saisons de la forêt, Gras-
set, Paris.
271 —