Le naturalisme moderne oublie que
a la nature humaine garde la cicatrice de
sa blessure lointaine et toujours secrète-
ment douloureuse et qu’on ne peut, sans
mentir, entreprendre de la glorifier to-
talement \ »
En quoi consiste l’art véritable.
L’art véritable est également éloigné
du réalisme grossier qui copie servile-
ment la nature même vulgaire, même
laide et difforme, et du faux idéalisme
qui prend ses modèles dans l’imagina-
tion, sans souci de la nature.
L’art doit vivre de la nature, il doit
s’en inspirer, mais sans la copier servi-
lement. « Il y a, entre la nature et l'oeu-
vre d’art, l’artiste avec sa pensée qui la
regarde, son âme qui la sent, son cœur
qui l’aime 1 2. » Dans cette contemplation
de la nature, l'artiste se forme une image
intérieure qu’il incarnera dans une œu-
vre extérieure ; il transformera la na-
ture, le réel, selon son propre idéal.
Pour transformer la nature l’artiste
modifie les objets, les personnages. Il ar-
range les scènes, les épure, les embellit ;
1. Broussolle. L’art, la religion, la renaissance.
2. P. Feux. Le Progrès par le Christianisme, Con-
férences, XII.
il nous révèle la beauté là même où nous
ne songions pas à la découvrir. L’artiste
fait plus ; il enrichit la nature qu’il nous
représente et nous communique son
émotion personnelle. Il arrive même à
nous faire admirer, dans son œuvre, les
scènes qui nous seraient pénibles dans la
réalité naturelle, en mettant en relief ce
qu’elles ont de pathétique,d’intéressant,
de moralisateur. En un mot, selon l’ex-
pression d’Alfred Tonnellé, l’art véri-
table consiste à « manifester le beau par
un signe sensible. Il consiste à se servir
de la matière pour exprimer l’idéal, mais
l’artiste ne doit pas souffrir que l’objet
matériel, enveloppe du beau, soit là pour
lui-même et non plus qu’il disparaisse
entièrement.L’objet matériel, la nature,
est à la fois obstacle et instrument.
Comme obstacle, il ne faut pas exagérer
le signe (la matière), de façon qu'il
étouffe l’idéal qu’il doit manifester ;
comme instrument il ne faut pas le bri-
ser, car s'il n’existe plus vous n’avez plus
sur quoi vous appuyer pour arriver à
votre but. Faire servir la nature à racon-
ter la gloire de l’esprit et à étendre son
empire, voilà ]a vraie doctrine b »
(A suivre).
1. A. Tonnelle. Fragments d’art et de philosophie,
p. 129.
PHILOSOPHIE DE POUSSIN
Un soir que Poussin reconduisait, lui-même,
la lampe à la main, le cardinal Mancini, ce pré-
lat ne put s’empêcher de lui dire : — Je vous
plains beaucoup, Monsieur Poussin, de n’avoir
pas un seul valet. — Et moi, répondit Poussin,
je vous plains beaucoup plus d’en avoir un si
grand nombre.
52
a la nature humaine garde la cicatrice de
sa blessure lointaine et toujours secrète-
ment douloureuse et qu’on ne peut, sans
mentir, entreprendre de la glorifier to-
talement \ »
En quoi consiste l’art véritable.
L’art véritable est également éloigné
du réalisme grossier qui copie servile-
ment la nature même vulgaire, même
laide et difforme, et du faux idéalisme
qui prend ses modèles dans l’imagina-
tion, sans souci de la nature.
L’art doit vivre de la nature, il doit
s’en inspirer, mais sans la copier servi-
lement. « Il y a, entre la nature et l'oeu-
vre d’art, l’artiste avec sa pensée qui la
regarde, son âme qui la sent, son cœur
qui l’aime 1 2. » Dans cette contemplation
de la nature, l'artiste se forme une image
intérieure qu’il incarnera dans une œu-
vre extérieure ; il transformera la na-
ture, le réel, selon son propre idéal.
Pour transformer la nature l’artiste
modifie les objets, les personnages. Il ar-
range les scènes, les épure, les embellit ;
1. Broussolle. L’art, la religion, la renaissance.
2. P. Feux. Le Progrès par le Christianisme, Con-
férences, XII.
il nous révèle la beauté là même où nous
ne songions pas à la découvrir. L’artiste
fait plus ; il enrichit la nature qu’il nous
représente et nous communique son
émotion personnelle. Il arrive même à
nous faire admirer, dans son œuvre, les
scènes qui nous seraient pénibles dans la
réalité naturelle, en mettant en relief ce
qu’elles ont de pathétique,d’intéressant,
de moralisateur. En un mot, selon l’ex-
pression d’Alfred Tonnellé, l’art véri-
table consiste à « manifester le beau par
un signe sensible. Il consiste à se servir
de la matière pour exprimer l’idéal, mais
l’artiste ne doit pas souffrir que l’objet
matériel, enveloppe du beau, soit là pour
lui-même et non plus qu’il disparaisse
entièrement.L’objet matériel, la nature,
est à la fois obstacle et instrument.
Comme obstacle, il ne faut pas exagérer
le signe (la matière), de façon qu'il
étouffe l’idéal qu’il doit manifester ;
comme instrument il ne faut pas le bri-
ser, car s'il n’existe plus vous n’avez plus
sur quoi vous appuyer pour arriver à
votre but. Faire servir la nature à racon-
ter la gloire de l’esprit et à étendre son
empire, voilà ]a vraie doctrine b »
(A suivre).
1. A. Tonnelle. Fragments d’art et de philosophie,
p. 129.
PHILOSOPHIE DE POUSSIN
Un soir que Poussin reconduisait, lui-même,
la lampe à la main, le cardinal Mancini, ce pré-
lat ne put s’empêcher de lui dire : — Je vous
plains beaucoup, Monsieur Poussin, de n’avoir
pas un seul valet. — Et moi, répondit Poussin,
je vous plains beaucoup plus d’en avoir un si
grand nombre.
52