Pour rien au monde, je n’aurais manqué cette messe du dimanche à St-Jean.
Bien souvent, nous avons déploré que ce jeu merveilleux de tact et d’in-
telligence demeurât réservé aux fidèles de la vieille cathédrale. Nous solli-
citions Édouard Commette, nous l’engagions à se faire entendre ailleurs, à
franchir la barrière de son enclos. Cette perspective seule suffisait à l’effrayer.
Tranquille, à l’aise dans la tendre lumière irisée de ses vitraux, il n’osait
songer à courir l’aventure. Il avait fait de sa vie deux parts : l’une réservée
à son art, l’autre dévolue à élever ses cinq enfants. Il ne voulait point en-
visager d’autre avenir que ce mélange soigneusement dosé d’idéalisme et
de réalisme.
Nous désespérions vraiment d’en faire quelque chose !
Et voilà que le miracle s’est accompli, et que cet homme qui appréhen-
dait de prendre contact avec l’extérieur a vu la renommée l’investir presque
à son corps défendant.
Un beau jour, des ingénieurs se sont installés dans son domaine, dans cette
abside derrière les grilles de laquelle il se croyait protégé contre les investi-
gations importunes. Ils ont tendu des rideaux pour l’isoler. Ils ont emprisonné
les ondes que sa désinvolture laissait s’évanouir depuis des années contre
les parois de l’immense vaisseau. Une petite lampe rouge s’est allumée, et
la cire a reçu l’empreinte de ses exécutions splendides de Bach, de Franck, de
tous les grands maîtres de l’orgue. On a même capté également les pièces
qu’il a écrites pour son instrument. Bref, mieux que dans un bois, on l’a
dévalisé dans sa propre demeure.
Désormais Édouard Commette n’appartenait plus à lui-même, ni à ses
amis, et, si notre égoïsme souffrait un peu de ce bouleversement, du moins
nous avions la satisfaction de penser qu’on connaîtrait enfin, hors de ce
quartier Saint-Jean où il prétendait avoir trouvé un refuge inviolable, hors
de Lyon, et même hors de France, le nom de ce magicien trop timoré, à
notre gré, pour les dons immenses qu’il portait en lui.
On sait le reste. La fortune prodigieuse qu’ont connue en quelques mois
les disques d’Édouard Commette, si elle stupéfie les profanes, ne nous a
point surpris. Remercions néanmoins le phonographe d’avoir rendu possible
cette émancipation d’un artiste pour ainsi dire malgré lui, et d’avoir ap-
pris au monde entier son nom, qui honore notre nation.
J’ignore si ce succès sans précédent dans l’histoire de la musique mécanique
l’aura dépouillé de sa timidité. Je l’espère et j’en doute à la fois. Quoi
qu’il en soit, qu’il arpente maintenant les deux continents, qu’il entre-
prenne des périples, ou qu’il reste à l’ombre de sa cathédrale, le disque
accomplira pour lui cette carrière de globe-trotter qui répugnait à sa pla-
cidité. Il apporte à qui veut l’entendre le témoignage le plus décisif qui se
puisse concevoir.
Je disais plus haut qu’Édouard Commette ressemblait à un homme du
XVIIIe siècle. Encore faut-il distinguer. Un Haendel, par exemple, nous ap-
paraît assez bien à la façon d’un condottiere de la musique, courant de
Hanovre à Londres, de Florence à Halle, risquant de se faire tuer en duel
à Hambourg par Mattheson. Voyez Bach au contraire, confiné entre Weimar
et Leipzig, et fixé pendant vingt-sept ans dans sa fonction à la Thomas-
schule. On imagine fort aisément, à notre époque, le génial Cantor conservant
ses façons d’être simples et heureuses, et n’acceptant d’être révélé par delà
les frontières de son bonheur qu’à la faveur d’une circonstance qui ne violât
pas son intimité plus que ne fait le disque.
Vivons cachés, bien sûr, cachés derrière ses sillons, et prêts à nous enfuir
plus loin, aussi loin qu’il faudra, au premier coup de fusil suspect...
P. O. Ferroud.
ÉDOUARD COMMETTE, ORGANISTE DE LA PRIMATIALE DE LYON,
AUX GRANDS ORGUES DE LA CATHÉDRALE SAINT-JEAN
4 s’honore d avoir révélé au monde entier
Ie ieu nîerve^oux d’Édouard Commette.
Bien souvent, nous avons déploré que ce jeu merveilleux de tact et d’in-
telligence demeurât réservé aux fidèles de la vieille cathédrale. Nous solli-
citions Édouard Commette, nous l’engagions à se faire entendre ailleurs, à
franchir la barrière de son enclos. Cette perspective seule suffisait à l’effrayer.
Tranquille, à l’aise dans la tendre lumière irisée de ses vitraux, il n’osait
songer à courir l’aventure. Il avait fait de sa vie deux parts : l’une réservée
à son art, l’autre dévolue à élever ses cinq enfants. Il ne voulait point en-
visager d’autre avenir que ce mélange soigneusement dosé d’idéalisme et
de réalisme.
Nous désespérions vraiment d’en faire quelque chose !
Et voilà que le miracle s’est accompli, et que cet homme qui appréhen-
dait de prendre contact avec l’extérieur a vu la renommée l’investir presque
à son corps défendant.
Un beau jour, des ingénieurs se sont installés dans son domaine, dans cette
abside derrière les grilles de laquelle il se croyait protégé contre les investi-
gations importunes. Ils ont tendu des rideaux pour l’isoler. Ils ont emprisonné
les ondes que sa désinvolture laissait s’évanouir depuis des années contre
les parois de l’immense vaisseau. Une petite lampe rouge s’est allumée, et
la cire a reçu l’empreinte de ses exécutions splendides de Bach, de Franck, de
tous les grands maîtres de l’orgue. On a même capté également les pièces
qu’il a écrites pour son instrument. Bref, mieux que dans un bois, on l’a
dévalisé dans sa propre demeure.
Désormais Édouard Commette n’appartenait plus à lui-même, ni à ses
amis, et, si notre égoïsme souffrait un peu de ce bouleversement, du moins
nous avions la satisfaction de penser qu’on connaîtrait enfin, hors de ce
quartier Saint-Jean où il prétendait avoir trouvé un refuge inviolable, hors
de Lyon, et même hors de France, le nom de ce magicien trop timoré, à
notre gré, pour les dons immenses qu’il portait en lui.
On sait le reste. La fortune prodigieuse qu’ont connue en quelques mois
les disques d’Édouard Commette, si elle stupéfie les profanes, ne nous a
point surpris. Remercions néanmoins le phonographe d’avoir rendu possible
cette émancipation d’un artiste pour ainsi dire malgré lui, et d’avoir ap-
pris au monde entier son nom, qui honore notre nation.
J’ignore si ce succès sans précédent dans l’histoire de la musique mécanique
l’aura dépouillé de sa timidité. Je l’espère et j’en doute à la fois. Quoi
qu’il en soit, qu’il arpente maintenant les deux continents, qu’il entre-
prenne des périples, ou qu’il reste à l’ombre de sa cathédrale, le disque
accomplira pour lui cette carrière de globe-trotter qui répugnait à sa pla-
cidité. Il apporte à qui veut l’entendre le témoignage le plus décisif qui se
puisse concevoir.
Je disais plus haut qu’Édouard Commette ressemblait à un homme du
XVIIIe siècle. Encore faut-il distinguer. Un Haendel, par exemple, nous ap-
paraît assez bien à la façon d’un condottiere de la musique, courant de
Hanovre à Londres, de Florence à Halle, risquant de se faire tuer en duel
à Hambourg par Mattheson. Voyez Bach au contraire, confiné entre Weimar
et Leipzig, et fixé pendant vingt-sept ans dans sa fonction à la Thomas-
schule. On imagine fort aisément, à notre époque, le génial Cantor conservant
ses façons d’être simples et heureuses, et n’acceptant d’être révélé par delà
les frontières de son bonheur qu’à la faveur d’une circonstance qui ne violât
pas son intimité plus que ne fait le disque.
Vivons cachés, bien sûr, cachés derrière ses sillons, et prêts à nous enfuir
plus loin, aussi loin qu’il faudra, au premier coup de fusil suspect...
P. O. Ferroud.
ÉDOUARD COMMETTE, ORGANISTE DE LA PRIMATIALE DE LYON,
AUX GRANDS ORGUES DE LA CATHÉDRALE SAINT-JEAN
4 s’honore d avoir révélé au monde entier
Ie ieu nîerve^oux d’Édouard Commette.