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FONTAINEBLEAU
En tout cela, dès cette époque même, l’Italie était le modèle
qu’on imitait. Christine de Pisan traduisait ses auteurs, les
enlumineurs suivaient son style, la reine et le duc d’Orléans,
qui fut assassiné, copiaient ses modes. Ceux qui ont écrit
qu’en se donnant à son tour les mêmes modèles François Ier
rompit le fil de notre histoire n’ont pas considéré cela. Ils
ont ignoré cet italianisme antérieur et de longue date,
qui s’étendait à toute l’Europe, si entier et si véhément,
que si notre Renaissance, retardée par le malheur public,
avait accompli alors ses destinées, la marque italienne y
aurait été empreinte plus profondément encore qu’elle ne
le fut sous François Ier.
La possession de Milan, que la journée de Marignan
assurait à ce dernier, aidait aux desseins qu’il formait. Elle
enchanta le prince en le faisant régner sur un peuple riche
et cultivé, sur d’opulentes cités où florissaient les arts. La
ville avait été un centre d’hellénisme, car Chalcondyle y
avait enseigné. Dans le chœur des cités italiennes, Milan
avait jeté son éclat sous les Sforces, plus anciennement
sous les Visconti, dont le roi descendait. Le duc d’Orléans,
son bisaïeul, avait seigneur d’Asti, où Georges Alione,
rimeur en notre langue, et dont les farces en dialecte astésan
firent les délices de la province, avait tenu le parti français
quand l’armée de Charles VIII descendit.
Léonard de Vinci habitait le duché. En retour des faveurs
dont François combla ce grand peintre, je ne puis me figurer
qu’il n’ait pas appris de lui à connaître les belles choses
dont le pays était plein. L’artiste avait soixante-trois ans;
il aurait pu être son père; tout se rencontrait pour faire
de lui le précepteur d’un jeune prince qu’une curiosité si
ardente portait vers les ouvrages dont le maître faisait
profession. Plus tard on entendit le roi dire : « Moi qui
m’y connais, qui ai vu en Italie les plus belles choses. »
Cette éducation se fit alors; mais elle ne se fit pas sans conseil,
FONTAINEBLEAU
En tout cela, dès cette époque même, l’Italie était le modèle
qu’on imitait. Christine de Pisan traduisait ses auteurs, les
enlumineurs suivaient son style, la reine et le duc d’Orléans,
qui fut assassiné, copiaient ses modes. Ceux qui ont écrit
qu’en se donnant à son tour les mêmes modèles François Ier
rompit le fil de notre histoire n’ont pas considéré cela. Ils
ont ignoré cet italianisme antérieur et de longue date,
qui s’étendait à toute l’Europe, si entier et si véhément,
que si notre Renaissance, retardée par le malheur public,
avait accompli alors ses destinées, la marque italienne y
aurait été empreinte plus profondément encore qu’elle ne
le fut sous François Ier.
La possession de Milan, que la journée de Marignan
assurait à ce dernier, aidait aux desseins qu’il formait. Elle
enchanta le prince en le faisant régner sur un peuple riche
et cultivé, sur d’opulentes cités où florissaient les arts. La
ville avait été un centre d’hellénisme, car Chalcondyle y
avait enseigné. Dans le chœur des cités italiennes, Milan
avait jeté son éclat sous les Sforces, plus anciennement
sous les Visconti, dont le roi descendait. Le duc d’Orléans,
son bisaïeul, avait seigneur d’Asti, où Georges Alione,
rimeur en notre langue, et dont les farces en dialecte astésan
firent les délices de la province, avait tenu le parti français
quand l’armée de Charles VIII descendit.
Léonard de Vinci habitait le duché. En retour des faveurs
dont François combla ce grand peintre, je ne puis me figurer
qu’il n’ait pas appris de lui à connaître les belles choses
dont le pays était plein. L’artiste avait soixante-trois ans;
il aurait pu être son père; tout se rencontrait pour faire
de lui le précepteur d’un jeune prince qu’une curiosité si
ardente portait vers les ouvrages dont le maître faisait
profession. Plus tard on entendit le roi dire : « Moi qui
m’y connais, qui ai vu en Italie les plus belles choses. »
Cette éducation se fit alors; mais elle ne se fit pas sans conseil,