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FONTAINEBLEAU
la cour, et les conversations qu’en cheminant tenait le roi.
« Il était d’usage de lire quelque histoire, dit-il, lorsque
le roi était par les chemins. En ce moment on tenait un
Thucydide, qu’il avait fait traduire en français. Le roi et
les savants qui l’entouraient interprétaient cet auteur avec
tant d’élégance, que jamais voyage ne me parut aussi court.
Toute flatterie à part, je déclare qu’après avoir assisté bien
souvent aux repas des plus grands princes, du pape, des
cardinaux et des évêques, jamais je n’ai vu de table plus
savante que celle de ce roi de France. Ce n’étaient que
belles lectures et beaux entretiens, qu’on ne pouvait quitter
sans en revenir plus docte et plus érudit, tant docte et érudit
fût celui qui s’y trouvait. L’honnête homme, grand seigneur
ou simple gentilhomme, ne sortait pas de là sans se sentir
plus honnête homme encore. » Et pour finir, ce trait, où se
peint avec insistance, dans tous ces portraits, une aptitude
universelle : « S’il faut venir à de moindres détails, j’assure
que les ouvriers les plus modestes, les jardiniers, les labou-
reurs, ne pouvaient entendre parler le roi sans profiter de
quelque leçon dans leur métier. »
On remarquera ces jardiniers, qui font aux palefreniers
de Rabelais un écho à peine attendu.
Devons-nous croire que l’émulation sociale, puissante
en France dans tous les temps, eut dès lors un commen-
cement d’effet, faisant descendre des hautes sphères où
ils étaient semés ces germes de connaissance qui deux siècles
plus tard s’étendirent par tout le pays ? Une fois de plus,
en ce cas, il faudrait reconnaître ce que saisissait Voltaire
et que nous oublions : que par-dessus une éclipse ou un
recul d’un demi-siècle, du goût, de la science et des lumières,
le siècle de Louis XIV renoua avec celui de François Ier.
Jean Clouet était mort. Un de ses derniers ouvrages
fut le portrait du roi à cheval, de petite taille, qu’on voit
aux Offices à Florence. C’est le plus gracieux qu’on ait du
FONTAINEBLEAU
la cour, et les conversations qu’en cheminant tenait le roi.
« Il était d’usage de lire quelque histoire, dit-il, lorsque
le roi était par les chemins. En ce moment on tenait un
Thucydide, qu’il avait fait traduire en français. Le roi et
les savants qui l’entouraient interprétaient cet auteur avec
tant d’élégance, que jamais voyage ne me parut aussi court.
Toute flatterie à part, je déclare qu’après avoir assisté bien
souvent aux repas des plus grands princes, du pape, des
cardinaux et des évêques, jamais je n’ai vu de table plus
savante que celle de ce roi de France. Ce n’étaient que
belles lectures et beaux entretiens, qu’on ne pouvait quitter
sans en revenir plus docte et plus érudit, tant docte et érudit
fût celui qui s’y trouvait. L’honnête homme, grand seigneur
ou simple gentilhomme, ne sortait pas de là sans se sentir
plus honnête homme encore. » Et pour finir, ce trait, où se
peint avec insistance, dans tous ces portraits, une aptitude
universelle : « S’il faut venir à de moindres détails, j’assure
que les ouvriers les plus modestes, les jardiniers, les labou-
reurs, ne pouvaient entendre parler le roi sans profiter de
quelque leçon dans leur métier. »
On remarquera ces jardiniers, qui font aux palefreniers
de Rabelais un écho à peine attendu.
Devons-nous croire que l’émulation sociale, puissante
en France dans tous les temps, eut dès lors un commen-
cement d’effet, faisant descendre des hautes sphères où
ils étaient semés ces germes de connaissance qui deux siècles
plus tard s’étendirent par tout le pays ? Une fois de plus,
en ce cas, il faudrait reconnaître ce que saisissait Voltaire
et que nous oublions : que par-dessus une éclipse ou un
recul d’un demi-siècle, du goût, de la science et des lumières,
le siècle de Louis XIV renoua avec celui de François Ier.
Jean Clouet était mort. Un de ses derniers ouvrages
fut le portrait du roi à cheval, de petite taille, qu’on voit
aux Offices à Florence. C’est le plus gracieux qu’on ait du