LES DERNIÈRES ANNÉES
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ciation de l'ombre et de la lumière d'après des règles
fixes, qu'il avait d'abord répudié, pour peindre en
tons clairs juxtaposés, était maintenant plus ou
moins abandonné par les jeunes artistes, qui
peignaient eux aussi en clair. On eût vu que le
réalisme, la peinture du monde vivant, qui avait
soulevé une telle horreur, se produisant d'abord
avec lui, était devenu d'une pratique générale. On
eût vu que le prétendu grand art traditionnel de la
peinture d'histoire, de la mythologie et du nu
soi-disant idéalisé, qu'il avait d'abord délaissé, était
maintenant presque entièrement ignoré et ne restait
plus cultivé que par les anciens, attachés aux erre-
ments de leur jeunesse. En vingt ans, procédés,
sujets, esthétique, s'étaient transformés.
Certes de tels mouvements d'ensemble ne sau-
raient avoir pour cause l'action individuelle d'un
seul; ils viennent de besoins profonds et nouveaux,
arrivant à se manifester d'une façon générale. Mais
quelle que fût la profondeur du mouvement et quel-
qu'inéluctable qu'on veuille le juger, Manet en avait
été l'initiateur, il avait été celui qui découvre la voie
inexplorée et s'y engage le premier à ses risques et
périls, sans esprit de retour. Les peintres de la tra-
dition, qui se refusaient à innover, avaient tout de
suite et justement reconnu en lui leur ennemi; ils
avaient tout fait pour l'étouffer et le déconsidérer.
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ciation de l'ombre et de la lumière d'après des règles
fixes, qu'il avait d'abord répudié, pour peindre en
tons clairs juxtaposés, était maintenant plus ou
moins abandonné par les jeunes artistes, qui
peignaient eux aussi en clair. On eût vu que le
réalisme, la peinture du monde vivant, qui avait
soulevé une telle horreur, se produisant d'abord
avec lui, était devenu d'une pratique générale. On
eût vu que le prétendu grand art traditionnel de la
peinture d'histoire, de la mythologie et du nu
soi-disant idéalisé, qu'il avait d'abord délaissé, était
maintenant presque entièrement ignoré et ne restait
plus cultivé que par les anciens, attachés aux erre-
ments de leur jeunesse. En vingt ans, procédés,
sujets, esthétique, s'étaient transformés.
Certes de tels mouvements d'ensemble ne sau-
raient avoir pour cause l'action individuelle d'un
seul; ils viennent de besoins profonds et nouveaux,
arrivant à se manifester d'une façon générale. Mais
quelle que fût la profondeur du mouvement et quel-
qu'inéluctable qu'on veuille le juger, Manet en avait
été l'initiateur, il avait été celui qui découvre la voie
inexplorée et s'y engage le premier à ses risques et
périls, sans esprit de retour. Les peintres de la tra-
dition, qui se refusaient à innover, avaient tout de
suite et justement reconnu en lui leur ennemi; ils
avaient tout fait pour l'étouffer et le déconsidérer.