L^GLIPSE
fiK
THÉÂTRE DE L'ECLIPSE
Dimanohe 3 1 décembre 1871
Au bénéfice de M'" ANÀ3TASIE
Â
PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE
Kevue satirique en trois tableaux, avec couplets
PREMIER TABLEAU
Le Jour de l'Ail aux Tranchées
La scène se passe dans une maison abandonnée, près du fort d'Auber-
villiers.
Le théâtre représente une grande chambre tonte nue, qui a peut-être
été un salon, car il y a encore des restes de glace au-dessus de la
chcminéiî.
Le feu qui se rûeutt laisse de temps à autre échapper une lueur qui
éclaire ube escouade de gar:!es nationaux, endormis çà et là dans
leurs couvertures.
un gaRde HatiOnal. —Brrr! qu'il fait froid I Dis-done,
Trente-Bous, toi qui es le plus près de la cheminée, ranime donc
un peu le feu I
TRENTE-SOES. — Et du bois?
UN autbe garde national. — Regarde dans le eoin, il doit y
avoir eneore Une marche de l'escalier.
TRENTÈ-S'OUS, qui s'est soulevé et arrange le feu. — Ça Ta lieu I
Hier les persiei nés, aujourd'hui l'escalier?
un garde national, bougonnant. — Faut-il pas mourir do
froid?... du laisser cela aux Prussiens ?
trente 8&Ù6-. •—- Je ne dis pas ça. Mais an moins ne brûlez
pas la tastpe j Bous pourrons encore descendre a cheval
dessus:
le CAPÛltAi. DE GARDE entrant avec quelques factionnaires ^rela-
tants aiiiwhî se toucher sans mot di-e. — N°5 8, 9, 10, et 11, al-
lons, là faction de minuit I
(Les fardes hatimtavx appelés se lèvent plus ou moins vile, et sor-
tent sait* fàrt ït'ort plus un moi.)
trëStë-sôûS-. — Minuit 1 Ainsi nous voici maintenant au 1"
janvier Icftl. Adieu 1870 l Adieu année maudite! année de sang
et de ht&ate ! — Minuit 1 qu'est-ce que je faisais donc l'année
dernière * minuit? je me rappelle ! Le patron avait lâché une
gratifiâtes, et moi j'avais pajé l'Ambigu à la bourgeoise ;
le soir en rentrant nous avions soupe; j'étais tout .gai, je ne
sais pan quelle grosse bêtise je lui dis ; elle de rire tant que le
petit se revfeiile, et croyant que le matin est arrivé... le voilà
qui se met sur «on séant et qui chante :
Petit pap*, c'est aujourd'hui ta fête!
et puis...« oà sont les joujoux que tu m'as achetés?» Pauvre
petit I nous m le réveillerons pas cette nuit... et tout-ï-l'heure
la mère va se lever pour aller faire deux heures de queue à la
boucherie... Pourvu qu'on ne lui donne pas encore
saurs 1 C'est égal, les braves femmes
que nos Parisiennes! Et dire que nous
nous plaignons, nous autres)- sans elles,
qu'est-ce qut. notas serions devenus?
Quelle résignation ! quel dévouement —
sortir tous le3 matins par la pluie, par
la neige et toujours rentrer avec quel-
que chose à la maison ; et quand nous
sommes de garde, toujours une petite
réserve ; au départ, pas une larme,
et au retour, quel bon gros baiser ! (il
tire sa gourde,) A ta santé la bourgeoise !
' (un silence), que je suis donc bête, vlà
quejepleure ! allons allons : (il fredonne.)
En me voyant sous l'habit militaire
Rappelons-nous qu'ici nous sons soldat.
D'ailleurs, il n'est que temps de faire
s harengs-
un somme, car, à quatre heures l'appel... (Il va se recoucher dans
son coin et cherche à Rendormir.)
pendulard, dans le lointain. — Bouml boum! piff paffl
bouta I
un garde national. — Allons! v'ià encore Bismark qui
tousse.
un autre garde nat.ônal. — S'il voulait seulement me
prendre pour médecin, c'est moi qui lui guérirait sa quinte en
un quart d'heure i
pendulard, 'jlaAi le lointain. — Boum! boum! piff paffl
boum !
trente - sous. —
Impossible de dor-
mir!;.. (Il se levé et
vient se remettre près
du feu. — En cher-
chant du papier pouf
faire une flambe, il
rainasse quelques pa-
ges " d'un- volume à
moitiédéchiré.)Qu'est-
ce que ce livre-là?..
l'Almanach de
Mathieu de la Drô-
nie... Et dire qu'il
y a des gens qui,'
tous les ans, achè-
tent ces bêtises-là,
et qui croient à ses
prédictions!.,. Un
tas de blagues !...
[Il jette l'Almanach
dans le feu et reste rêveur. Peu à peu le papier s'éteint et, au inilieu
de la fumée qui s'élève dans la cheminée, apparaît une ombre qui
se dresse devant Trente-sous à moitié eniormi, et lui dit : ) PoUr-
quoine me crois-tu pas ?
trente-sous, se réveillant à moitié. — Qui est là?
feu Mathieu de la brome. — L'almanach Mathieu de la
Drôme.
TRENTE-SOUS.—Ah 1 c'est le facteur qui vient pour ses étren-
nes ! Désolé, mon cher ami, mats Ce' sera pour Pâques, cette
année; tant espérer que les affaires auront repris...
peu Mathieu de la drôme —Tu te trompes; je sui3 Mathieu
de la Drôme, lui-même, ou plutôt son ombre. Tu no crois pas
à mes prédictions ! Plût à Dieu que ce soit tnoi qui me trompe;
car ca que j'annonce pour cette année est si terrible, ' si épou-
vantable que je n'ose moi-même y croire. — Malheureusement,
cela est écrit là haut, cela sera !
trente-sous. — Et quoi donc, s'il vous plaît, Monsieur
l'astrologue?
Tti ferais mieux
ne pas
FEU MATHIEU DE LA DROME.
m'interroger.,.
trente-sous. — Si, ma foi,
je ne serais pas fâché de sa-
voir... Tiens, par exemple,
cela ne doit pas être difficile
à une ombre d'entrer dans
la caisse d'un notaire. — Eh
bien ! qu'est-ce que c'est que
le fameux plan dépo:-é du
général Benuiton.
FEU MATHIEU DE LA DRÔME.
— Pourquoi plaisanter? .
trente-sous. — Tu as raison ; mais donne-moi au moins de
bonnes nouvelles de notrepauvre France, dis-moi >i ncus allons
pouvoir enfin sortir, voir les Prussiens en face, si l'heure de la
revanche est près de sonner.
FEU MATHIEU DE LA DROME. — Hélas !
trente-sous. — Pourquoi cette tristesse?
feu Mathieu de la drome. — Pourquoi? Ah! mou pauvre
Trente-sous, c'est que les malheurs que la France a soufferts
jusqu'ici ne sont rien en comparaison de ceux qui vont l'at-
teindre.
trente-sous. — Allons donc !
feu Mathieu de la drome. — Tu ne crois pas 1 eh bien 1
Ecoute un peu. (Il détache un feuillet de son almanach et lit) ;
PrédietàoasB pout l'année 18*i
JANVIER :
« rAu commencement de ce
« mois, plus de viande même de
« cheval, plus de lait pour les
« enfants ; les Parisiens mange-
« ront un peu de paille et de son
« tellement noir et gluant, que
« les chiens n'en voudraient pas .
« s'il y avait encore des
« chiens..... »
trente-sous.—Eh biennous
■ en mangerons, nous qui ne som-
mes pas des chiens.
FEU MATHIEU DE LA DROME
continuant. — « Les sorties annoncées contre les. Prussiens
« auront lieu. »
trente-sous. — Ah! enfin — et nous serons morts ou vic-
torieux.
feu Mathieu de la drome. — « Des morts ! oui, il y en
» aura beaucoup, surtout parmi les braves qui se feront tuer
» tout simplement sans l'avoir affiché d'avance à tous les
» coins de rue. — Victorieux I oui, les Parisiens le seront. »
trente-sous. — Ah! j'en étais eûrl
feu Mathieu de la DnOME. — « Mais, dès ou'ils seront vie-
» torieux, on les fera rentrer, parce que l'on veut que Paris
» capitule. »
trente-sous. — Bazaine est donc dans Paris.
peu Mathieu de la drome. — i Et l'on capitulera à la fin
» du mois. »
trente-sous, — Allons donc!
le yo.uce
FEU MATHIEU DE U DROME. —
« Et les Prussiens entreront, porte
« ouverte, dans les Champs-Ély-
« sées, exigeant deux,quatre, cinq
« milliards ! »
tbenïe-sOus.— Cinq milliards ! ! !
(après un instant'd'abattement.) E^
bien I après tout, ce n'est que de
l'argent — mais pas un pouce de
terrain, pasune pierre de nos forte-
resses...
FEU MATHIEU de la drome. — « Tous nos forts..., trente
» départements envahis, et la cession de l'Alsace et de la
» Lorraine.... » , ■< . --■■ : -
trente-sous, impatienté. — As-tu bientôt fini, vieux rado-
te"11' I ... . ■ '. ,". 9l
FEU MATHIEU DE LA
« drome. — Non, je n'ai
« pas fini, a Paris, en ré-
« compense de ses sacrifi-
« ces, de bes souffrances,
« Paris, dont les généraux
« ont trahi.,... le'courage,
« et qui a besoin, pour
«réparer ses pertes, pour
« reprendre ses affaires, de
r et tous ses enfants et de sa
« clientèle d'étrangers, Pa-
ix ris est décapitalisé, et
« tout le monde, gouverne-
« ment, députés, adminis-*
« trations, se transporte à
« Bordeaux, puis à VerJ
* saille», en attendaht-Fouilly-les-Oies 1 Le désespoir arrive, et
« bientôt la folie, le vertige. Paris subit un second siège, et
« cette fois.....par des Français. »
trente-sous, incrédule. — Allons donc !
Prussiens sont encore là.
pendant que les
PEU MATHIEU DE
la drome.— Cela ne
devait pas, ne pou-
vait pas durer. —
Mais ne soulevons
pas le voile de sang
qui s'étend là,'- de-
vant mes yeux, bou-
chons-nous les oreil-
les pour ne pas en-
tendre le sifflement
de cas obus et de
ces bombes fratri-
cides, pleurons no-
tre beau Paris dé-
sarmé, après s'être
suicidé, et qui, la
torche prétroleuse à
la main, a incendié
ses monuments, son Hôte'.-de-Ville, sa Légion-d'Honneur,
etc., etc.
tpente-sous, furieux.^Ah I c'en est trop ! Et c'est un Fran-
çais qui dit cela! Qu'il y ait des canailles, des sauvages dans
tous les partis, on ne le sait que tropI Mais que les Parisiens
brûlent leur Paris,tu en as menti! entends-tu! tuen as menti!
et si tu n'étais pas déjà mort... (Il donne un grand coup de pied
dans le feu qui se ranime vivement. :— La fumée se dissipe, l'ombre
disparaît.) Le voilà parti, ce prophète de malheur 1 qu'il re-
tourne au diable avec ses prédictions!... C'est égal, cela m'a
fait froid au cœur... Si c'était vrai. (Il reste réaeur.)
pendulard, dans le lointain. — Boum! boum! piff, paff,
boum !
trente-sous, se relevant en sursaut, — Ah! que ce canon soit
le bienvenu pour la première fois ! Quel horrible cauchemar
je viens défaire.
lu caporal de garde, entrant vivement. — Vite, deux hom-
mes de corvée pour porter un blessé à l'ambulance.
trente-sous, qui décroche son fusil. — Encore un!
le caporal. — Trente-Sous, ce n'est pas la peine d'emporter
ton fusil I
trente-sous. — Oh si! Avant qu'on me reprenne mon chas-
sepot, je serais si heureux de l'essayer sur un Prussien.
pendulard, dans le lointain. — Boum! boum I -
Tbente-sous, se retournant du côté oit l'on entend le canon. —
Mais venez donc, tas de lâches I que l'on puisse une'bonne fois
se voir d'homme à homme ! (/( sort.)
Fin du premier tableau.
DEUXIÈME TABLEAU
Dernière séance du Cofps Législatifs
...... . . .
.........
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THÉÂTRE DE L'ECLIPSE
Dimanohe 3 1 décembre 1871
Au bénéfice de M'" ANÀ3TASIE
Â
PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE
Kevue satirique en trois tableaux, avec couplets
PREMIER TABLEAU
Le Jour de l'Ail aux Tranchées
La scène se passe dans une maison abandonnée, près du fort d'Auber-
villiers.
Le théâtre représente une grande chambre tonte nue, qui a peut-être
été un salon, car il y a encore des restes de glace au-dessus de la
chcminéiî.
Le feu qui se rûeutt laisse de temps à autre échapper une lueur qui
éclaire ube escouade de gar:!es nationaux, endormis çà et là dans
leurs couvertures.
un gaRde HatiOnal. —Brrr! qu'il fait froid I Dis-done,
Trente-Bous, toi qui es le plus près de la cheminée, ranime donc
un peu le feu I
TRENTE-SOES. — Et du bois?
UN autbe garde national. — Regarde dans le eoin, il doit y
avoir eneore Une marche de l'escalier.
TRENTÈ-S'OUS, qui s'est soulevé et arrange le feu. — Ça Ta lieu I
Hier les persiei nés, aujourd'hui l'escalier?
un garde national, bougonnant. — Faut-il pas mourir do
froid?... du laisser cela aux Prussiens ?
trente 8&Ù6-. •—- Je ne dis pas ça. Mais an moins ne brûlez
pas la tastpe j Bous pourrons encore descendre a cheval
dessus:
le CAPÛltAi. DE GARDE entrant avec quelques factionnaires ^rela-
tants aiiiwhî se toucher sans mot di-e. — N°5 8, 9, 10, et 11, al-
lons, là faction de minuit I
(Les fardes hatimtavx appelés se lèvent plus ou moins vile, et sor-
tent sait* fàrt ït'ort plus un moi.)
trëStë-sôûS-. — Minuit 1 Ainsi nous voici maintenant au 1"
janvier Icftl. Adieu 1870 l Adieu année maudite! année de sang
et de ht&ate ! — Minuit 1 qu'est-ce que je faisais donc l'année
dernière * minuit? je me rappelle ! Le patron avait lâché une
gratifiâtes, et moi j'avais pajé l'Ambigu à la bourgeoise ;
le soir en rentrant nous avions soupe; j'étais tout .gai, je ne
sais pan quelle grosse bêtise je lui dis ; elle de rire tant que le
petit se revfeiile, et croyant que le matin est arrivé... le voilà
qui se met sur «on séant et qui chante :
Petit pap*, c'est aujourd'hui ta fête!
et puis...« oà sont les joujoux que tu m'as achetés?» Pauvre
petit I nous m le réveillerons pas cette nuit... et tout-ï-l'heure
la mère va se lever pour aller faire deux heures de queue à la
boucherie... Pourvu qu'on ne lui donne pas encore
saurs 1 C'est égal, les braves femmes
que nos Parisiennes! Et dire que nous
nous plaignons, nous autres)- sans elles,
qu'est-ce qut. notas serions devenus?
Quelle résignation ! quel dévouement —
sortir tous le3 matins par la pluie, par
la neige et toujours rentrer avec quel-
que chose à la maison ; et quand nous
sommes de garde, toujours une petite
réserve ; au départ, pas une larme,
et au retour, quel bon gros baiser ! (il
tire sa gourde,) A ta santé la bourgeoise !
' (un silence), que je suis donc bête, vlà
quejepleure ! allons allons : (il fredonne.)
En me voyant sous l'habit militaire
Rappelons-nous qu'ici nous sons soldat.
D'ailleurs, il n'est que temps de faire
s harengs-
un somme, car, à quatre heures l'appel... (Il va se recoucher dans
son coin et cherche à Rendormir.)
pendulard, dans le lointain. — Bouml boum! piff paffl
bouta I
un garde national. — Allons! v'ià encore Bismark qui
tousse.
un autre garde nat.ônal. — S'il voulait seulement me
prendre pour médecin, c'est moi qui lui guérirait sa quinte en
un quart d'heure i
pendulard, 'jlaAi le lointain. — Boum! boum! piff paffl
boum !
trente - sous. —
Impossible de dor-
mir!;.. (Il se levé et
vient se remettre près
du feu. — En cher-
chant du papier pouf
faire une flambe, il
rainasse quelques pa-
ges " d'un- volume à
moitiédéchiré.)Qu'est-
ce que ce livre-là?..
l'Almanach de
Mathieu de la Drô-
nie... Et dire qu'il
y a des gens qui,'
tous les ans, achè-
tent ces bêtises-là,
et qui croient à ses
prédictions!.,. Un
tas de blagues !...
[Il jette l'Almanach
dans le feu et reste rêveur. Peu à peu le papier s'éteint et, au inilieu
de la fumée qui s'élève dans la cheminée, apparaît une ombre qui
se dresse devant Trente-sous à moitié eniormi, et lui dit : ) PoUr-
quoine me crois-tu pas ?
trente-sous, se réveillant à moitié. — Qui est là?
feu Mathieu de la brome. — L'almanach Mathieu de la
Drôme.
TRENTE-SOUS.—Ah 1 c'est le facteur qui vient pour ses étren-
nes ! Désolé, mon cher ami, mats Ce' sera pour Pâques, cette
année; tant espérer que les affaires auront repris...
peu Mathieu de la drôme —Tu te trompes; je sui3 Mathieu
de la Drôme, lui-même, ou plutôt son ombre. Tu no crois pas
à mes prédictions ! Plût à Dieu que ce soit tnoi qui me trompe;
car ca que j'annonce pour cette année est si terrible, ' si épou-
vantable que je n'ose moi-même y croire. — Malheureusement,
cela est écrit là haut, cela sera !
trente-sous. — Et quoi donc, s'il vous plaît, Monsieur
l'astrologue?
Tti ferais mieux
ne pas
FEU MATHIEU DE LA DROME.
m'interroger.,.
trente-sous. — Si, ma foi,
je ne serais pas fâché de sa-
voir... Tiens, par exemple,
cela ne doit pas être difficile
à une ombre d'entrer dans
la caisse d'un notaire. — Eh
bien ! qu'est-ce que c'est que
le fameux plan dépo:-é du
général Benuiton.
FEU MATHIEU DE LA DRÔME.
— Pourquoi plaisanter? .
trente-sous. — Tu as raison ; mais donne-moi au moins de
bonnes nouvelles de notrepauvre France, dis-moi >i ncus allons
pouvoir enfin sortir, voir les Prussiens en face, si l'heure de la
revanche est près de sonner.
FEU MATHIEU DE LA DROME. — Hélas !
trente-sous. — Pourquoi cette tristesse?
feu Mathieu de la drome. — Pourquoi? Ah! mou pauvre
Trente-sous, c'est que les malheurs que la France a soufferts
jusqu'ici ne sont rien en comparaison de ceux qui vont l'at-
teindre.
trente-sous. — Allons donc !
feu Mathieu de la drome. — Tu ne crois pas 1 eh bien 1
Ecoute un peu. (Il détache un feuillet de son almanach et lit) ;
PrédietàoasB pout l'année 18*i
JANVIER :
« rAu commencement de ce
« mois, plus de viande même de
« cheval, plus de lait pour les
« enfants ; les Parisiens mange-
« ront un peu de paille et de son
« tellement noir et gluant, que
« les chiens n'en voudraient pas .
« s'il y avait encore des
« chiens..... »
trente-sous.—Eh biennous
■ en mangerons, nous qui ne som-
mes pas des chiens.
FEU MATHIEU DE LA DROME
continuant. — « Les sorties annoncées contre les. Prussiens
« auront lieu. »
trente-sous. — Ah! enfin — et nous serons morts ou vic-
torieux.
feu Mathieu de la drome. — « Des morts ! oui, il y en
» aura beaucoup, surtout parmi les braves qui se feront tuer
» tout simplement sans l'avoir affiché d'avance à tous les
» coins de rue. — Victorieux I oui, les Parisiens le seront. »
trente-sous. — Ah! j'en étais eûrl
feu Mathieu de la DnOME. — « Mais, dès ou'ils seront vie-
» torieux, on les fera rentrer, parce que l'on veut que Paris
» capitule. »
trente-sous. — Bazaine est donc dans Paris.
peu Mathieu de la drome. — i Et l'on capitulera à la fin
» du mois. »
trente-sous, — Allons donc!
le yo.uce
FEU MATHIEU DE U DROME. —
« Et les Prussiens entreront, porte
« ouverte, dans les Champs-Ély-
« sées, exigeant deux,quatre, cinq
« milliards ! »
tbenïe-sOus.— Cinq milliards ! ! !
(après un instant'd'abattement.) E^
bien I après tout, ce n'est que de
l'argent — mais pas un pouce de
terrain, pasune pierre de nos forte-
resses...
FEU MATHIEU de la drome. — « Tous nos forts..., trente
» départements envahis, et la cession de l'Alsace et de la
» Lorraine.... » , ■< . --■■ : -
trente-sous, impatienté. — As-tu bientôt fini, vieux rado-
te"11' I ... . ■ '. ,". 9l
FEU MATHIEU DE LA
« drome. — Non, je n'ai
« pas fini, a Paris, en ré-
« compense de ses sacrifi-
« ces, de bes souffrances,
« Paris, dont les généraux
« ont trahi.,... le'courage,
« et qui a besoin, pour
«réparer ses pertes, pour
« reprendre ses affaires, de
r et tous ses enfants et de sa
« clientèle d'étrangers, Pa-
ix ris est décapitalisé, et
« tout le monde, gouverne-
« ment, députés, adminis-*
« trations, se transporte à
« Bordeaux, puis à VerJ
* saille», en attendaht-Fouilly-les-Oies 1 Le désespoir arrive, et
« bientôt la folie, le vertige. Paris subit un second siège, et
« cette fois.....par des Français. »
trente-sous, incrédule. — Allons donc !
Prussiens sont encore là.
pendant que les
PEU MATHIEU DE
la drome.— Cela ne
devait pas, ne pou-
vait pas durer. —
Mais ne soulevons
pas le voile de sang
qui s'étend là,'- de-
vant mes yeux, bou-
chons-nous les oreil-
les pour ne pas en-
tendre le sifflement
de cas obus et de
ces bombes fratri-
cides, pleurons no-
tre beau Paris dé-
sarmé, après s'être
suicidé, et qui, la
torche prétroleuse à
la main, a incendié
ses monuments, son Hôte'.-de-Ville, sa Légion-d'Honneur,
etc., etc.
tpente-sous, furieux.^Ah I c'en est trop ! Et c'est un Fran-
çais qui dit cela! Qu'il y ait des canailles, des sauvages dans
tous les partis, on ne le sait que tropI Mais que les Parisiens
brûlent leur Paris,tu en as menti! entends-tu! tuen as menti!
et si tu n'étais pas déjà mort... (Il donne un grand coup de pied
dans le feu qui se ranime vivement. :— La fumée se dissipe, l'ombre
disparaît.) Le voilà parti, ce prophète de malheur 1 qu'il re-
tourne au diable avec ses prédictions!... C'est égal, cela m'a
fait froid au cœur... Si c'était vrai. (Il reste réaeur.)
pendulard, dans le lointain. — Boum! boum! piff, paff,
boum !
trente-sous, se relevant en sursaut, — Ah! que ce canon soit
le bienvenu pour la première fois ! Quel horrible cauchemar
je viens défaire.
lu caporal de garde, entrant vivement. — Vite, deux hom-
mes de corvée pour porter un blessé à l'ambulance.
trente-sous, qui décroche son fusil. — Encore un!
le caporal. — Trente-Sous, ce n'est pas la peine d'emporter
ton fusil I
trente-sous. — Oh si! Avant qu'on me reprenne mon chas-
sepot, je serais si heureux de l'essayer sur un Prussien.
pendulard, dans le lointain. — Boum! boum I -
Tbente-sous, se retournant du côté oit l'on entend le canon. —
Mais venez donc, tas de lâches I que l'on puisse une'bonne fois
se voir d'homme à homme ! (/( sort.)
Fin du premier tableau.
DEUXIÈME TABLEAU
Dernière séance du Cofps Législatifs
...... . . .
.........