L'ÉCLIPSÉ
NOS DESSUS SUPPRIMÉS
A propos de la suppression de nos derniers dessins, sup
lion qui intéresse, selon nous, la liberté de la presse,
j derniers dessins, suppres
sion qui intéresse, selon nous, la liberté de la presse, nous
avons adressé à Versailles la lettre ci-après
« Paris, 17 ianvier 1872.
» A Monsieur Casimir Pérkr, ministre de Vintérieur.
» Monsieur le ministre,
» Sous le régime exceptionnel de l'état de siège, qui lui en-
lève ses garanties ordinaires, le journaliste ne sait vraiment
à qui en appeler, quand de mesquines persécutions s'achar-
nent contre lui.
» Cependant, je me rappelle que le bon plaisir du dernier Em-
pire procédait à ses iniques suppressions, contre mon journal
la Lune (devenu depuis l'Eclipsé), par la voie du ministère de l'In-
térieur.
» C'est pourquoi je suppose aujourd'hui, monsieur le Minis-
tre, qu'il faut adresser mes réclamations au chef suprême du
département précité, puisque les mêmes faits criants se repro-
duisent, vis-à-vis de VEclipse, sous le gouvernement répu-
blicain.
» D'ailleurs, en me souvenant aussi du nom célèbre que vous
portez, celui du plus ferme et du plus illustre défenseur de la
liberté dans la légalité à une autre époque agitée ; en me
disant que vous, son d«gne héritier, vous avez toujours noble-
ment et énergiquemnt combattu les abus du pouvoir autori-
taire, — je n'en remettrais pas moins ma cause entre vos
mains, ne dépendit-elle point directement de vos attributions
ministérielles.
Depuis sa réapparition, en juin dernier, — après que son'ré-
dacteur en chef eut failli servir d'otage à la Commune, —1*2-
clipse voit, presque chaque quinzaine, ses dessins supprimés par
refus d'autorisation préalable, au préjudice de ses intérêts finan-
ciers et autres, mais surtout à la violation flagrante des fran-
chises actuelles de la presse.
» En effet, et je ne saurais trop ;le répéter, monsieur le mi-
nistre, car c'est une lacune ou une anomalie législative : —
Pourquoi la pensée imprimée arrive-t-elle, sans entrave, jus-
qu'aux lecteurs, quand la pensée dessinée se trouve soumise à
«ne censure qui l'enlève arbitrai reniement au jugement du pu-
blic, et, de plus, à la responsabilité devant la loi?...
» Passant de la thèse générale à mon cas personnel, j'ajoute :
— Lorsque, par deux fois, j'ai traduit minutieusement, avec la
plume, ce que le censeur du crayon m'interdisait de publier;
pourquoi cette traduction, parue dans Y Eclipse, ne lui a-t-elle
pas attiré les rigueurs compétentes, si l'Idée du dessinateur, ex-
pliquéd par le rédacteur, était réellement séditieuse ou immo-
rale ?
» A ce propos, monsieur le ministre, j'invoque votre impar-
tialité ; En quoi mon dernier dessin interdit, intitulé Pile et
Face, était-il assez... subversif, pour mériter sa mise à V Index *
Il symbolisait le récent conflit entre un prélat très-connu et un
philosophe distingué, conflit dont presque tous les organes de
la publicité se sont occupés, — et plusieurs avec beaucoup
moins de ménagements que le dessinateur de VEclipse. En effet,
pour ne pas offrir aux regards un costume considéré vulgaire-
ment comme sacré, M. Gill avait remplacé'la charge d'un des
deux personnages réels, parla silhouette typique de Bazile.
i) Hem arquez-le bien, monsieur le ministre, toutes les sup-
pressions qui frappent ma publication illustrée, s'adressent à
des sujets où sont pris à partie les ennemis de l'état de choses
que vous servez ; — et je défie de prouver que les dessins con-
damnés outrepassent les immunités de la caricature, cette co-
médie du crayon, cette forme essentiellement française de
corriger les mœurs et les hommes par le rire ou le ridicule.
» Hier, c'était l'intolérance cléricale qu'on nous défendait de
railler ; la semaine précédente, il s'agissait de rendra inviola-
bles pour nous les prétentions du parti orléaniste ; enfin, depuis
plus de six mois, je sollicite vainement la levée du veto ayant
trait à une charge de l'homme de Sedan, — si justement flétri,
en toute occasion, par M. le président de la République fran-
çaise,— charge qui représente l'auteur des désastres de-la
France., essayant de se jucher sur la colonne brisée de Napo-
léon I«.
» Si je réclame contre ces décisions arbitraires, — l'inter-
médiaire officiel qui me les communique, répond qu'elles
partent de haut lieu, et qu'à M. Thiers en personne remonte
leur responsabilité 1
)i N'est-il pas plus que déplacé, de mêler ainsi, le respec-
table chef de l'Etat à dépareilles tracasseries?— et de le
montrer descendant de ses hautes et. patriotiques occupations,
jusqu'à persécuter un infiniment petit du journalisme comme
V Eclipse,
» Non, Monsieur le ministre, ni l'éminent président de la Ré-
publique, ni vous, son libéral coopérateur, vous n'entrez pour
rien dans ces procédés impérialistes dont j'ai à me plaindre.
» C'est aux rancunes occultes des séides du passé, des ca-
méléons du présent, que VEclipse demande à se soustraire :
t> L'Eclipsé, journal républicain et patriote, proscrit en Alsace-
Lorraine, malgré son intimité, par l'envahisseur prussien, jour-
nal tout dévoué en outre à l'essai sincère de ce grand homme
d'Etat qui a nom M. Thiers ; — VEclipse que d'obscurs agents,
d'infidèles traducteurs de l'inspiration gouvernementale tra-
quent indignement malgré son dévouement et son patriotisme.
» L'Éclipsé, qui, malgré ses 18,000 fr. de cautionnement, n'a
pas la permission bureaucratique de traiter en riant, à ses risques
et périls, de certaines matières politiques ou philosophiques,
quand elle l'essaie avec le crayon au lieu de la plume.
» Monsieur le ministre de l'intérieur, je réclame, en consé-
quence, votre intervention, pour que mon journal rentre tout
entier .dans le droit commua., sous la législation qui régit la.
presse.
» Et comme c'est là une question d'équité, de loyauté et d'é-
galité légale, je ne saurais souhaiter, pour la cause de VEclipse,
un meilleur patronage que le vôtre.
» Daignez agréer, monsieur le ministre, l'hommage de ma res-
pectueuse considération.»
F. Polo.
-—~^A}\fW*------
LES ÉTATS GÉNÉRAUX DE VERSAILLES
Il est minuit,. l'heure des rendez-vous monarchiques dans le
troisième dessous du théâtre... Une séance-nocturne à cent
quinze voix est annoncée depuis le jour des rois... Elle va s'ou-
vrir... le chef d'orchestre a préludé.
On attend le monarque, avec anxiété.
Les députés de la noblesse et du clergé décident qu'on ad-
mettra, pour cette nuit seulement, les députés du tiers-état..,
mais qu'il ne sera pas fait lecture des cahiers de doléances...
ces Cahiers étant rédigés sur papier libre.
Comme le' monarque se fait attendre, malgré la politesse or-
dinaire des souverains, l'on procède à l'élection du bureau.
Sont élus :
Président : Siéyès.
Membres du bureau : Talleyrand, Dumouriez, Berchiny, de
1 milliard
18 milliards
S milliards
2 milliards
500 millions
L'abbé Duloup allait obtenir la parole, lorsque paraît un
maître des cérémonies.
Il vient excuser le monarque de son absence, pour cause d'in-
disposition majeure.
Mais il apporte sur un coussinet vert et or la carte du règne,
la carte à payer.
Cette carte se compose de cinquante-deux rames de papier
de Hollande, format du deux décembre, des papeteries de
Sedan.
Le maître des cérémonies la dépose sur le bureau et se
retire à reculons , en faisant les soixante - douze saluts
d'usage.
L'Assemblée décide, sur la proposition de l'abbé Duloup,
que la carte à payer sera examinée, toute affaire cessante.
Une commission est immédiatement nommée pour faire un
rapport sur la carte à payer.
Le rapport était prêt d'avance : il en est donné lecture par
l'abbé Duloup.
Ea voici le résumé :
Pour avoir régné, le monarque et sa famille : cinquante mil-
lions par an; ci, pour yingt années de règrie
glorieux.............
Pour avoir exercé, équipé, armé et préparé
les troupes : neuf cent millions par an; ci, pour
vingt années d'exercices, équipements, arme-
ments et préparations de tout genre, ci.
Pour avoir fait l'utile expédition de Rome
et autres expéditions habiles, profitables à
la gloire nationale........
Pour avoir assuré à l'étranger nos alliances
Pour avoir détruit les républicains en
France............f
Total........ 29 milliards 500 millions.
le président sieyès. — Messieurs de la Commission, il doit
y avoir erreur.
l'abbé d-uloup. — En effet, Monsieur le président, voici le
maître des cérémonies qui paraît,... il est très-ému.
le maître des Cérémonies. — Gomment oserais-je dire a
son Excellence... à sa Grandeur... à son Éminence... àsa Prési-
dence Monsieur le Président q,ue j'ai commis une distraction
dont je suis inconsolable.,. Je me suis trompé de couloir...
Ceite note était destinée à l'assemblée qui siège dans la salle.
(Il emporte la carte à payer, en faisant les soixante-quinze sa-
luts d'usage.)
le président sieyès, avec un soupir de soulagement. — Il me
semblait, en effet, Messieurs, que le règne de notre monarque
n'avait pas coûté si cher aux contribuables.
(En ce moment, des visiteurs inattendus entrent dans le
troisième dessous de la séance. Parmi eux, se distinguant
Danton, Saint-Jus£, Carnot ; à leur suite Paul-Louis Courrier,
Manuel, Armand Carrel, Flocon, Martin Bernard )
« La monarchie, s'écrie Martin Bernard, a coûté, depuis
qu'elle existe, cent cinquante milliards à la France, sans comp-
ter le sang et les larmes. » — Vous n'avez pas la parole, je vous
rappelle à l'ordre, rugit Sieyès.
Les visiteurs inattendus se sont à peine retirés, que les dépu-
tés de la noblesse et du clergé appellent sur les Républicains
les foudres du ciel. Le tonnerre gronde, et le deuxième dessous
s'écroule sur le troisième dessous, écrasant la séance nocturne.
On est à la recherche de Sieyès, de Dumouriez, de Berchiny, de
De Broglie, de l'abbé Duloup.
J'âl HEÇU VOTRE HONORÉE DU.....
PETIT COURRIER
Monsieur gobineau, à Brives.
Vous me demandez, Monsieur, ce que je pense de la proposi-
tion du député Jean Brunet, qui prétend sauver la France en
la vouant au Christ et en bâtissant sur les hauteurs du Troca-
déro un temple qui portera la devise : Dieu protège la France I...
A la réception de votre lettre, je me suis mis à creuser la
chose.
Vous ne vous douteriez jamais du mal que j'ai eu et de la
masse de documenta philosophiques que j'ai dû remuer pour
arriver à me faire une eonviotion dans cette question si grave.
qui
Enfin, mon opinion est faite ; la voici :
Je pense, monsieur Gobineau, qu'en août, les t
iraient à la messe à ce temple-là n'auraient pas froid
A propos... vous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain ?
Voila onze jours qu'il est parti pour aller nous chercher l'As"
semblée à Versailles. Nous sommes très inquiets.
Recevez, monsieur...
Madame coolangeac, à Tulle.
Oui, madame, oui... on vous a dit vrai. M. Michot a été
obligé de résilier son engagement à l'Opéra, à cause de se-
opinions politiques qui scandalisaient, dit-on, les abonnés à
gilet en cœur de cet établissement subventionné par tous les
contribuables, même par ceux qui ont passé huit mois sur les
pontons.
M. Halanzier a engagé pour le remplacer le ténor Trinquier
qui possède deux organes ; l'un avec lequel il chante et qui est
plus que mauvais.
L'autre, auquel il est abonné (la Patrie) qui M yest
moins. ^
C'est ce dernier qui lui a valu les bonnes grâces du directeur
rural de l'Opéra, théâtre subventionné par tous les contribua-
bles, même par ceux, etc., etc. (voir plus haut )
Oui, madame... oui.,, nous en sommes-là. Ne vous étonnez
pas si un de ces jours vous lisez dans les échos des théâtres d'un
journal bien pensant la nouvelle suivante :
On parle beaucoup, depuis quelques jours, d'une trouvaille de
M. Halanzier ; il s'agit d'un baryton merveilleux, qui n'a pas le
moindre talent, mais qui adore M. Thiers. À la suite d'une conver-
sation politique que le directeur de l'Opéra a eue avec cet artiste re-
marquable, il l'a engagé pour cinq années aux appointements de
90,000 francs par an, plus 500 francs de feux pour chaque élec-
tion.
A propos... vous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain?
Voilà onze jours qu'il est parti de Paris pour aller nous cher-
cher l'Assemblée à Versailles... Nous sommes très-inquiets!
Agréez, madame, etc..
Monsieur Blaisin, à Montmorency.
Je vous trouve encore bien bon, vous!... Qu'est-ce que vous
voulez que j'y fasse?... Est-ce que c'est ma faute si l'on vient
de mettre les londrès à six sous?...
Vous prétendez que j'aurais dû avoir égard à ua vieil abonné
de fondation et vous prévenir la semaine dernière de cette aug-
mentation, afin que vous ayez le temps de faire votre provi-
sion.
D'abord, si vous aviez eu tant soit .peu de nez, vous auriez
prévu la chose. Vous paraissez un homme mûr et vous devez
savoir que chaque monarchie se traduit par une augmentation
d'un sou sur les cigares.
Sous Louis-Philippe, les londrès valaient quatre sous, il s'est
arrangé de façon à ce qu'ils en valent cinq'. Grâce à l'Empire
ils se vendent aujourd'hui six, et les vieux de l'Assemblée po-
tagère de Versailles sont actuellement en train de se manger le
nez pour savoir quel est le bonhomme qui nous les fera payer
sept dans trois mois.
On ne sait pas encore lequel ; mais quant aux sept sous, cela
ne fait pas un doute.
C'est réglé comme le papier à musique- : un sou de plus par
dynastie.
Veuillez donc, je vous prie, monsieur Blaisin, me laisser
tranquille, et vous estimer heureux que le londrès n'ait pas été
inventé sous Pharamond. A un sou par monarque, vous les
payeriez aujourd'hui trois francs soixante la pièce, et moi aussi,
du reste; ce que je considérerais comme bien plus déplorable
encore.
A propos... vous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain? Voilà
onze jours qu'il est parti de Paris pour aller nous chercher.
l'Assemblée à Versailles... Nous sommes très inquiets.
J'ai l'honneur, etc... etc...
Monsieur Fob.temic.he, à Sainl-Ètitnne.
Malheureux !... Vous osez me demander d'insérer dans VE-
clipse un sonnet contre Bismark'!... Vous voulez donc exposer la
France aux horreurs d'une nouvelle invasion!...
Ignorez-vous que le grand chancelier, nommé tout récemment
prince de Cadranzollehn par son souverain, ne cherche qu'un
prétexte pour nous demander de nouveaux et nombreux mil-
liards!...
Tenez .. jeune téméraire!.,, lisez et tremblez!... •
Une dépêche d'Allemagne nous apporte la nouvelle sui-
vante :
« Décidément, ces Français sont d'une mauvaise foi inique!..
« Sur 280,000 pendules rapportées de la dernière campagne par
« nos troupes, il y a dix-huit mois, 230,000 déjà sont arrêtées,
« sous prétexte qu'elles n'étaient garanties que deux ans.
« M. de Bismark prépare à ce sujet une nouvelle note diplo-
« matique, où cette nouvelle fourberie sera traitée comme il
« convient.
» Dans les départements encore occupés, pour chaque pen-
» dule qui s'arrêtera, on en fera autant à quinze notables fran-
» çais et on les retiendra en prison tant que la pendule n'aura
i pas remarché d'elle-même. »
Vous pouvez vous rendre compte maintenant, monsieur For-
temiche, où vous vouliez nous entrainer avec votre sonnet. N'y
revenez plus.
A propos... tous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain?...
Voilà onze jours qu'il est parti de Paris pour aller nous cher-
cher l'Assemblée à Versailles... Nous sommes très inquiets.
Veuillez agréer, etc., etc..
Monsieur gourlandOt à Rennes.
Vous m'envoyez, monsieur, copie de la proclamation adres-
7*&
G.OOo
1 "mil]
NOS DESSUS SUPPRIMÉS
A propos de la suppression de nos derniers dessins, sup
lion qui intéresse, selon nous, la liberté de la presse,
j derniers dessins, suppres
sion qui intéresse, selon nous, la liberté de la presse, nous
avons adressé à Versailles la lettre ci-après
« Paris, 17 ianvier 1872.
» A Monsieur Casimir Pérkr, ministre de Vintérieur.
» Monsieur le ministre,
» Sous le régime exceptionnel de l'état de siège, qui lui en-
lève ses garanties ordinaires, le journaliste ne sait vraiment
à qui en appeler, quand de mesquines persécutions s'achar-
nent contre lui.
» Cependant, je me rappelle que le bon plaisir du dernier Em-
pire procédait à ses iniques suppressions, contre mon journal
la Lune (devenu depuis l'Eclipsé), par la voie du ministère de l'In-
térieur.
» C'est pourquoi je suppose aujourd'hui, monsieur le Minis-
tre, qu'il faut adresser mes réclamations au chef suprême du
département précité, puisque les mêmes faits criants se repro-
duisent, vis-à-vis de VEclipse, sous le gouvernement répu-
blicain.
» D'ailleurs, en me souvenant aussi du nom célèbre que vous
portez, celui du plus ferme et du plus illustre défenseur de la
liberté dans la légalité à une autre époque agitée ; en me
disant que vous, son d«gne héritier, vous avez toujours noble-
ment et énergiquemnt combattu les abus du pouvoir autori-
taire, — je n'en remettrais pas moins ma cause entre vos
mains, ne dépendit-elle point directement de vos attributions
ministérielles.
Depuis sa réapparition, en juin dernier, — après que son'ré-
dacteur en chef eut failli servir d'otage à la Commune, —1*2-
clipse voit, presque chaque quinzaine, ses dessins supprimés par
refus d'autorisation préalable, au préjudice de ses intérêts finan-
ciers et autres, mais surtout à la violation flagrante des fran-
chises actuelles de la presse.
» En effet, et je ne saurais trop ;le répéter, monsieur le mi-
nistre, car c'est une lacune ou une anomalie législative : —
Pourquoi la pensée imprimée arrive-t-elle, sans entrave, jus-
qu'aux lecteurs, quand la pensée dessinée se trouve soumise à
«ne censure qui l'enlève arbitrai reniement au jugement du pu-
blic, et, de plus, à la responsabilité devant la loi?...
» Passant de la thèse générale à mon cas personnel, j'ajoute :
— Lorsque, par deux fois, j'ai traduit minutieusement, avec la
plume, ce que le censeur du crayon m'interdisait de publier;
pourquoi cette traduction, parue dans Y Eclipse, ne lui a-t-elle
pas attiré les rigueurs compétentes, si l'Idée du dessinateur, ex-
pliquéd par le rédacteur, était réellement séditieuse ou immo-
rale ?
» A ce propos, monsieur le ministre, j'invoque votre impar-
tialité ; En quoi mon dernier dessin interdit, intitulé Pile et
Face, était-il assez... subversif, pour mériter sa mise à V Index *
Il symbolisait le récent conflit entre un prélat très-connu et un
philosophe distingué, conflit dont presque tous les organes de
la publicité se sont occupés, — et plusieurs avec beaucoup
moins de ménagements que le dessinateur de VEclipse. En effet,
pour ne pas offrir aux regards un costume considéré vulgaire-
ment comme sacré, M. Gill avait remplacé'la charge d'un des
deux personnages réels, parla silhouette typique de Bazile.
i) Hem arquez-le bien, monsieur le ministre, toutes les sup-
pressions qui frappent ma publication illustrée, s'adressent à
des sujets où sont pris à partie les ennemis de l'état de choses
que vous servez ; — et je défie de prouver que les dessins con-
damnés outrepassent les immunités de la caricature, cette co-
médie du crayon, cette forme essentiellement française de
corriger les mœurs et les hommes par le rire ou le ridicule.
» Hier, c'était l'intolérance cléricale qu'on nous défendait de
railler ; la semaine précédente, il s'agissait de rendra inviola-
bles pour nous les prétentions du parti orléaniste ; enfin, depuis
plus de six mois, je sollicite vainement la levée du veto ayant
trait à une charge de l'homme de Sedan, — si justement flétri,
en toute occasion, par M. le président de la République fran-
çaise,— charge qui représente l'auteur des désastres de-la
France., essayant de se jucher sur la colonne brisée de Napo-
léon I«.
» Si je réclame contre ces décisions arbitraires, — l'inter-
médiaire officiel qui me les communique, répond qu'elles
partent de haut lieu, et qu'à M. Thiers en personne remonte
leur responsabilité 1
)i N'est-il pas plus que déplacé, de mêler ainsi, le respec-
table chef de l'Etat à dépareilles tracasseries?— et de le
montrer descendant de ses hautes et. patriotiques occupations,
jusqu'à persécuter un infiniment petit du journalisme comme
V Eclipse,
» Non, Monsieur le ministre, ni l'éminent président de la Ré-
publique, ni vous, son libéral coopérateur, vous n'entrez pour
rien dans ces procédés impérialistes dont j'ai à me plaindre.
» C'est aux rancunes occultes des séides du passé, des ca-
méléons du présent, que VEclipse demande à se soustraire :
t> L'Eclipsé, journal républicain et patriote, proscrit en Alsace-
Lorraine, malgré son intimité, par l'envahisseur prussien, jour-
nal tout dévoué en outre à l'essai sincère de ce grand homme
d'Etat qui a nom M. Thiers ; — VEclipse que d'obscurs agents,
d'infidèles traducteurs de l'inspiration gouvernementale tra-
quent indignement malgré son dévouement et son patriotisme.
» L'Éclipsé, qui, malgré ses 18,000 fr. de cautionnement, n'a
pas la permission bureaucratique de traiter en riant, à ses risques
et périls, de certaines matières politiques ou philosophiques,
quand elle l'essaie avec le crayon au lieu de la plume.
» Monsieur le ministre de l'intérieur, je réclame, en consé-
quence, votre intervention, pour que mon journal rentre tout
entier .dans le droit commua., sous la législation qui régit la.
presse.
» Et comme c'est là une question d'équité, de loyauté et d'é-
galité légale, je ne saurais souhaiter, pour la cause de VEclipse,
un meilleur patronage que le vôtre.
» Daignez agréer, monsieur le ministre, l'hommage de ma res-
pectueuse considération.»
F. Polo.
-—~^A}\fW*------
LES ÉTATS GÉNÉRAUX DE VERSAILLES
Il est minuit,. l'heure des rendez-vous monarchiques dans le
troisième dessous du théâtre... Une séance-nocturne à cent
quinze voix est annoncée depuis le jour des rois... Elle va s'ou-
vrir... le chef d'orchestre a préludé.
On attend le monarque, avec anxiété.
Les députés de la noblesse et du clergé décident qu'on ad-
mettra, pour cette nuit seulement, les députés du tiers-état..,
mais qu'il ne sera pas fait lecture des cahiers de doléances...
ces Cahiers étant rédigés sur papier libre.
Comme le' monarque se fait attendre, malgré la politesse or-
dinaire des souverains, l'on procède à l'élection du bureau.
Sont élus :
Président : Siéyès.
Membres du bureau : Talleyrand, Dumouriez, Berchiny, de
1 milliard
18 milliards
S milliards
2 milliards
500 millions
L'abbé Duloup allait obtenir la parole, lorsque paraît un
maître des cérémonies.
Il vient excuser le monarque de son absence, pour cause d'in-
disposition majeure.
Mais il apporte sur un coussinet vert et or la carte du règne,
la carte à payer.
Cette carte se compose de cinquante-deux rames de papier
de Hollande, format du deux décembre, des papeteries de
Sedan.
Le maître des cérémonies la dépose sur le bureau et se
retire à reculons , en faisant les soixante - douze saluts
d'usage.
L'Assemblée décide, sur la proposition de l'abbé Duloup,
que la carte à payer sera examinée, toute affaire cessante.
Une commission est immédiatement nommée pour faire un
rapport sur la carte à payer.
Le rapport était prêt d'avance : il en est donné lecture par
l'abbé Duloup.
Ea voici le résumé :
Pour avoir régné, le monarque et sa famille : cinquante mil-
lions par an; ci, pour yingt années de règrie
glorieux.............
Pour avoir exercé, équipé, armé et préparé
les troupes : neuf cent millions par an; ci, pour
vingt années d'exercices, équipements, arme-
ments et préparations de tout genre, ci.
Pour avoir fait l'utile expédition de Rome
et autres expéditions habiles, profitables à
la gloire nationale........
Pour avoir assuré à l'étranger nos alliances
Pour avoir détruit les républicains en
France............f
Total........ 29 milliards 500 millions.
le président sieyès. — Messieurs de la Commission, il doit
y avoir erreur.
l'abbé d-uloup. — En effet, Monsieur le président, voici le
maître des cérémonies qui paraît,... il est très-ému.
le maître des Cérémonies. — Gomment oserais-je dire a
son Excellence... à sa Grandeur... à son Éminence... àsa Prési-
dence Monsieur le Président q,ue j'ai commis une distraction
dont je suis inconsolable.,. Je me suis trompé de couloir...
Ceite note était destinée à l'assemblée qui siège dans la salle.
(Il emporte la carte à payer, en faisant les soixante-quinze sa-
luts d'usage.)
le président sieyès, avec un soupir de soulagement. — Il me
semblait, en effet, Messieurs, que le règne de notre monarque
n'avait pas coûté si cher aux contribuables.
(En ce moment, des visiteurs inattendus entrent dans le
troisième dessous de la séance. Parmi eux, se distinguant
Danton, Saint-Jus£, Carnot ; à leur suite Paul-Louis Courrier,
Manuel, Armand Carrel, Flocon, Martin Bernard )
« La monarchie, s'écrie Martin Bernard, a coûté, depuis
qu'elle existe, cent cinquante milliards à la France, sans comp-
ter le sang et les larmes. » — Vous n'avez pas la parole, je vous
rappelle à l'ordre, rugit Sieyès.
Les visiteurs inattendus se sont à peine retirés, que les dépu-
tés de la noblesse et du clergé appellent sur les Républicains
les foudres du ciel. Le tonnerre gronde, et le deuxième dessous
s'écroule sur le troisième dessous, écrasant la séance nocturne.
On est à la recherche de Sieyès, de Dumouriez, de Berchiny, de
De Broglie, de l'abbé Duloup.
J'âl HEÇU VOTRE HONORÉE DU.....
PETIT COURRIER
Monsieur gobineau, à Brives.
Vous me demandez, Monsieur, ce que je pense de la proposi-
tion du député Jean Brunet, qui prétend sauver la France en
la vouant au Christ et en bâtissant sur les hauteurs du Troca-
déro un temple qui portera la devise : Dieu protège la France I...
A la réception de votre lettre, je me suis mis à creuser la
chose.
Vous ne vous douteriez jamais du mal que j'ai eu et de la
masse de documenta philosophiques que j'ai dû remuer pour
arriver à me faire une eonviotion dans cette question si grave.
qui
Enfin, mon opinion est faite ; la voici :
Je pense, monsieur Gobineau, qu'en août, les t
iraient à la messe à ce temple-là n'auraient pas froid
A propos... vous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain ?
Voila onze jours qu'il est parti pour aller nous chercher l'As"
semblée à Versailles. Nous sommes très inquiets.
Recevez, monsieur...
Madame coolangeac, à Tulle.
Oui, madame, oui... on vous a dit vrai. M. Michot a été
obligé de résilier son engagement à l'Opéra, à cause de se-
opinions politiques qui scandalisaient, dit-on, les abonnés à
gilet en cœur de cet établissement subventionné par tous les
contribuables, même par ceux qui ont passé huit mois sur les
pontons.
M. Halanzier a engagé pour le remplacer le ténor Trinquier
qui possède deux organes ; l'un avec lequel il chante et qui est
plus que mauvais.
L'autre, auquel il est abonné (la Patrie) qui M yest
moins. ^
C'est ce dernier qui lui a valu les bonnes grâces du directeur
rural de l'Opéra, théâtre subventionné par tous les contribua-
bles, même par ceux, etc., etc. (voir plus haut )
Oui, madame... oui.,, nous en sommes-là. Ne vous étonnez
pas si un de ces jours vous lisez dans les échos des théâtres d'un
journal bien pensant la nouvelle suivante :
On parle beaucoup, depuis quelques jours, d'une trouvaille de
M. Halanzier ; il s'agit d'un baryton merveilleux, qui n'a pas le
moindre talent, mais qui adore M. Thiers. À la suite d'une conver-
sation politique que le directeur de l'Opéra a eue avec cet artiste re-
marquable, il l'a engagé pour cinq années aux appointements de
90,000 francs par an, plus 500 francs de feux pour chaque élec-
tion.
A propos... vous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain?
Voilà onze jours qu'il est parti de Paris pour aller nous cher-
cher l'Assemblée à Versailles... Nous sommes très-inquiets!
Agréez, madame, etc..
Monsieur Blaisin, à Montmorency.
Je vous trouve encore bien bon, vous!... Qu'est-ce que vous
voulez que j'y fasse?... Est-ce que c'est ma faute si l'on vient
de mettre les londrès à six sous?...
Vous prétendez que j'aurais dû avoir égard à ua vieil abonné
de fondation et vous prévenir la semaine dernière de cette aug-
mentation, afin que vous ayez le temps de faire votre provi-
sion.
D'abord, si vous aviez eu tant soit .peu de nez, vous auriez
prévu la chose. Vous paraissez un homme mûr et vous devez
savoir que chaque monarchie se traduit par une augmentation
d'un sou sur les cigares.
Sous Louis-Philippe, les londrès valaient quatre sous, il s'est
arrangé de façon à ce qu'ils en valent cinq'. Grâce à l'Empire
ils se vendent aujourd'hui six, et les vieux de l'Assemblée po-
tagère de Versailles sont actuellement en train de se manger le
nez pour savoir quel est le bonhomme qui nous les fera payer
sept dans trois mois.
On ne sait pas encore lequel ; mais quant aux sept sous, cela
ne fait pas un doute.
C'est réglé comme le papier à musique- : un sou de plus par
dynastie.
Veuillez donc, je vous prie, monsieur Blaisin, me laisser
tranquille, et vous estimer heureux que le londrès n'ait pas été
inventé sous Pharamond. A un sou par monarque, vous les
payeriez aujourd'hui trois francs soixante la pièce, et moi aussi,
du reste; ce que je considérerais comme bien plus déplorable
encore.
A propos... vous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain? Voilà
onze jours qu'il est parti de Paris pour aller nous chercher.
l'Assemblée à Versailles... Nous sommes très inquiets.
J'ai l'honneur, etc... etc...
Monsieur Fob.temic.he, à Sainl-Ètitnne.
Malheureux !... Vous osez me demander d'insérer dans VE-
clipse un sonnet contre Bismark'!... Vous voulez donc exposer la
France aux horreurs d'une nouvelle invasion!...
Ignorez-vous que le grand chancelier, nommé tout récemment
prince de Cadranzollehn par son souverain, ne cherche qu'un
prétexte pour nous demander de nouveaux et nombreux mil-
liards!...
Tenez .. jeune téméraire!.,, lisez et tremblez!... •
Une dépêche d'Allemagne nous apporte la nouvelle sui-
vante :
« Décidément, ces Français sont d'une mauvaise foi inique!..
« Sur 280,000 pendules rapportées de la dernière campagne par
« nos troupes, il y a dix-huit mois, 230,000 déjà sont arrêtées,
« sous prétexte qu'elles n'étaient garanties que deux ans.
« M. de Bismark prépare à ce sujet une nouvelle note diplo-
« matique, où cette nouvelle fourberie sera traitée comme il
« convient.
» Dans les départements encore occupés, pour chaque pen-
» dule qui s'arrêtera, on en fera autant à quinze notables fran-
» çais et on les retiendra en prison tant que la pendule n'aura
i pas remarché d'elle-même. »
Vous pouvez vous rendre compte maintenant, monsieur For-
temiche, où vous vouliez nous entrainer avec votre sonnet. N'y
revenez plus.
A propos... tous n'auriez pas de nouvelles de Vautrain?...
Voilà onze jours qu'il est parti de Paris pour aller nous cher-
cher l'Assemblée à Versailles... Nous sommes très inquiets.
Veuillez agréer, etc., etc..
Monsieur gourlandOt à Rennes.
Vous m'envoyez, monsieur, copie de la proclamation adres-
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