PRIMES DE L'ÉCLIPSÉ
!
1" prime : LA REVANCHK
L'idée qui fait bouillonner les cerveaux, l'espoir qui fait
bondir les cœurs ont pris, — sinon un corps, — un buste !...
La Revanche vit désormais, — dans le marbre et le stuc, —
celui-ci popularisant celui-là I
Un artiste a pétri pour nous cette image de nos rêves.
li'Éclipse offre à ses abonnés la statuette de la Revanche.
Chacun voudra avoir cette figure sous les yeux.
La statuette de la Revanche, avec son piédestal, prise dans
nos bureaux : 6 francs ; emballée avec soin et prêta à être ex-
pédiée : 7 francs.
Le port reste à la charge du destinataire.
2" prime : Album de la LUNE et de rÉCLIPSJB
Cent dessins les plus célèbres de Gill, réduits au moyen d'un
procédé graphique tout nouveau, formant un album élégant
et portatif.
Les dessins ainsi reproduits sont d'une délicatesse et d'une
fidélité parfaite, et de plus on les a finement coloriés.
Le prix de l'Album, pris au bureau, est de 6 francs. (Ajouter
1 franc pour le recevoir franco dans les départements.)
Nos lecteursn'ont pas oublié quelles vicissitudes... judiciaires
ont signalé, — en novembre dernier, — la publication de l'un
de nos dessins, intitulé : Ch...ose, par Gill.
Notre correspondant de Lille, M. Renaudin, libraire, avait
été condamné, par le tribunal de cette ville, à une amende de
cinquante francs, pour avoir mis en vente, dans cette localité,
le numéro incriminé, au moment où. l'autorisation venait de
nous en être retirée à Paris.
M. Renaudin a formé recours contre ce jugement devant la
Cour d'appel de Douai.
Son avocat, M. Allaert, a démontré que du moment où un
livre, journal, gravure, etc., soumis au contrôle de la direction
de la presse, obtenait l'autorisation préalable, et que le dépôt en
était fait légalement, l'objet avait son libre parcours. S'il plaît
à la censure de retirer cette autorisation, avant de pouvoir
poursuivre le vendeur, il faut qu'il soit prévenu ; s'il vend
après qu'on lui a annoncé le retrait d'autorisation, alors seu-
lement il y a contravention.
A Paris, le journal l'Éclipsé avait été autorisé le 20 janvier ;
le 22, à 8 heures 45, l'on notifiait officiellement à l'adminis-
tration du journal que l'autorisation était retirée. 1
A Lille, l'on a procédé autrement : l'on n'a pas prévenu, l'on
a saisi et poursuivi en même temps.
La Cour après cette plaidoirie, — lisons-nous dans l'Echo du
Nord du l«r février, — a mis l'affaire en délibéré et le jugement
au lendemain.
Et, hier, à l'ouverture de la séance, elle a prononcé un arrêt
motivé par lequel elle réforme le jugement du tribunal de Lille
qui avait condamné Renaudin, déboute le ministère public de
sa poursuite et prononce l'acquittement sans frais.
Nous sommes heureux de cette décision, — et c'est avec joie,
cette fois, que nous nous inclinons devant la chose jugée.
La Cour d'appel de Douai vient, en effet, de nous prouver
qu'il y a des juges... en province.
L'ÉSLIPSE.
ASSEMBLÉE NATIONALE
(compté rendu spécial de l'éclipsé)
Une des séances de la semaine dernière
Présidence de M. GrÉvy
La séance est ouverte à 2 heures 20. Lecture est donnée du
procès-verbal de la dernière séance, lequel est adopté sans
réclamation.
le général changarnier — dépose un projet de loi sur la
réorganisation de la parfumerie française.
m. de gavardie — dépose un projet de loi sur les journalis-
tes âgés de moins de 87 ans.
L'ordre du jour appelle ensuite la discussion des conclusions
du rapport de M. de S«gur au nom de la commission des mar-
chés. L'aâaire dite des lapins est particulièrement examinée.
Tout le monde se rappelle que dans le Midi, pendant la
guerre, on dut faire un achat considérable de lapins pour
nourrir les recrues arrivées au camp de ïartignac. Ce sont
précisément les marchés passés à cette occasion pour le compte
de l'État, du département et de la Commune que la Commis-
sion, après les avoir épluchés pendant deux ans sans y rien
trouver de répréhensible, veut soumettre à l'appréciation du
pays.
Comme on espère un scandale, les tribunes sont garnies de
dames qui feraient bien mieux de broder au plumetis chez
elles, et d'officiers excessivement, supérieurs.
Les princes d'Orléans (sept têtes sous le même bonnet) sont
assis à leur p aee.
m. le président grévy, après avoir doucement fait observer
que le temps devrait être employé à des choses bien autrement
utiles qu'une révision des marchés passés il y a deux ans,
donne la parole à M. Challemel-Lacour.
M. Challemer-Lacour est la personne que les commission-
naires de la droite ont le projet de mettre en accusation.
Mais laissons la parole aux orateurs :
m. ch. lacour. — Messieurs, je cuis mal portant. Pas tant
que l'Assemblée de Versailles néanmoins. J'en réchapperai, je
l'espère____
m. de gavardie. — Au fait!
m ch. lacour. — Je précise. Que me reproche-t-on? D'avoir
acheté 6,000 lapins....
m. de belcastel. — Il ne s'agit pas de lapins, il s'agit de
l'Internationale.
m. ch. lacour. — Pardon. C'est de lapins qu'il est question
dans le rapport.
m. de broglie. — Oui, de lapins! Nous avons les preuves en
main. — Les marché* sont passés sur du très-mauvais papier,
et, qu'on ne l'oublie pas, car c'est capital, il y avait un pâte sur
la dernière page.
m. ch. lacour. — Un pâté, soit; mais il ne venait pas de
Chartres où vous vous gobergiez, messieurs, pendant que j'or-
ganisais une légion de braves gens... (Tumulte à droite).
un membre. — Des braves gens 1 II leur fallait des lapins à
fricasser !
m. ch. lacour. — Messieurs, quand on voit des gens crever
de faim, et qu'on trouve des lapins à leur mettre sous la dent,
on n'hésite pas à leur offrir une gibelotte... ou un civet...
un membre. — Vous dilapidiez l'argent de la France. Les
lapins ont été payés 4 fr. 50 la pièce I C'est de la gabegie !
(Violente rumeur à gauche.)
m. ch. lacour. — Si j'avais eu des pains de seigle d'un sou,
je leur aurai donné des pains de seigle ; mais je n'avais que
des lapins, que le patriotisme des vendeurs m'offrait à 4,50 au
lieu de 1.75. J'ai pris les lapins. Et mes braves soldats ont pu
se restaurer. La France ne doit pas, deux ans après qu'une
gibelotte est mangée, la reprocher à ceux qui ont verse leur
sang pour la patrie (Applaudissements à gauche. La droite reste
immobile. .
un membre. - Passons aux marchés. Ce qu on a pu faire
pour la défense du pays ne nous regarde en aucune manière.
m. ch. lacour. — Les lapins furent donc achetés...
m. de gavardie. - Us étaient maigres I Le rapport le cons-
tate avec surprise.
m. ch. lacour. — Mieux vaut un lapin maigre que rien du
tout sous la dent.
un membre. - Garibaldi s'est fait une casquette avec la peau
des lapins 1 C'est infâme !
m. ch. lacour. - Ce n'est pas le Garibaldi de Caprera;
c'est un nommé Forédebondy, un ancien ami du régime tombe.
(Rumeurs d droite et au centre.)
m. de gavardie. — Il est clair qu'il y a eu malversation. On
n'achète pas des lapins maigres 4 fr. 50.
m. ch. lacour. — Demandez aux naufragés de la Méduse s ils
n'auraient pas payé un lapin, et même un chat, 4 fr. 50 haut
la main.
m. le président grévy. — J'engage l'orateur, qui est si maî-
tre de sa parole, à ne pas donner dans le genre gai.
un membre de la droite. - Alors, si le gouvernement dé-
fend la démagogie ! Où allons-nous?
m. ch. lacour. — Me prenez-vous pour un accusé ? Et vous,
que faisiez-vous au temps chaud? J'aurais bien voulu vous y
voir. Ce n'était pas de la Salette alors qu'il s'agissait. Il fallait
nourrir, Vêtir, armer des soldats. (Gris, exclamations frénéti-
ques à droite.)
m. le président grévy. — Messieurs, je lève la séance si on
ne parla pas plus souvent des lapins de Tartignac.
m. carayon-latour, — Un mot, messieurs ! Savez-vous ce
qu'on a voulu me faire, à moi, dans le Midi. On a voulu me
faire manger un lapin, à moi 1 (Etom'.mtnt général )
m. ch. lacour. — Je ne me rappelle pas ce fait. Mais,
qu'on le prouve. Demain, produisez la déclaration des cuisi-
niers de Tartignac. Et nous rirons !
toute la droite.(debout). — A l'ordre ! La clôture I
(La clôture est prononcée.)
Ernest d'HxRTtttr.
LE MONOPOLE DES MURAILLES
Il y a vraiment des jours où l'on se demande si la civilisa-
tion de la France, dont nous nous montrions si fiers, ne con-
siste pas uniquement dans la forme de nos chapeaux.
Et si, à part cette supériorité — d'ailleurs très-contestable
— sur les orangs-outangs, nous avons seulement sur eux celle
du simple sens commun.
Je suis dans un de ces jours-là.
*
Et ce qui m'y a plongé, c'est la nouvelle qu'un de nos dé-
putés, M. Millaud, je crois, se prépare à déposer sur le bureau
de l'Assemblée, un amendement ainsi conçu :
« Toutes les fois que l'Assemblée aura voté l'affichage d'un
» discours, cette décision comprendra de plein droit, la publi-
» cation officielle par le même moyen, de tous les débats rela-
is tifs à la question. »
* *
Un homme à qui l'on viendra dire brusquement l
— Vous savez... on va proposer une nouvelle loi pour que
deux pièces de vingt sous vaillent une pièce de deux francs I...
Ne serait pas plus ébahi que je l'ai été moi-même en appre-
nant qu'il fallait un décret pour qu'un discours de M. Gam-
betta, par exemple, répondant à un autre discours de M. Du-
faure, pût être affiché à côté de ce dernier.
Dans mon ignorance — disons mieux : dans ma naïveté w-
j'avais toujours cru que du moment où un industriel avait le
droit de coller sur les murs des morceaux de papier imprimé
où il est dit que le meilleur chocolat est le chocolat Perron, il
allait de soi qu'un second industriel pût prétendre, sur les
mêmes murs, que son chocolat est le chocolat le plus resplen-
dissant de tous les chocolats.
Et ainsi de suite.
» »
J'avoue que mon étonnement a été grand en apprenant qu'il
n'en était pas ainsi, et q° fallait une nouvelle loi pour déci-
der un point de jurisprudence qui me paraissait tout indiqué
par les règles les plus élémentaires de l'équité.
* *
Je suis bien forcé de Ie reconnaître, j'étais très-arriéré.
Aussi, ne plaiderais-je 1ue des circonstances atténuantes.
Il ne m'était pas entré un instant dans l'esprit que le gou-
vernement républicain, qui a répudié le système des candida-
tures officielles, eût pu conserver celui des discours qui ne sont
pas au coin du quai.
Et je ne m'étais jamais arrêté à cette idée baroque qu'un
orateur pût avoir besoin d'une autorisation spéciale pour coller
sur les murs un discours demandant, je supposera dissolution,
à côté d'un autre discours ne la demandant pas.
★ *
Voilà toute ma faute.
C'est d'avoir pensé que deux députés nommés tous deux par
le suffrage universel, avaient les mêmes droits l'un que l'autre.
Et qu'il n'était pas possible que l'on autorisât M. Chose à
tapisser la France de ses discours, en refusant à M. Machin la
permission de coller les siens autre part que dans le fond des
placards de son cabinet de toilette.
*
* *
Quant à l'amendement de M. Millaud, réclamant la liberté
des cloches, dans le but impie d'obtenir la variété des sons, je
n'ai plus, vous le pensez bien, la bonhomie de me faire aucune
illusion sur la destinée qui lui est réservée.
Il aura le sort de toutes les choses justes.
Plus on les demande à ceux qui auraient à en souffrir, moins
on les obtient.
*
★ *
Selon toutesprobabilité, l'Assemblée décidera qu'elle ne peut
accorder indistinctement l'estampille et le droit de murailles
aux discours bien ou mal pensants.
Ou bien, si elle est forcée d'admettre que l'affichage luit pour
tout le monde, elle s'en tirera en votant la loi suivante :
Tout député a le droit de faire placarder son discours.
Seulement, ceux de M. Gambetta et de ses amis seront
collés à l'envers.
LÉON BIENVENU.
POP FAIRE TRÊVE A LA POLITIQUE
Un noctambule du samedi
Tout le temps que le Carnaval « agite les grelots — fêlés — de
la Folie, » et que l'on peut lire à la vitre des cafés, des restau-
rants et des brasseries cette excitation à la bohème: l'établis-
sement restera ouvert les nuits de bal masqué, le nombre
des gentleman of the N>ght parisiens s'accroît dans une formi-
dable et déplorable proportion.
Entendons-nous :
11 ne saurais, être question ici des compagnons de Poulailler
où de Jack Sheppard...
Ces pittoresques et joyeux coquins ont disparu absolument
de notre civilisation, qui les a remplacés, — sans trop de dé-
savantage, — par toute sorte d'avoués et d'huissiers...
All'right. Les rôdeurs nocturnes, dont il s'agit dans cet ar-
ticle, n'ont rien de commun avec les tire-laine du Pont-Neuf,
avec les itrangleurs de la Cité...
Il serait non moins malséant de les assimiler à la tribu des
industriels, des camelots et des truqueurs qui «rouille, de dix
heures du soir à sept heures du matin, aux environs de l'Opéra,
*i Chatelet, de Valentino, du Vaux-hall, — avec le piaulement
traditionnel :
— Ciré, frotté, verni pour le bail... — Un joli coup de brosse, mon
ambassadeur]... — Un fin coup d'torchon, ma princesse]...
— Des cigares et du feu !...
— Demandez une voilure, not' bourgeois !... — Appelez vol'
cocher, ma p'tite dame !... — Le numéro 789/... Voilà !.
Point: ce sont tous gens de condition et d'éducation. Il y en
eut de célèbres. Plusieurs ont un domicile. D'autres se conten-
ter^ d'avoir du talent. J'en connais un qui est poète lyrique
— et qui vit de son état. '
N'allez pas croire non plus qu'ils aventurent seulement le oec
de leur semelle dans aucun des sabbats chorégraphiques que je
viens de nommer!...
Ah! bien oui ! le Vaux-hall, occasion! le Châtelet, prétexte!
Valentino, enseigne l et l'Opéra, drapeau!
Sur celui-ci doit être inscrite la maxime que j'attribuerais
volontiers à feu M. de la Palisse, si Mùrger ne l'avait nas
signée :
t On ne se lèvt jamais sitôt que lorsqu'on m s'est pas couché. »
Non ; le noctambule du samedi pérégrine autour des bals..."
Mais il n'y pénètre jamais.
Le noctambule du samedi, par excellence, c'est le déclassé IHrré-
guher, le rèfractaire dont Vallès a chante, dans un terrible la-
mento, l'habit a queue de morue déssalé par la misère.
Celui-ci a peut-être dans sa poche son diplôme de bachelier —
sur parchemin — avec le grand cachet de l'Université ; mais on
lui a refusé sa clef dans son bôtel, et il lui manque trois sous
pour coucher à la corde, dans ce qu'uae abominable antiphrase
ose appeler un garni...
Vous me direz:
Il y a le marchand de vin et la crémerie...
Oui, mais il y a aussi la fierté légitime d'un lauréat de la
Sorbonne qui a été couronné, félicité, embrassé par M. le mi-
nistre de l'Instruction publique...
Et puis la crémière et le mastroquet sont perspicaces. Ils ne
tolèrent pas de clients platoniques. Consommez ou circulez!
Le pauvre uiable se faufile à travers les groupes, s'accoude sur
le poêle, ou s'assied à une table; il est perdu dans la fumée
les ans, le tourbillon, et, si un garçon lui demande : « Qu'est-
ce qu'il faut servir à Monsieur ? » Il a, du moins, la suprême res-
source de pouvoir lui répondre :
— Dans un instant. J'attends quelqu'un.
Le garçon n'est pas dupe; mais il est si pressé!...
*
Alors commence pour le misérable un supplice plus affreux
cent fois que celui d'errer dans la nuit, — au dehors,_entre
la pluie et la boue!...
Il est morne, farouche, désespéré d'hier, épouvanté de de-
main; il a traîné, toute la journée, ses pieds dans les ruisseaux
et son front dans l'averse, sans trouver où gueuser un petit
pain, un canon, une pipe de tabac; ses membres sont glacés,
sa gorge brûle de soir, sa poitrine craque de faim!...
Autour de lui, on blague, on fume, on chante, on aime. Le
vin met dans les verres son rire de rubis, le punch couronne
les tasses d'argent de flammes bleues, la bière empanache les
choppes d'écume. Toute sorte de gens mangent toute sorte de
!
1" prime : LA REVANCHK
L'idée qui fait bouillonner les cerveaux, l'espoir qui fait
bondir les cœurs ont pris, — sinon un corps, — un buste !...
La Revanche vit désormais, — dans le marbre et le stuc, —
celui-ci popularisant celui-là I
Un artiste a pétri pour nous cette image de nos rêves.
li'Éclipse offre à ses abonnés la statuette de la Revanche.
Chacun voudra avoir cette figure sous les yeux.
La statuette de la Revanche, avec son piédestal, prise dans
nos bureaux : 6 francs ; emballée avec soin et prêta à être ex-
pédiée : 7 francs.
Le port reste à la charge du destinataire.
2" prime : Album de la LUNE et de rÉCLIPSJB
Cent dessins les plus célèbres de Gill, réduits au moyen d'un
procédé graphique tout nouveau, formant un album élégant
et portatif.
Les dessins ainsi reproduits sont d'une délicatesse et d'une
fidélité parfaite, et de plus on les a finement coloriés.
Le prix de l'Album, pris au bureau, est de 6 francs. (Ajouter
1 franc pour le recevoir franco dans les départements.)
Nos lecteursn'ont pas oublié quelles vicissitudes... judiciaires
ont signalé, — en novembre dernier, — la publication de l'un
de nos dessins, intitulé : Ch...ose, par Gill.
Notre correspondant de Lille, M. Renaudin, libraire, avait
été condamné, par le tribunal de cette ville, à une amende de
cinquante francs, pour avoir mis en vente, dans cette localité,
le numéro incriminé, au moment où. l'autorisation venait de
nous en être retirée à Paris.
M. Renaudin a formé recours contre ce jugement devant la
Cour d'appel de Douai.
Son avocat, M. Allaert, a démontré que du moment où un
livre, journal, gravure, etc., soumis au contrôle de la direction
de la presse, obtenait l'autorisation préalable, et que le dépôt en
était fait légalement, l'objet avait son libre parcours. S'il plaît
à la censure de retirer cette autorisation, avant de pouvoir
poursuivre le vendeur, il faut qu'il soit prévenu ; s'il vend
après qu'on lui a annoncé le retrait d'autorisation, alors seu-
lement il y a contravention.
A Paris, le journal l'Éclipsé avait été autorisé le 20 janvier ;
le 22, à 8 heures 45, l'on notifiait officiellement à l'adminis-
tration du journal que l'autorisation était retirée. 1
A Lille, l'on a procédé autrement : l'on n'a pas prévenu, l'on
a saisi et poursuivi en même temps.
La Cour après cette plaidoirie, — lisons-nous dans l'Echo du
Nord du l«r février, — a mis l'affaire en délibéré et le jugement
au lendemain.
Et, hier, à l'ouverture de la séance, elle a prononcé un arrêt
motivé par lequel elle réforme le jugement du tribunal de Lille
qui avait condamné Renaudin, déboute le ministère public de
sa poursuite et prononce l'acquittement sans frais.
Nous sommes heureux de cette décision, — et c'est avec joie,
cette fois, que nous nous inclinons devant la chose jugée.
La Cour d'appel de Douai vient, en effet, de nous prouver
qu'il y a des juges... en province.
L'ÉSLIPSE.
ASSEMBLÉE NATIONALE
(compté rendu spécial de l'éclipsé)
Une des séances de la semaine dernière
Présidence de M. GrÉvy
La séance est ouverte à 2 heures 20. Lecture est donnée du
procès-verbal de la dernière séance, lequel est adopté sans
réclamation.
le général changarnier — dépose un projet de loi sur la
réorganisation de la parfumerie française.
m. de gavardie — dépose un projet de loi sur les journalis-
tes âgés de moins de 87 ans.
L'ordre du jour appelle ensuite la discussion des conclusions
du rapport de M. de S«gur au nom de la commission des mar-
chés. L'aâaire dite des lapins est particulièrement examinée.
Tout le monde se rappelle que dans le Midi, pendant la
guerre, on dut faire un achat considérable de lapins pour
nourrir les recrues arrivées au camp de ïartignac. Ce sont
précisément les marchés passés à cette occasion pour le compte
de l'État, du département et de la Commune que la Commis-
sion, après les avoir épluchés pendant deux ans sans y rien
trouver de répréhensible, veut soumettre à l'appréciation du
pays.
Comme on espère un scandale, les tribunes sont garnies de
dames qui feraient bien mieux de broder au plumetis chez
elles, et d'officiers excessivement, supérieurs.
Les princes d'Orléans (sept têtes sous le même bonnet) sont
assis à leur p aee.
m. le président grévy, après avoir doucement fait observer
que le temps devrait être employé à des choses bien autrement
utiles qu'une révision des marchés passés il y a deux ans,
donne la parole à M. Challemel-Lacour.
M. Challemer-Lacour est la personne que les commission-
naires de la droite ont le projet de mettre en accusation.
Mais laissons la parole aux orateurs :
m. ch. lacour. — Messieurs, je cuis mal portant. Pas tant
que l'Assemblée de Versailles néanmoins. J'en réchapperai, je
l'espère____
m. de gavardie. — Au fait!
m ch. lacour. — Je précise. Que me reproche-t-on? D'avoir
acheté 6,000 lapins....
m. de belcastel. — Il ne s'agit pas de lapins, il s'agit de
l'Internationale.
m. ch. lacour. — Pardon. C'est de lapins qu'il est question
dans le rapport.
m. de broglie. — Oui, de lapins! Nous avons les preuves en
main. — Les marché* sont passés sur du très-mauvais papier,
et, qu'on ne l'oublie pas, car c'est capital, il y avait un pâte sur
la dernière page.
m. ch. lacour. — Un pâté, soit; mais il ne venait pas de
Chartres où vous vous gobergiez, messieurs, pendant que j'or-
ganisais une légion de braves gens... (Tumulte à droite).
un membre. — Des braves gens 1 II leur fallait des lapins à
fricasser !
m. ch. lacour. — Messieurs, quand on voit des gens crever
de faim, et qu'on trouve des lapins à leur mettre sous la dent,
on n'hésite pas à leur offrir une gibelotte... ou un civet...
un membre. — Vous dilapidiez l'argent de la France. Les
lapins ont été payés 4 fr. 50 la pièce I C'est de la gabegie !
(Violente rumeur à gauche.)
m. ch. lacour. — Si j'avais eu des pains de seigle d'un sou,
je leur aurai donné des pains de seigle ; mais je n'avais que
des lapins, que le patriotisme des vendeurs m'offrait à 4,50 au
lieu de 1.75. J'ai pris les lapins. Et mes braves soldats ont pu
se restaurer. La France ne doit pas, deux ans après qu'une
gibelotte est mangée, la reprocher à ceux qui ont verse leur
sang pour la patrie (Applaudissements à gauche. La droite reste
immobile. .
un membre. - Passons aux marchés. Ce qu on a pu faire
pour la défense du pays ne nous regarde en aucune manière.
m. ch. lacour. — Les lapins furent donc achetés...
m. de gavardie. - Us étaient maigres I Le rapport le cons-
tate avec surprise.
m. ch. lacour. — Mieux vaut un lapin maigre que rien du
tout sous la dent.
un membre. - Garibaldi s'est fait une casquette avec la peau
des lapins 1 C'est infâme !
m. ch. lacour. - Ce n'est pas le Garibaldi de Caprera;
c'est un nommé Forédebondy, un ancien ami du régime tombe.
(Rumeurs d droite et au centre.)
m. de gavardie. — Il est clair qu'il y a eu malversation. On
n'achète pas des lapins maigres 4 fr. 50.
m. ch. lacour. — Demandez aux naufragés de la Méduse s ils
n'auraient pas payé un lapin, et même un chat, 4 fr. 50 haut
la main.
m. le président grévy. — J'engage l'orateur, qui est si maî-
tre de sa parole, à ne pas donner dans le genre gai.
un membre de la droite. - Alors, si le gouvernement dé-
fend la démagogie ! Où allons-nous?
m. ch. lacour. — Me prenez-vous pour un accusé ? Et vous,
que faisiez-vous au temps chaud? J'aurais bien voulu vous y
voir. Ce n'était pas de la Salette alors qu'il s'agissait. Il fallait
nourrir, Vêtir, armer des soldats. (Gris, exclamations frénéti-
ques à droite.)
m. le président grévy. — Messieurs, je lève la séance si on
ne parla pas plus souvent des lapins de Tartignac.
m. carayon-latour, — Un mot, messieurs ! Savez-vous ce
qu'on a voulu me faire, à moi, dans le Midi. On a voulu me
faire manger un lapin, à moi 1 (Etom'.mtnt général )
m. ch. lacour. — Je ne me rappelle pas ce fait. Mais,
qu'on le prouve. Demain, produisez la déclaration des cuisi-
niers de Tartignac. Et nous rirons !
toute la droite.(debout). — A l'ordre ! La clôture I
(La clôture est prononcée.)
Ernest d'HxRTtttr.
LE MONOPOLE DES MURAILLES
Il y a vraiment des jours où l'on se demande si la civilisa-
tion de la France, dont nous nous montrions si fiers, ne con-
siste pas uniquement dans la forme de nos chapeaux.
Et si, à part cette supériorité — d'ailleurs très-contestable
— sur les orangs-outangs, nous avons seulement sur eux celle
du simple sens commun.
Je suis dans un de ces jours-là.
*
Et ce qui m'y a plongé, c'est la nouvelle qu'un de nos dé-
putés, M. Millaud, je crois, se prépare à déposer sur le bureau
de l'Assemblée, un amendement ainsi conçu :
« Toutes les fois que l'Assemblée aura voté l'affichage d'un
» discours, cette décision comprendra de plein droit, la publi-
» cation officielle par le même moyen, de tous les débats rela-
is tifs à la question. »
* *
Un homme à qui l'on viendra dire brusquement l
— Vous savez... on va proposer une nouvelle loi pour que
deux pièces de vingt sous vaillent une pièce de deux francs I...
Ne serait pas plus ébahi que je l'ai été moi-même en appre-
nant qu'il fallait un décret pour qu'un discours de M. Gam-
betta, par exemple, répondant à un autre discours de M. Du-
faure, pût être affiché à côté de ce dernier.
Dans mon ignorance — disons mieux : dans ma naïveté w-
j'avais toujours cru que du moment où un industriel avait le
droit de coller sur les murs des morceaux de papier imprimé
où il est dit que le meilleur chocolat est le chocolat Perron, il
allait de soi qu'un second industriel pût prétendre, sur les
mêmes murs, que son chocolat est le chocolat le plus resplen-
dissant de tous les chocolats.
Et ainsi de suite.
» »
J'avoue que mon étonnement a été grand en apprenant qu'il
n'en était pas ainsi, et q° fallait une nouvelle loi pour déci-
der un point de jurisprudence qui me paraissait tout indiqué
par les règles les plus élémentaires de l'équité.
* *
Je suis bien forcé de Ie reconnaître, j'étais très-arriéré.
Aussi, ne plaiderais-je 1ue des circonstances atténuantes.
Il ne m'était pas entré un instant dans l'esprit que le gou-
vernement républicain, qui a répudié le système des candida-
tures officielles, eût pu conserver celui des discours qui ne sont
pas au coin du quai.
Et je ne m'étais jamais arrêté à cette idée baroque qu'un
orateur pût avoir besoin d'une autorisation spéciale pour coller
sur les murs un discours demandant, je supposera dissolution,
à côté d'un autre discours ne la demandant pas.
★ *
Voilà toute ma faute.
C'est d'avoir pensé que deux députés nommés tous deux par
le suffrage universel, avaient les mêmes droits l'un que l'autre.
Et qu'il n'était pas possible que l'on autorisât M. Chose à
tapisser la France de ses discours, en refusant à M. Machin la
permission de coller les siens autre part que dans le fond des
placards de son cabinet de toilette.
*
* *
Quant à l'amendement de M. Millaud, réclamant la liberté
des cloches, dans le but impie d'obtenir la variété des sons, je
n'ai plus, vous le pensez bien, la bonhomie de me faire aucune
illusion sur la destinée qui lui est réservée.
Il aura le sort de toutes les choses justes.
Plus on les demande à ceux qui auraient à en souffrir, moins
on les obtient.
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Selon toutesprobabilité, l'Assemblée décidera qu'elle ne peut
accorder indistinctement l'estampille et le droit de murailles
aux discours bien ou mal pensants.
Ou bien, si elle est forcée d'admettre que l'affichage luit pour
tout le monde, elle s'en tirera en votant la loi suivante :
Tout député a le droit de faire placarder son discours.
Seulement, ceux de M. Gambetta et de ses amis seront
collés à l'envers.
LÉON BIENVENU.
POP FAIRE TRÊVE A LA POLITIQUE
Un noctambule du samedi
Tout le temps que le Carnaval « agite les grelots — fêlés — de
la Folie, » et que l'on peut lire à la vitre des cafés, des restau-
rants et des brasseries cette excitation à la bohème: l'établis-
sement restera ouvert les nuits de bal masqué, le nombre
des gentleman of the N>ght parisiens s'accroît dans une formi-
dable et déplorable proportion.
Entendons-nous :
11 ne saurais, être question ici des compagnons de Poulailler
où de Jack Sheppard...
Ces pittoresques et joyeux coquins ont disparu absolument
de notre civilisation, qui les a remplacés, — sans trop de dé-
savantage, — par toute sorte d'avoués et d'huissiers...
All'right. Les rôdeurs nocturnes, dont il s'agit dans cet ar-
ticle, n'ont rien de commun avec les tire-laine du Pont-Neuf,
avec les itrangleurs de la Cité...
Il serait non moins malséant de les assimiler à la tribu des
industriels, des camelots et des truqueurs qui «rouille, de dix
heures du soir à sept heures du matin, aux environs de l'Opéra,
*i Chatelet, de Valentino, du Vaux-hall, — avec le piaulement
traditionnel :
— Ciré, frotté, verni pour le bail... — Un joli coup de brosse, mon
ambassadeur]... — Un fin coup d'torchon, ma princesse]...
— Des cigares et du feu !...
— Demandez une voilure, not' bourgeois !... — Appelez vol'
cocher, ma p'tite dame !... — Le numéro 789/... Voilà !.
Point: ce sont tous gens de condition et d'éducation. Il y en
eut de célèbres. Plusieurs ont un domicile. D'autres se conten-
ter^ d'avoir du talent. J'en connais un qui est poète lyrique
— et qui vit de son état. '
N'allez pas croire non plus qu'ils aventurent seulement le oec
de leur semelle dans aucun des sabbats chorégraphiques que je
viens de nommer!...
Ah! bien oui ! le Vaux-hall, occasion! le Châtelet, prétexte!
Valentino, enseigne l et l'Opéra, drapeau!
Sur celui-ci doit être inscrite la maxime que j'attribuerais
volontiers à feu M. de la Palisse, si Mùrger ne l'avait nas
signée :
t On ne se lèvt jamais sitôt que lorsqu'on m s'est pas couché. »
Non ; le noctambule du samedi pérégrine autour des bals..."
Mais il n'y pénètre jamais.
Le noctambule du samedi, par excellence, c'est le déclassé IHrré-
guher, le rèfractaire dont Vallès a chante, dans un terrible la-
mento, l'habit a queue de morue déssalé par la misère.
Celui-ci a peut-être dans sa poche son diplôme de bachelier —
sur parchemin — avec le grand cachet de l'Université ; mais on
lui a refusé sa clef dans son bôtel, et il lui manque trois sous
pour coucher à la corde, dans ce qu'uae abominable antiphrase
ose appeler un garni...
Vous me direz:
Il y a le marchand de vin et la crémerie...
Oui, mais il y a aussi la fierté légitime d'un lauréat de la
Sorbonne qui a été couronné, félicité, embrassé par M. le mi-
nistre de l'Instruction publique...
Et puis la crémière et le mastroquet sont perspicaces. Ils ne
tolèrent pas de clients platoniques. Consommez ou circulez!
Le pauvre uiable se faufile à travers les groupes, s'accoude sur
le poêle, ou s'assied à une table; il est perdu dans la fumée
les ans, le tourbillon, et, si un garçon lui demande : « Qu'est-
ce qu'il faut servir à Monsieur ? » Il a, du moins, la suprême res-
source de pouvoir lui répondre :
— Dans un instant. J'attends quelqu'un.
Le garçon n'est pas dupe; mais il est si pressé!...
*
Alors commence pour le misérable un supplice plus affreux
cent fois que celui d'errer dans la nuit, — au dehors,_entre
la pluie et la boue!...
Il est morne, farouche, désespéré d'hier, épouvanté de de-
main; il a traîné, toute la journée, ses pieds dans les ruisseaux
et son front dans l'averse, sans trouver où gueuser un petit
pain, un canon, une pipe de tabac; ses membres sont glacés,
sa gorge brûle de soir, sa poitrine craque de faim!...
Autour de lui, on blague, on fume, on chante, on aime. Le
vin met dans les verres son rire de rubis, le punch couronne
les tasses d'argent de flammes bleues, la bière empanache les
choppes d'écume. Toute sorte de gens mangent toute sorte de