L'ÉCLIPSÉ
PRIMES OE LfCLIPSE
1™ PBIMK : LA REVANCHE
L'idée qui fait bouillonner les cerveaux, l'espoir qui fait
bondir les cœurs ont pris, — sinon un corps, — un buste !...
La Revanche vit désormais, — dans le marbre et le stuc, —
celui-ci popularisant celui-là 1
Un artiste a pétri pour no w cette image de nos rêves.
L'Éclipsé offre à ses abonnés la statuette de la Revanche.
Chacun voudra avoir cette figure sous les yeux.
La statuette de la Revanche, avec son piédestal, prise dans
nos bureaux : 6 francs ; emballée avec soin et prête à être ex-
pédiée : 7 francs.
Le port reste à la charge du destinataire.
2« prime : Album de 1s Ï.TJNB et <8e rÊCLIPSB
Cent dessins les plus célèbres de Grill, réduits au moyen d'un
procédé graphique tout nouveau, formant un album élégant
et portatif.
Les dessins ainsi reproduits sont d'une délicatesse et d'une
fidélité parfaite, et de plus on les a finement coloriés.
Le prix de l'Album, pris au bureau, est de 6 francs. (Ajouter
1 franc pour le recevoir franco dans les départements.)
Dans quelques jours, nous mettrons à la disposition
des collectionneurs qui voudraient faire relier la cin-
quième année de Y Eclipse, un frontispice et une table
des matières pour 1872. — Prix : 30 centimes.
Hamlet n'existe plus. Le projet qu'il couvait sous son
crâne impénétrable, est à la veille d'arriver à une heu-
reuse exécution :
Le gouvernement de M. Tliiers vient, — enfin, — de
mener à bien l'œuvre delà libération du territoire !
On l'annonce. C'est officiel. Le traité a été signé. Les
départements occupés nous seront rendus en juillet, —
et dès les premiers jours de septembre, il n'y aura plus
un seul Prussien sur notre sol.
Devant ce résultat inespéré, tout s'apaise et tout
s'ajourne. Il no s'agit plus, — pour le moment, du
moins, — de balayer ni ceci, ni cela, — ni à droite, ni
à gauche. — ni l'antichambre, ni la chambre.
C'est l'Allemand qui est.... remboursé !
Quel cœur vraiment français ne tressaillerait d'aise
devant ce nettoyage patriotique ?
UÊCLIPSE.
LES EFFETS DU RHUME DE CEBVBU
Quand un rhume s'abat sur le cerveau du premier venu, sur
le vôtre, sur le mien, les conséquences ne sont pas terribles.
Si c'est vous, vous bousculez votre bonne, parce que vous
ne trouvez aucun goût à sa cuisine.
Si c'est moi, je fais mon article encore plus mauvais que
d'habitude.
Et tout est dit.
La bourse ne monte ni ne descend, les affaires ne s'arrêtent
ni ne reprennent, M. Batbie ne chante ni ne pleure.
C'est l'affaire de quatre mouchoirs de poche de plus ; et la
France ne s'aperçoit seulement pas qu'il y a quelque part un
de ses citoyens dont le nez est transformé en fontaine Wal-
lxce.
Mais quand il s'agit d'un rhume de cerveau prerque auguste,
d'un coryza national, comme celui auquel nous venons d'avoir
la douleur d'assister, c'est tout autre chose.
Le bruit d'un éternuement de M. Thiers suffit pour ébranler,
jusqu'aux quatre coins, le sol sacré de la patrie.
Le plus léger de ses frissons de fièvre fait éprouver à la
France entière le besoin de se blottir sous un édredon.
Si le Président de la République se mouche un peu plus fort
que d'habitude, trente-six millions d'âmes entendent résonner
la trompette du jugement dernier.
Et quand le nez de M. Thiers coule, la nation s'en va en eau.
* . .
» *
Maintenant que le danger est passé, on peut en rire.
On le doit môme, ne fût-ce que pour s'aguerrir, car le cas
se représentera sans doute.
M. Thiers a promis de nous conserver la République ; mais,
il ne s'est pas engagé à n'avoir jamais mal à la tête.
Et il faut nous habituer à ne pas nous mettre au lit chaque
fois que son dîner aura mis dix minutes de plus que la veille
à passer.
*
* *
"Voici, pour nous endurcir et nous faire toucher du c'oigt —
comme aux enfants peureux — la cause de notre effroi coupa-
ble, quelques-uns des effets produits parle rhume de M. Thiers.
chez m. batbie
m. batbie à son secrétaire. — Quoi de neuf ce matin dans les
journaux?
le secrétaire. — Presque rien... on annonce une légère in-
disposition de M. Thiers.
m. batbie. — Comment!... vous appelez cela presque rien?...
Vous n'êtes pas fort en politique, monsieur !... Et quelle est la
nature de cette indisposition ?
le secrétaire. — Oh!... très peu inquiétante... un simple
rhume de cerveau.
m. batbie. — Décidément, monsieur, vous êtes étrange !...
vous qualifiez de peu inquiétante une indisposition qui ne
donne aucune inquiétude 1...
le secrétaire. — Dame !... il me semble...
m. batbie. — Assez... vous n'entendez rien aux affaires du
pays. Écrivez.
Le secrétaire prend une plume et écrit.
m. batbie, dictant :
projet de loi
« Pour parer aux conséquences des événements graves que le
« pays vient de traverser, l'Assamblée nationale, reconnaissant
« que le moment est venu de choisir un gouvernement de ctmbat,
« décrète :
i M. le général..... — Laissez le nom en blanc — M. le gé-
« néral *** est investi de la dictature. »
M. Batbie prend le papier, le relit et le met dans sa poche,
demande sa canne et son chapeau et sort en se disant :
— Il faut toujours être prêt, on ne sait pas ce qui peut arri-
ver.
chez un agext de change
un employé, dépOiïîUant la correspondance dit matin:
« M. Thiers est enrhumé dit-on, vendez vite mes 15,000 de
« rentes, au mieux.
durandard.
« ©n me dit que le Président de la République a toussé cette
« nuit; vendez tous mes Emprunt 1872.
Boulignol.
« Si comme on me l'affirme, M. Thiers est un peu pâle, réa-
« lisez mes Lyon-Méditerranée.
Toupinèl.
« Mon journal m'apprend que le médecin de M. Thiers lui a
« défendu de manger de la choucroute, liquidez mes Nord et
« mes Mobilier. »
Traquenin.
Il y a onze cents lettres dans ce goût.
L'employé, à part. — C'est pourtant comme cela que l'on
fait chavirer les bateaux!... En se jetant tous ensemble du
même côté quand il y a une casquette qui est tombée à l'eau
chez un petit fabricant
un client, au maître de l'établissement. — Bonjour, monsieur
Ghalumet... Je viens pour ma commande d'hier.
m. chalumet. — Elle est en Éaaïns7.
le client. — C'ost que je vais vous dire... Ja vous ai com-
rnandé quinze douzaines de paires de breîelles à élastiques.
m. chalumet — Parfaitement... C'est noté.
le client. — Oui, mais... je vou Irais que voua ne m'en fas-
siez pou? le moment que trois douzaines, parce que le Gaulois
de ce matin dit que M. Thiers est enchifrené... et alors... vous
comprenez... ça va ra entir les affaires ..
m. chalumet.— Allons donc!... Croyez-vous pas que les
gens qui ont l'habitude de porter des bretelles sous le gouver-
nement de M. Thiers, s'exposeront à perdre leur pantalon dans
la rue sous un ant :e ?
le client, sérieux. — Oh!,., ce n'est pas risible, M. Chalu-
met... Mon journal a même bien l'air de dire que ça peut deve-
nir très grave et que si M. Thiers a les yeux un peu larmoyants
à la séance d'aujourd'hui, on ne peut pas prévoir ce que l'ave-
nir réserve à notre pauvre patrie... Vous comprenez que si nous
devons encore voir la France à feu et à sang, je n'ai pas envie
d'avoir trop de bretelles ea magasin.
m. chalumet, riant. — Vous avez peur qu'il n'y ait plus que
des sans-culo ttes !...
le clibnt, très pâle. — Je ne comprends pas que vous ayez le
cœur de plaisanter avec ça... Puisque je vo: s dis que mon
journal est t>:ès alarmé.
au restaurant
Un monsieur arrive pour déjeuner et s'installe.
— Garçon !... une douzaine d'huîtres et une bouteille cha-
blis!...
— Très bien, monsieur!...
le monsieur, qui vient d'ouvrir son journal. — Garçon !...
le garçon — Monsieur ?
ie monsieur. — J'ai réfléchi... Un bœuf aux choux et un
carafon. (A part.) Pas de M es dépenses !,.. M. Thiers a *a grip-
pe... O H)on pays !.,. qui sait ce que tu seras deirenu la semaine
prochai e !.,.
dans le cabinet du général ***
le général, dép.iunl une feuille bonapendardiste et lisant :
« Nous apprenons avec doultur que M. Thier$, très souffrant,
» est cpndamné au repos absolu. La fluxio.ide poitrine n'e-t
» pas encore déclarée, et nous espérons bien que la président de
» la Répnbl que en sera quitte pour une légère fièvre typhoïde.
» Pour que nos lecteurs ne s'alarment pas de caita légère in-
» disposition et ne croient pas qu'elle est grave, nous publie-
» rons ce soir quatre éditions successives et spéciales contenant
» le bulletin de la s»nté de M. Thiars. »
le général, s« levant eisep>'o^-nmt fiévreux dans to'o, cabinet.—
Sapristi!. ..! I ?....??.....! H ....??.... n ....????.... ! !
11 écrit vivement quelques ordres et sonne.
Un aide de camp paraît.
le Général. — Faites immédiatement parvenir ces Susf.ruc-
tioùs à leur dest'nation. •• Et que t >ute la divisioa soit prête
au premier signal... Tenue de campagne... vivres pour cinq
jours... Allez !...
le général,îysWseul. — ! I •••• ?? ••..!!!....??..:.! !...
Eh! damai.... ! !.... Qui sait?-. ! !.... !!... Ça s'est vu...
, V .. ' , ' .
dans les champs
Il fait un soleil splendide. Le printemps se réve lie, les oi-
seaux chantant, la terre $'én*moure-
Un fil télégraphique qui traverse la plaine frémit tout à coup.
11 porte à la \ille la nouveUe 4ue M. Thiers a étêrnu'j cinq fois
en un quart d'heure.
En voyant passer ce télégramme, la nature entière écl>te de
rire.
La pomme de terre continue à germer, la bïê à sortir, la
betterave à gonfler, la vigne à bourgeonner, la terre à nourrir,
le soleil à chauffer.
Et de ce tableau merveilleux, de ce travail divin, auprès des-
quels M. de Broglie paraîtrait bien Jaid et les paperasses de la
commission des Trente bien mesquines, il semble que l'on en-
tend sortir ces mots :
Sève !... monte abondante et forte — Blés !.. poussez grands
et pleins.—Vigne ! .. éclate puissante et chaude !.. — Soleil !..
éclaire... réjouis .. mûris de toutes tes forces, car il nous faut
faire une belle année pour la fête delà délivrauc.» et le baptême
de la République !...
"Voilà quels ont été les effets du rhume de cerveau de M.Thiers.
Les méchants ont ri.
Les niais ont tremblé.
Mais le soleil nous revient, la moisson se prépare, les mil-
liards se payent, les Prussiens plient bagage.
Mai, de ses effluves chsudes, va faire éclater les derniers
bourgeois réfractaires et faire capituler les bronchites attar-
dées.
Juin, juillet, août !... septembre !... Tout un siècle !...
Et reviennent les rhumes avec octobre, nous n'aurocs plus
rien à craindre.
Les blés seront rentrés, le sol dêïivïé et la République faite.
***
Atch !... atch !...
Dieu vous bénisse, monsieur Thiers!...
LÉON BIENVENU.
L'HEUREUSE FAMILLE
tableau de genre..... espagnol
La scène représente un des coins les plus désolés de la
Sierra-Moreaa. Le soleil s'éteint. Sur le ciel, d'un rouge de bri-
que, se découpent, telles les vertèbres de l'échiné d'une vieille
rosse, les dentelures âpres des collines. Les rampes pierreuses
percent la terra maigre, comme les côtes blanches d'un cada-
vre percent la peau qui les recouvre.
Au milieu de cet aimable site, s'élève un chêne-liége écorcé
tout tordu, et qui meurt de soif depuis de longues années.
Dans les branches supérieures de ce gai végétal est installé
un vaste nid, qui a l'air d'un fagot mal façonné. Il est peuplé
de petits êtres noirs aux yeux extrêmement brillants, qu'orne
un bec démesuré. Ce bec est ouvert comme la gueule d'un sac
de nuit.
A côté du nid, sur des branches voisines, un couple d'oiseaux
noirs, dessine sa double silhouette sur le couchant.
On entend, tout dans le lointain, à de courts intervalles, éclater
des coups de feu dont l'écho roule dans les montagnes désertes.
* *
Les deux gros oiseaux noirs tressaillent de joie à chaque coup
de fusil, et, se dandinant sur leurs pieds jaunes, ils s'écrient
avec un ensemble délicieux, d'une voix qui semble enrouée :
— Vive le roa ! roa ! roa !
Entre ces témoignages d'attachement qu'ils donnent à la
bonne cause, les deux corbeaux — car telle est leur profession
— échangent des propos divers.
La femelle dit :
— Eh bien! don Becdeferos, mais il me semble que notre
père tarde beaucoup à revenir ce soir?
Et le mâle répond :
— J'allais justement faire la même remarque, dona Cahecilla.
Le pauvre vieux a peut-être eu son compte. On a beaucoup res-
tauré sur les routes, aujourd'hui. Un grain de plomb é"-aré
nous a peut-être privés du meilleur des parents. Ce serait dom-
mage! La guerre n'est pas finie. Il perdrait là de beaux coups
de bec.
— Pauvre padre! mais il a eu son beau temps. Le senor Ca-
brera et le senor Espartero lui faisaient table grasse, en 1836
quand le grand père don Carlos prétendait...
— Ah ! dona Cabecilla, c'était un beau fournisseur que ce
Cabrera! je ne me plains pas non plus du «enor Balmaseda! En
voilà un, comme dit mon père, qui valait son pesant de sang.
Que de tripes il a mises au soleil ! Par la bonne Vierge, que
Dieu ait son âme 1
— Amen...
En ce moment, un énorme corbeau apparaît, au-dessus des
crêtes, à l'horizon. En quelques coups de ses ailes noires et lon-
gues comme une soutane, il arrive au-dessus du chêne-liege ;
et puis il s'abat, comme un plomb, sur une des branches.
11 porte un œil humain au bout de son bec de fer.
Les petits corbeaux, à cette vue, se remuent confusément
dans leur sombre berceau, et jettent des cris de joie.
L'énorme corbeau laisse tomber l'œil sanglant dans le nid et
dit :
— Mangez, mangez, mes minos, mangez. C'est du nanan que
je vous apporte. Mangez.
Les petits corbeaux se disputent la proie qu'on leur apporte.
— Maintenant, mes petits corbinets, dit le vieux drôle, il
faut remercier celui qui vous envoie cela. Allons, tous ensem-
ble, crions le grand cri national du corbeau : — Vive le roi !
Les corbinets, en oiseaux dociles, essayent de répéter le eri
national des mangeurs de cadavres espagnols, et de tous les
petits becs sort un aimable : — Vive le roi!... roa !... roa! ..
roa!...
* *
— Bonsoir, père, dit don Becdeferos, après un moment de
silence.
— Bonsoir, mes enfants. Bonsoir, dona Cabecilla. Je vous
baise les ailes, senora, ajouta le vieux corbeau.
— Eh bien, quoi de nouveau?
— Tout va bien, mon enfant. Les carlistes nous taillent la
soupe. Chacun de leurs coups de feu met la nappe pour nous.
Voici les jours d'abondance enfin revenus ! Les routes sont
PRIMES OE LfCLIPSE
1™ PBIMK : LA REVANCHE
L'idée qui fait bouillonner les cerveaux, l'espoir qui fait
bondir les cœurs ont pris, — sinon un corps, — un buste !...
La Revanche vit désormais, — dans le marbre et le stuc, —
celui-ci popularisant celui-là 1
Un artiste a pétri pour no w cette image de nos rêves.
L'Éclipsé offre à ses abonnés la statuette de la Revanche.
Chacun voudra avoir cette figure sous les yeux.
La statuette de la Revanche, avec son piédestal, prise dans
nos bureaux : 6 francs ; emballée avec soin et prête à être ex-
pédiée : 7 francs.
Le port reste à la charge du destinataire.
2« prime : Album de 1s Ï.TJNB et <8e rÊCLIPSB
Cent dessins les plus célèbres de Grill, réduits au moyen d'un
procédé graphique tout nouveau, formant un album élégant
et portatif.
Les dessins ainsi reproduits sont d'une délicatesse et d'une
fidélité parfaite, et de plus on les a finement coloriés.
Le prix de l'Album, pris au bureau, est de 6 francs. (Ajouter
1 franc pour le recevoir franco dans les départements.)
Dans quelques jours, nous mettrons à la disposition
des collectionneurs qui voudraient faire relier la cin-
quième année de Y Eclipse, un frontispice et une table
des matières pour 1872. — Prix : 30 centimes.
Hamlet n'existe plus. Le projet qu'il couvait sous son
crâne impénétrable, est à la veille d'arriver à une heu-
reuse exécution :
Le gouvernement de M. Tliiers vient, — enfin, — de
mener à bien l'œuvre delà libération du territoire !
On l'annonce. C'est officiel. Le traité a été signé. Les
départements occupés nous seront rendus en juillet, —
et dès les premiers jours de septembre, il n'y aura plus
un seul Prussien sur notre sol.
Devant ce résultat inespéré, tout s'apaise et tout
s'ajourne. Il no s'agit plus, — pour le moment, du
moins, — de balayer ni ceci, ni cela, — ni à droite, ni
à gauche. — ni l'antichambre, ni la chambre.
C'est l'Allemand qui est.... remboursé !
Quel cœur vraiment français ne tressaillerait d'aise
devant ce nettoyage patriotique ?
UÊCLIPSE.
LES EFFETS DU RHUME DE CEBVBU
Quand un rhume s'abat sur le cerveau du premier venu, sur
le vôtre, sur le mien, les conséquences ne sont pas terribles.
Si c'est vous, vous bousculez votre bonne, parce que vous
ne trouvez aucun goût à sa cuisine.
Si c'est moi, je fais mon article encore plus mauvais que
d'habitude.
Et tout est dit.
La bourse ne monte ni ne descend, les affaires ne s'arrêtent
ni ne reprennent, M. Batbie ne chante ni ne pleure.
C'est l'affaire de quatre mouchoirs de poche de plus ; et la
France ne s'aperçoit seulement pas qu'il y a quelque part un
de ses citoyens dont le nez est transformé en fontaine Wal-
lxce.
Mais quand il s'agit d'un rhume de cerveau prerque auguste,
d'un coryza national, comme celui auquel nous venons d'avoir
la douleur d'assister, c'est tout autre chose.
Le bruit d'un éternuement de M. Thiers suffit pour ébranler,
jusqu'aux quatre coins, le sol sacré de la patrie.
Le plus léger de ses frissons de fièvre fait éprouver à la
France entière le besoin de se blottir sous un édredon.
Si le Président de la République se mouche un peu plus fort
que d'habitude, trente-six millions d'âmes entendent résonner
la trompette du jugement dernier.
Et quand le nez de M. Thiers coule, la nation s'en va en eau.
* . .
» *
Maintenant que le danger est passé, on peut en rire.
On le doit môme, ne fût-ce que pour s'aguerrir, car le cas
se représentera sans doute.
M. Thiers a promis de nous conserver la République ; mais,
il ne s'est pas engagé à n'avoir jamais mal à la tête.
Et il faut nous habituer à ne pas nous mettre au lit chaque
fois que son dîner aura mis dix minutes de plus que la veille
à passer.
*
* *
"Voici, pour nous endurcir et nous faire toucher du c'oigt —
comme aux enfants peureux — la cause de notre effroi coupa-
ble, quelques-uns des effets produits parle rhume de M. Thiers.
chez m. batbie
m. batbie à son secrétaire. — Quoi de neuf ce matin dans les
journaux?
le secrétaire. — Presque rien... on annonce une légère in-
disposition de M. Thiers.
m. batbie. — Comment!... vous appelez cela presque rien?...
Vous n'êtes pas fort en politique, monsieur !... Et quelle est la
nature de cette indisposition ?
le secrétaire. — Oh!... très peu inquiétante... un simple
rhume de cerveau.
m. batbie. — Décidément, monsieur, vous êtes étrange !...
vous qualifiez de peu inquiétante une indisposition qui ne
donne aucune inquiétude 1...
le secrétaire. — Dame !... il me semble...
m. batbie. — Assez... vous n'entendez rien aux affaires du
pays. Écrivez.
Le secrétaire prend une plume et écrit.
m. batbie, dictant :
projet de loi
« Pour parer aux conséquences des événements graves que le
« pays vient de traverser, l'Assamblée nationale, reconnaissant
« que le moment est venu de choisir un gouvernement de ctmbat,
« décrète :
i M. le général..... — Laissez le nom en blanc — M. le gé-
« néral *** est investi de la dictature. »
M. Batbie prend le papier, le relit et le met dans sa poche,
demande sa canne et son chapeau et sort en se disant :
— Il faut toujours être prêt, on ne sait pas ce qui peut arri-
ver.
chez un agext de change
un employé, dépOiïîUant la correspondance dit matin:
« M. Thiers est enrhumé dit-on, vendez vite mes 15,000 de
« rentes, au mieux.
durandard.
« ©n me dit que le Président de la République a toussé cette
« nuit; vendez tous mes Emprunt 1872.
Boulignol.
« Si comme on me l'affirme, M. Thiers est un peu pâle, réa-
« lisez mes Lyon-Méditerranée.
Toupinèl.
« Mon journal m'apprend que le médecin de M. Thiers lui a
« défendu de manger de la choucroute, liquidez mes Nord et
« mes Mobilier. »
Traquenin.
Il y a onze cents lettres dans ce goût.
L'employé, à part. — C'est pourtant comme cela que l'on
fait chavirer les bateaux!... En se jetant tous ensemble du
même côté quand il y a une casquette qui est tombée à l'eau
chez un petit fabricant
un client, au maître de l'établissement. — Bonjour, monsieur
Ghalumet... Je viens pour ma commande d'hier.
m. chalumet. — Elle est en Éaaïns7.
le client. — C'ost que je vais vous dire... Ja vous ai com-
rnandé quinze douzaines de paires de breîelles à élastiques.
m. chalumet — Parfaitement... C'est noté.
le client. — Oui, mais... je vou Irais que voua ne m'en fas-
siez pou? le moment que trois douzaines, parce que le Gaulois
de ce matin dit que M. Thiers est enchifrené... et alors... vous
comprenez... ça va ra entir les affaires ..
m. chalumet.— Allons donc!... Croyez-vous pas que les
gens qui ont l'habitude de porter des bretelles sous le gouver-
nement de M. Thiers, s'exposeront à perdre leur pantalon dans
la rue sous un ant :e ?
le client, sérieux. — Oh!,., ce n'est pas risible, M. Chalu-
met... Mon journal a même bien l'air de dire que ça peut deve-
nir très grave et que si M. Thiers a les yeux un peu larmoyants
à la séance d'aujourd'hui, on ne peut pas prévoir ce que l'ave-
nir réserve à notre pauvre patrie... Vous comprenez que si nous
devons encore voir la France à feu et à sang, je n'ai pas envie
d'avoir trop de bretelles ea magasin.
m. chalumet, riant. — Vous avez peur qu'il n'y ait plus que
des sans-culo ttes !...
le clibnt, très pâle. — Je ne comprends pas que vous ayez le
cœur de plaisanter avec ça... Puisque je vo: s dis que mon
journal est t>:ès alarmé.
au restaurant
Un monsieur arrive pour déjeuner et s'installe.
— Garçon !... une douzaine d'huîtres et une bouteille cha-
blis!...
— Très bien, monsieur!...
le monsieur, qui vient d'ouvrir son journal. — Garçon !...
le garçon — Monsieur ?
ie monsieur. — J'ai réfléchi... Un bœuf aux choux et un
carafon. (A part.) Pas de M es dépenses !,.. M. Thiers a *a grip-
pe... O H)on pays !.,. qui sait ce que tu seras deirenu la semaine
prochai e !.,.
dans le cabinet du général ***
le général, dép.iunl une feuille bonapendardiste et lisant :
« Nous apprenons avec doultur que M. Thier$, très souffrant,
» est cpndamné au repos absolu. La fluxio.ide poitrine n'e-t
» pas encore déclarée, et nous espérons bien que la président de
» la Répnbl que en sera quitte pour une légère fièvre typhoïde.
» Pour que nos lecteurs ne s'alarment pas de caita légère in-
» disposition et ne croient pas qu'elle est grave, nous publie-
» rons ce soir quatre éditions successives et spéciales contenant
» le bulletin de la s»nté de M. Thiars. »
le général, s« levant eisep>'o^-nmt fiévreux dans to'o, cabinet.—
Sapristi!. ..! I ?....??.....! H ....??.... n ....????.... ! !
11 écrit vivement quelques ordres et sonne.
Un aide de camp paraît.
le Général. — Faites immédiatement parvenir ces Susf.ruc-
tioùs à leur dest'nation. •• Et que t >ute la divisioa soit prête
au premier signal... Tenue de campagne... vivres pour cinq
jours... Allez !...
le général,îysWseul. — ! I •••• ?? ••..!!!....??..:.! !...
Eh! damai.... ! !.... Qui sait?-. ! !.... !!... Ça s'est vu...
, V .. ' , ' .
dans les champs
Il fait un soleil splendide. Le printemps se réve lie, les oi-
seaux chantant, la terre $'én*moure-
Un fil télégraphique qui traverse la plaine frémit tout à coup.
11 porte à la \ille la nouveUe 4ue M. Thiers a étêrnu'j cinq fois
en un quart d'heure.
En voyant passer ce télégramme, la nature entière écl>te de
rire.
La pomme de terre continue à germer, la bïê à sortir, la
betterave à gonfler, la vigne à bourgeonner, la terre à nourrir,
le soleil à chauffer.
Et de ce tableau merveilleux, de ce travail divin, auprès des-
quels M. de Broglie paraîtrait bien Jaid et les paperasses de la
commission des Trente bien mesquines, il semble que l'on en-
tend sortir ces mots :
Sève !... monte abondante et forte — Blés !.. poussez grands
et pleins.—Vigne ! .. éclate puissante et chaude !.. — Soleil !..
éclaire... réjouis .. mûris de toutes tes forces, car il nous faut
faire une belle année pour la fête delà délivrauc.» et le baptême
de la République !...
"Voilà quels ont été les effets du rhume de cerveau de M.Thiers.
Les méchants ont ri.
Les niais ont tremblé.
Mais le soleil nous revient, la moisson se prépare, les mil-
liards se payent, les Prussiens plient bagage.
Mai, de ses effluves chsudes, va faire éclater les derniers
bourgeois réfractaires et faire capituler les bronchites attar-
dées.
Juin, juillet, août !... septembre !... Tout un siècle !...
Et reviennent les rhumes avec octobre, nous n'aurocs plus
rien à craindre.
Les blés seront rentrés, le sol dêïivïé et la République faite.
***
Atch !... atch !...
Dieu vous bénisse, monsieur Thiers!...
LÉON BIENVENU.
L'HEUREUSE FAMILLE
tableau de genre..... espagnol
La scène représente un des coins les plus désolés de la
Sierra-Moreaa. Le soleil s'éteint. Sur le ciel, d'un rouge de bri-
que, se découpent, telles les vertèbres de l'échiné d'une vieille
rosse, les dentelures âpres des collines. Les rampes pierreuses
percent la terra maigre, comme les côtes blanches d'un cada-
vre percent la peau qui les recouvre.
Au milieu de cet aimable site, s'élève un chêne-liége écorcé
tout tordu, et qui meurt de soif depuis de longues années.
Dans les branches supérieures de ce gai végétal est installé
un vaste nid, qui a l'air d'un fagot mal façonné. Il est peuplé
de petits êtres noirs aux yeux extrêmement brillants, qu'orne
un bec démesuré. Ce bec est ouvert comme la gueule d'un sac
de nuit.
A côté du nid, sur des branches voisines, un couple d'oiseaux
noirs, dessine sa double silhouette sur le couchant.
On entend, tout dans le lointain, à de courts intervalles, éclater
des coups de feu dont l'écho roule dans les montagnes désertes.
* *
Les deux gros oiseaux noirs tressaillent de joie à chaque coup
de fusil, et, se dandinant sur leurs pieds jaunes, ils s'écrient
avec un ensemble délicieux, d'une voix qui semble enrouée :
— Vive le roa ! roa ! roa !
Entre ces témoignages d'attachement qu'ils donnent à la
bonne cause, les deux corbeaux — car telle est leur profession
— échangent des propos divers.
La femelle dit :
— Eh bien! don Becdeferos, mais il me semble que notre
père tarde beaucoup à revenir ce soir?
Et le mâle répond :
— J'allais justement faire la même remarque, dona Cahecilla.
Le pauvre vieux a peut-être eu son compte. On a beaucoup res-
tauré sur les routes, aujourd'hui. Un grain de plomb é"-aré
nous a peut-être privés du meilleur des parents. Ce serait dom-
mage! La guerre n'est pas finie. Il perdrait là de beaux coups
de bec.
— Pauvre padre! mais il a eu son beau temps. Le senor Ca-
brera et le senor Espartero lui faisaient table grasse, en 1836
quand le grand père don Carlos prétendait...
— Ah ! dona Cabecilla, c'était un beau fournisseur que ce
Cabrera! je ne me plains pas non plus du «enor Balmaseda! En
voilà un, comme dit mon père, qui valait son pesant de sang.
Que de tripes il a mises au soleil ! Par la bonne Vierge, que
Dieu ait son âme 1
— Amen...
En ce moment, un énorme corbeau apparaît, au-dessus des
crêtes, à l'horizon. En quelques coups de ses ailes noires et lon-
gues comme une soutane, il arrive au-dessus du chêne-liege ;
et puis il s'abat, comme un plomb, sur une des branches.
11 porte un œil humain au bout de son bec de fer.
Les petits corbeaux, à cette vue, se remuent confusément
dans leur sombre berceau, et jettent des cris de joie.
L'énorme corbeau laisse tomber l'œil sanglant dans le nid et
dit :
— Mangez, mangez, mes minos, mangez. C'est du nanan que
je vous apporte. Mangez.
Les petits corbeaux se disputent la proie qu'on leur apporte.
— Maintenant, mes petits corbinets, dit le vieux drôle, il
faut remercier celui qui vous envoie cela. Allons, tous ensem-
ble, crions le grand cri national du corbeau : — Vive le roi !
Les corbinets, en oiseaux dociles, essayent de répéter le eri
national des mangeurs de cadavres espagnols, et de tous les
petits becs sort un aimable : — Vive le roi!... roa !... roa! ..
roa!...
* *
— Bonsoir, père, dit don Becdeferos, après un moment de
silence.
— Bonsoir, mes enfants. Bonsoir, dona Cabecilla. Je vous
baise les ailes, senora, ajouta le vieux corbeau.
— Eh bien, quoi de nouveau?
— Tout va bien, mon enfant. Les carlistes nous taillent la
soupe. Chacun de leurs coups de feu met la nappe pour nous.
Voici les jours d'abondance enfin revenus ! Les routes sont