L'ÉCLIPSÉ
J'AI REÇU VOTRE HONORÉE DU...
PETIT COURRIER
Monsieur Dut aille, à Montargis.
Vous me demandez ce que je pense de l'église dû Sacré-Cœur
de Jésus qui va être élevée sur la butte Montmartre.
Votre malice est cousue de fil blanc. Vous voudriez me mettre
mal avec la commission de permanence en me faisant dire que
l'Assemblée nationale a voté là une mesure de futilité publique.
Je saurai éviter ce piège, tout en répondant poliment à votre
question perfide.
Je pense que du haut de ce temple on aura une bien jolie
vue.
Mais je pense encore qu'un pareil endroit est bien malencon-
treusement choisi pour y bâtir la maison d'un Dieu qui a dit :
Quiconque s'élève sera abaissé.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, va
rendre un arrêté pour interdire aux libres penseurs de circuler
sur la voie publique après dix heures du soir.
Recevez, monsieur, etc., etc.
Monsieur Bourdeuil, à Chdions-sur-Marne.
Oui, monsieur, oui... vous êtes parfaitement renseigné.
Le prince Napoléon, plus communément connu sous le nom
de prince de Dosdeface, revendique son titre de général de
division.
Et je ne vois pas trop pourquoi cette nouvelle vous trouve si
stupéfait.
Quoi de plus naturel que cette revendication sous une farou-
che République qui semble regretter de n'avoir pas plus de
portes pour les ouvrir toutes aux prétendants?
Vous ignorez, — ou du moins vous faites semblant d'ignorer,
— que c'est là une tradition sainte.
Quand une monarchie s'installe en France, elle ne trouve pas
Cayenne assez grand pour y entreposer les républicains qui
pourraient nuire à sa consolidation.'
Mais lorsqu'une République s'improvise, elle trouve la France
trop petite à son gré pour y loger tous les princes du sang,
passés, présents et futurs.
C'est un pli pris, et duquel les républiques ne se guériront
pas avant d'en être mortes encore une douzaine de fois au
moins.
Beaucoup de gens prétendent que c'est conforme aux grands
principes de la liberté ; d'autres trouvent que c'est surtout con-
forme aux immenses principes de la bêtise.
Les uns ne craignent pas d'avancer que la République doit
être la première à donner l'exemple du respect des droits de
chacun.
Les autres estiment que la sagesse consiste à mettre des
verroux en dedans, afin que les filous restent dehors.
Je vous livre, cher monsieur Bourdeuil, ces différentes appré-
ciations. Vous en ferez l'usage que bon vous semblera.
A propos, vous savez que monsieur Ducros, le préfei de Lyon,
est sur le point de créer des chalets de nécessité, à trois com-
partiments, avec entrées distinctes étiquetées de la manière
suivante :
Côté des hommes. — Côté des dames. — Côté des libres pen-
seurs.
J'ai l'honneur de vous présenter, etc., etc.
Monsieur Vergnol, à Chdtcaudun.
Vous êtes bien bon de vous informer de la santé de notre
cher état de siège.
Il va toujours très-bien, ce pauvre ami.
Seulement, il ne se lève pas encore.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, va
prescrire aux établissements de bains froids de faire baigner les
libres penseurs dans un coin réservé, en aval du iieuve, afin
que les baigneurs bien pensants ne reçoivent pas l'eau qui leur
a passé sur la... charogne.
J'ai l'honneur, monsieur, etc., etc.
Monsieur Tourbinel, à Alençon.
Oui, je suis de votre avis, cher monsieur; l'article expectoré
l'autre jour par M. Xavier de Montée in, en plein Figaro, à pro-
pos des enterrements civils, était une honte.
Oui, certes, réclamer, et réclamer en termes abjects, la voi-
ture et le charnier des suppliciés pour la carcasse immonde des
gens qui pensent autrement que soi, est une action qui soulève
le cœur de tout homme honnête.
' Mais j'espère bien que vous n'avez point été la dujjp de cgtte
boutade', et que vous avez vu le piège grossier qu'elle tendait
aux écrivains qui auraient succombé à leur indignation en re-
levant ces basses injures.
Incontestablement, celui de nous qui eût voulu répondre à
cela, et y répondre à l'aide des mêmes procédés, se fût brûlé
les ailes à la flamme, très-vive en ce moment, du Sacré-Cœur,
de Jésus.
C'était ce que l'on cherchait.
Personne de nous ne s'est fei'épris BÛr 'cette brutàlé provoca-
tion des nouvelles blouses blanches noires, et l'on a laissé retom-
ber d'elle-même cette invite gracieuse à.....la police correction-
nelle.
On recommencera sans doute un de ces jours; mais c'est bien
éventé.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, va
interdire les trottoirs aux libres penseurs et les forcer de circu-
ler sur la chaussée avec les chevaux.
Recevez, Monsieur, etc.
Monsieur MaRINAc, à Saint-Étienne.
Vous me demandez pourquoi nous vous faisons payer
l'Éclipsé dix centimes et pourquoi les grands journaux se ven-
dent trois sous, quoique le Soleil, journal quotidien d'une
aussi grande dimension que ses confrères, se donne pour un
sou?
Vous êtes à peu près poli en me posant la question; mais je
vois bien à votre ponctuation saccadée que votis vous tenez à
quatre pour ne pas nous traiter de voleurs.
Vous m'inspirez, cher Monsieur, une profonde pitié; et je
veux vous le prouver on faisant la lumière dans la chambre
noire de votre intelligence.
Avec Un tirage à peu près convenable, un grand journal
coûte dix centimes de fabrication. En le donnant à quatre cen-
times aux marchands, on perd douze cents francs par jour sur
un tirage de 20,000. Et les d'Orléans espèrent se rattraper sur
la quantité!
Avez-vous compris, gros fftté?
A propos; vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, pré-
pare une ordonnance qui enjoindra aux libres penseurs de se
faire tatouer sur le front, d'une <a<|on bien apparente, les deux
lettres : ht Ps afin-qu'on- puisse les reconnaître facilement et
les laisser écraser quand ils glissseront sous la roue d'un om-
nibus.
Je vous prie d'agréer, etc.
Monsieur Brequinol, à Lisieux.
Vous trouvez étrange, et voulez bien m'en faire part, que
l'Assemblée nationale ait tenu a être séparée pour le o novembre,
jour où le dernier versement des 5 milliards sera le signal de la
délivrance de la patrie.
Il vous semble que pour ce jour solennel, la place des élus de
la nation était à leur poste.
Vous avez raison ; mais il y avait à cela un grave inconvé-
nient que vous devriez avoir deviné.
La libération du sol, consacrée en pleine Assemblée, eût né-
cessairement fait jaillir, d'un côté ou de l'autre, un de ces mots
chaleureux qui galvanisent un peuple et le rappellent au sen-
timent de la fierté et de l'indépendance.
Et vous comprendrez, sans peine, à quel point de pareils élans
peuvent gêner le développement d'un programme qui ne repose
pas précisément sur l'enthousiasme national.
Une pensée ardente, un mot brûlant, un rien enlin, pourrait
tout compromettre. \M4jj
Voilà pourquoi, cher Monsieur, il est bien recommandé à
tout le monde de ne faire aucune fête en rêjduissànoë dé la dé-
livrance d'un peuple républicain à qui l'on Vient do demander
quelques centaines de mille francs pour faire reluire les dia-
mants d'un roi étranger.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet do Lyon, est
sur le point d'imposer aux compagnies barométriques qui font
le service nocturne de sa localité; d'avoir, pour chacune de
leurs opérations, deux tonneaux bien distincts avec ces indica-
tions : Orthodoxie. —Libre pensée.
Recevez, Monsieur, etc.
LÉON BIENVENU.
L'ENTREVUE DE FROSHDORFF
Au point de vue comique, j'étais, je l'avoue, on ne peut plus
curieux de connaître les détails de rèritrevue de Froshdorff.
Je me figurais mal les deux prétendants établissant les bases
d'une union durable dans un tête-à-tête qui devait commericëf
comme suit,—et pouvait se prolonger indéfiniment sur le même
ton :
le comte de PARIS entrant. — vous iuc Voyez désolé, bien-
aimé cousin, d'arriver aussi tard. J'espérais être ici pour le 23.
Nous aurions célébré ensemble l'anniversaire de 1830, cette
époque mémorable où mon grand-père a passé ïà jaflibe au
vôtre.
le comte de chambori).— Vous mi) voyez irrissi désolé
que vous de ce contre-temps! J'aurais volontiers porté line santé
à votre excellent grand père. Je serais bien ingrat si j'è hè
me rappelais qu'il a eu l'obligeance de ilanquer ma mère en
prison.
le comte de paris se précipitant dans ses bras. — Cher COU-
sin !
le comte de chambord îétroignant. — Cher frère !
Et caîtera et ca3tera.
Ce n'est pas ainsi, en effet, que les deux prétendants se sont
rèrico^trls. S
— Aussi, me direz-vous, c'eût été trop drôle !
Vous n'y êtes point. Cela ne l'eût pas été assez. Les fusion-
nistes ont trouvé quelque chose de bien plus amusant.
<( L'entente, disent leurs journaux, a été des plus cordiales.
On avait écarté la politique avec soin. »
. ' Écarter avec soin la politique d'une entrevue d'où doit dé-
pendre l'attitude de nos groupes parlementaires, est-ce assez
triomphant ?
je tiens pour le diplomate le plus fort de notre époque le fu-
sionniste qui a inventé « l'entrevue politique d'où la politique est
soigneusement écartée. »
Ce personnage rare s'est dit :
« Sur le terrain monarchique, la politique seule nous divise;
supprimons-la. Nous nous entendrons admirablement. »
Et il l'a supprimée.
Et tout lë mondé s'entend.
C'est d'un Christophe Colomb!...
Sachant cette trouvaille, il est aisé maintenant d'imaginer ce
qu'a pu être l'entrevue des bons comtes (qui font les bons amis),
On se les représente face à face ayant chacun à son côté un
fidèle qui le tire par la manche quand il .croit le voir près do
s'égarer sur le terrain de la politique. Il semble qu'on les en-
tend, et c'est presque sous leur dictée qu'on sténographie :
le comte de PARIg, après les compliments d'usage.—Dieu ! quelle
chaleur !
le comte de chambord. —' ^a raison m'en paraît simple.
Cette chaleur est évidemment produite par le rayonnement
inusité du soleil. N'est-ce pas votre avis, mon cousin ?
le comte de paris. — Entièrement. Plus le soleil donne,
et plus la chaleur est intense. De même, plus l'air est chargé
d'eau, et plus la pluie tombe.
le cOmte de chambord. — C'est toujours ce que j'ai
pensé. Pour moi, je ne connais pas d'objet qui protège mieux
contre une averse qu'un bon parapl.....
premier confident, bas, !. tirant par la manche.— Attention !
vous effleurez la politique !
le comte de chambord se reprenant vivement. — Mais vous
prendriez peut-être bien quelque chose ? J'ai remarqué que rien
n'était plus propre qu'une boisson à étancher la soif.
le comte de paris. — Sympathie étrange! J'ai fait plus
de vingt fois la même observation (il boit). Excellent ! c'est un
grog au kirsh. Avez-vous remarqué aussi que, tandis que l'eau
pure laisse les esprits libres, le kirsh, au contraire, vous monte
aisément à la tête?
le comte de oBambord. — Oui, parfaitement.
Le Comte de Paris va pour s'essuyer la bouche avec son mouchoir.
deuxième confident, lui arrêtant le bras. — Un mOUChoir
blanc. Penez garde { Vous allez avoir l'air de faire une mani-
festation politique 1
le comté de paris, s'ossuyant sur sa manche pour mieux dis-
simuler. — Je trouve que de ce temps-ci, on est singulièrement
lourd.
le comte de chambord. — J'allais le dire... Et à ce pro-
pos, je ne serais pas fâché de vous poser une question...
premier confident, l'arrêtant. — Une question. Prenez
garde ! (il échange avec son collègue des regards inquiets.)
LE comte de chambord, à son hôte.. — Qu'est-ce que
vous pensez du sommeil ?
le comte de paris. — Mais, je crois fermement qu'il re-
pose.
le comte de chambord. — Tiens, exactement comme
moi. C'est étonnant comme nous nous entendons sur tout.
De la conversation des deux prétendants, continuée pendant
plusieurs heures sur.ee ton, il résulte, à n'en pas douter, qu'ils
sont complètement d*accord :
Sur la chaleur qui se dégage du soleil ;
Sur l'importance des parapluies les jours d'orage;
Sur la propriété qu'ont les boissons d'étancher la soif;
Sur le repos que le sommeil procure;
Sur l'utilité des plumes dans la correspondance ;
Sur la fragilité du verre ;,
Sur l'acidité du citron;
Sur l'effet pernicieux dès haricots ;
Sur la sonorité des instruments en cuivre;
Sur l'inoouité de la douce Révâlescière ;
Sur l'inconvénient des poêles en fonte...
Ce" sera une véritable joie pour tous les vrais patriotes de sa-
voir que, sur ces points si divers, les prétendants ne sont pas
divisés.
En accusant devant tous leur adhésion mutuelle à ces grands
principes, Us ne rapprochent pas seulement deux branches en-
nemies ; c'est la France entière qu'ils doivent rallier autour
d'ùn grouped'opiùions indiscutées et indiscutables.
PAUL PARFAIT.
NOUVEAUX DIALOGUES DES MORTS
Lé théâtre représente un coin des Champs-Elysées classiques. Temps d'étr
que" tempère. UÛe brise aimable. Ombrages verts. Petits ruisseaux mur
murants-Ga2ons «'-pais. Fleurettes nombreuses. Chants d'oiseaux.
Dos personnages des deux sexes se promènent bras dessus bras dessous.
Une Souriante sérénité resplendit sur leur visage.
BACHAUMONT. - UN MORT RÉCENT.
bachaumoStï. Eh bien! mon cher monsieur, que dites-
vous de votre 'nouveau séjour?
le mort. — Il me tJsarrne tout à fait. Cela ressemble à
Ville-d'Avray, un matin *<5ë Septembre, de hB regrette pas la
terre, oh ! mais pas du tout !...
bachaumont. — Ceux que vous avez laissés en bas, eux,
sont moins résignés que vous. Ils déplorent encore le trépas d'un
homme de bien.
le mort. — Ça se passera. Bailleurs, le convoi que j'ai
pris pour arriver ici était un convoi civil....
Bachaumont. — Monsieur, permettez-moi de vous serrer
ia main... Un convoi civil, disiez-vous?
le mort. — Oui. On m'encrotta, comme dit M. Veuillot.
Or, en ma qualité d'encrotté, vous devinez bien quo le souvenir
des ivuvres charitables que j'ai pu faire avant d'expirer, est
destiné à disparaître rapidement, effacé par les mille et une ca-
lomnies des gfehs pieux.
bachattmont. — C'est vrai^ Aussi pourquoi vous avisez-
vous d'avoir été un homme utile'
le mort. — Malheureusement, je n'aurais jamais pu me
résoudre, même pour un ciel, à vivre pouilleux et gênant,
comme le jp'enhëureux Benoit Labre.
bachaumont. — On a chacun son tempérament. Et puis,
Labre était bon à sa manière. Il n'a jamais fait de mal à un...
peigne, celui-là.
le mort. — Pouah! — Mais, oublions ce pauvre hère. —
Promenons-nous un peu. Le voulez-vous ?
bachaumont. — Je trie fais votre cicérone avec jeie...
le mort. — Ah ! à propos... je n'ai pas tout à fait dépouillé
le vieil homm'e... et un restant de curiosité logo encore en moi...
.l'ai nue demande à vous faire?
Bachaumont. — Expliquez-vous.
' le irc-rt. — Voici : D'abord, je vous prie do me présenter
aux Ombres illustres qui peuplent les Champs-Elysées.
bachaumont. — A l'instant. Toute la société de madame
Doublet est là : Voisenon, Piron, etc., etc.. Il faut bien rire !
Nous tenons registre, comme autrefois, de tout ce qui se passe
ici. C'est moins léger que jadis. Mais on décoche néanmoins
son petit quatrain poivré, de temps à autre. A la mort comme
à la mort !
le mort. — C'est avec respect que je saluerai madame
Doublet, cher auteur des Mémoires ! Mais ce que je voudrais
voir, avant tout, c'est-cette fameuse Histoire dont on nous re-
battait les oreilles au collège. Je voudrais la voir, burinant les
J'AI REÇU VOTRE HONORÉE DU...
PETIT COURRIER
Monsieur Dut aille, à Montargis.
Vous me demandez ce que je pense de l'église dû Sacré-Cœur
de Jésus qui va être élevée sur la butte Montmartre.
Votre malice est cousue de fil blanc. Vous voudriez me mettre
mal avec la commission de permanence en me faisant dire que
l'Assemblée nationale a voté là une mesure de futilité publique.
Je saurai éviter ce piège, tout en répondant poliment à votre
question perfide.
Je pense que du haut de ce temple on aura une bien jolie
vue.
Mais je pense encore qu'un pareil endroit est bien malencon-
treusement choisi pour y bâtir la maison d'un Dieu qui a dit :
Quiconque s'élève sera abaissé.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, va
rendre un arrêté pour interdire aux libres penseurs de circuler
sur la voie publique après dix heures du soir.
Recevez, monsieur, etc., etc.
Monsieur Bourdeuil, à Chdions-sur-Marne.
Oui, monsieur, oui... vous êtes parfaitement renseigné.
Le prince Napoléon, plus communément connu sous le nom
de prince de Dosdeface, revendique son titre de général de
division.
Et je ne vois pas trop pourquoi cette nouvelle vous trouve si
stupéfait.
Quoi de plus naturel que cette revendication sous une farou-
che République qui semble regretter de n'avoir pas plus de
portes pour les ouvrir toutes aux prétendants?
Vous ignorez, — ou du moins vous faites semblant d'ignorer,
— que c'est là une tradition sainte.
Quand une monarchie s'installe en France, elle ne trouve pas
Cayenne assez grand pour y entreposer les républicains qui
pourraient nuire à sa consolidation.'
Mais lorsqu'une République s'improvise, elle trouve la France
trop petite à son gré pour y loger tous les princes du sang,
passés, présents et futurs.
C'est un pli pris, et duquel les républiques ne se guériront
pas avant d'en être mortes encore une douzaine de fois au
moins.
Beaucoup de gens prétendent que c'est conforme aux grands
principes de la liberté ; d'autres trouvent que c'est surtout con-
forme aux immenses principes de la bêtise.
Les uns ne craignent pas d'avancer que la République doit
être la première à donner l'exemple du respect des droits de
chacun.
Les autres estiment que la sagesse consiste à mettre des
verroux en dedans, afin que les filous restent dehors.
Je vous livre, cher monsieur Bourdeuil, ces différentes appré-
ciations. Vous en ferez l'usage que bon vous semblera.
A propos, vous savez que monsieur Ducros, le préfei de Lyon,
est sur le point de créer des chalets de nécessité, à trois com-
partiments, avec entrées distinctes étiquetées de la manière
suivante :
Côté des hommes. — Côté des dames. — Côté des libres pen-
seurs.
J'ai l'honneur de vous présenter, etc., etc.
Monsieur Vergnol, à Chdtcaudun.
Vous êtes bien bon de vous informer de la santé de notre
cher état de siège.
Il va toujours très-bien, ce pauvre ami.
Seulement, il ne se lève pas encore.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, va
prescrire aux établissements de bains froids de faire baigner les
libres penseurs dans un coin réservé, en aval du iieuve, afin
que les baigneurs bien pensants ne reçoivent pas l'eau qui leur
a passé sur la... charogne.
J'ai l'honneur, monsieur, etc., etc.
Monsieur Tourbinel, à Alençon.
Oui, je suis de votre avis, cher monsieur; l'article expectoré
l'autre jour par M. Xavier de Montée in, en plein Figaro, à pro-
pos des enterrements civils, était une honte.
Oui, certes, réclamer, et réclamer en termes abjects, la voi-
ture et le charnier des suppliciés pour la carcasse immonde des
gens qui pensent autrement que soi, est une action qui soulève
le cœur de tout homme honnête.
' Mais j'espère bien que vous n'avez point été la dujjp de cgtte
boutade', et que vous avez vu le piège grossier qu'elle tendait
aux écrivains qui auraient succombé à leur indignation en re-
levant ces basses injures.
Incontestablement, celui de nous qui eût voulu répondre à
cela, et y répondre à l'aide des mêmes procédés, se fût brûlé
les ailes à la flamme, très-vive en ce moment, du Sacré-Cœur,
de Jésus.
C'était ce que l'on cherchait.
Personne de nous ne s'est fei'épris BÛr 'cette brutàlé provoca-
tion des nouvelles blouses blanches noires, et l'on a laissé retom-
ber d'elle-même cette invite gracieuse à.....la police correction-
nelle.
On recommencera sans doute un de ces jours; mais c'est bien
éventé.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, va
interdire les trottoirs aux libres penseurs et les forcer de circu-
ler sur la chaussée avec les chevaux.
Recevez, Monsieur, etc.
Monsieur MaRINAc, à Saint-Étienne.
Vous me demandez pourquoi nous vous faisons payer
l'Éclipsé dix centimes et pourquoi les grands journaux se ven-
dent trois sous, quoique le Soleil, journal quotidien d'une
aussi grande dimension que ses confrères, se donne pour un
sou?
Vous êtes à peu près poli en me posant la question; mais je
vois bien à votre ponctuation saccadée que votis vous tenez à
quatre pour ne pas nous traiter de voleurs.
Vous m'inspirez, cher Monsieur, une profonde pitié; et je
veux vous le prouver on faisant la lumière dans la chambre
noire de votre intelligence.
Avec Un tirage à peu près convenable, un grand journal
coûte dix centimes de fabrication. En le donnant à quatre cen-
times aux marchands, on perd douze cents francs par jour sur
un tirage de 20,000. Et les d'Orléans espèrent se rattraper sur
la quantité!
Avez-vous compris, gros fftté?
A propos; vous savez que M. Ducros, le préfet de Lyon, pré-
pare une ordonnance qui enjoindra aux libres penseurs de se
faire tatouer sur le front, d'une <a<|on bien apparente, les deux
lettres : ht Ps afin-qu'on- puisse les reconnaître facilement et
les laisser écraser quand ils glissseront sous la roue d'un om-
nibus.
Je vous prie d'agréer, etc.
Monsieur Brequinol, à Lisieux.
Vous trouvez étrange, et voulez bien m'en faire part, que
l'Assemblée nationale ait tenu a être séparée pour le o novembre,
jour où le dernier versement des 5 milliards sera le signal de la
délivrance de la patrie.
Il vous semble que pour ce jour solennel, la place des élus de
la nation était à leur poste.
Vous avez raison ; mais il y avait à cela un grave inconvé-
nient que vous devriez avoir deviné.
La libération du sol, consacrée en pleine Assemblée, eût né-
cessairement fait jaillir, d'un côté ou de l'autre, un de ces mots
chaleureux qui galvanisent un peuple et le rappellent au sen-
timent de la fierté et de l'indépendance.
Et vous comprendrez, sans peine, à quel point de pareils élans
peuvent gêner le développement d'un programme qui ne repose
pas précisément sur l'enthousiasme national.
Une pensée ardente, un mot brûlant, un rien enlin, pourrait
tout compromettre. \M4jj
Voilà pourquoi, cher Monsieur, il est bien recommandé à
tout le monde de ne faire aucune fête en rêjduissànoë dé la dé-
livrance d'un peuple républicain à qui l'on Vient do demander
quelques centaines de mille francs pour faire reluire les dia-
mants d'un roi étranger.
A propos, vous savez que M. Ducros, le préfet do Lyon, est
sur le point d'imposer aux compagnies barométriques qui font
le service nocturne de sa localité; d'avoir, pour chacune de
leurs opérations, deux tonneaux bien distincts avec ces indica-
tions : Orthodoxie. —Libre pensée.
Recevez, Monsieur, etc.
LÉON BIENVENU.
L'ENTREVUE DE FROSHDORFF
Au point de vue comique, j'étais, je l'avoue, on ne peut plus
curieux de connaître les détails de rèritrevue de Froshdorff.
Je me figurais mal les deux prétendants établissant les bases
d'une union durable dans un tête-à-tête qui devait commericëf
comme suit,—et pouvait se prolonger indéfiniment sur le même
ton :
le comte de PARIS entrant. — vous iuc Voyez désolé, bien-
aimé cousin, d'arriver aussi tard. J'espérais être ici pour le 23.
Nous aurions célébré ensemble l'anniversaire de 1830, cette
époque mémorable où mon grand-père a passé ïà jaflibe au
vôtre.
le comte de chambori).— Vous mi) voyez irrissi désolé
que vous de ce contre-temps! J'aurais volontiers porté line santé
à votre excellent grand père. Je serais bien ingrat si j'è hè
me rappelais qu'il a eu l'obligeance de ilanquer ma mère en
prison.
le comte de paris se précipitant dans ses bras. — Cher COU-
sin !
le comte de chambord îétroignant. — Cher frère !
Et caîtera et ca3tera.
Ce n'est pas ainsi, en effet, que les deux prétendants se sont
rèrico^trls. S
— Aussi, me direz-vous, c'eût été trop drôle !
Vous n'y êtes point. Cela ne l'eût pas été assez. Les fusion-
nistes ont trouvé quelque chose de bien plus amusant.
<( L'entente, disent leurs journaux, a été des plus cordiales.
On avait écarté la politique avec soin. »
. ' Écarter avec soin la politique d'une entrevue d'où doit dé-
pendre l'attitude de nos groupes parlementaires, est-ce assez
triomphant ?
je tiens pour le diplomate le plus fort de notre époque le fu-
sionniste qui a inventé « l'entrevue politique d'où la politique est
soigneusement écartée. »
Ce personnage rare s'est dit :
« Sur le terrain monarchique, la politique seule nous divise;
supprimons-la. Nous nous entendrons admirablement. »
Et il l'a supprimée.
Et tout lë mondé s'entend.
C'est d'un Christophe Colomb!...
Sachant cette trouvaille, il est aisé maintenant d'imaginer ce
qu'a pu être l'entrevue des bons comtes (qui font les bons amis),
On se les représente face à face ayant chacun à son côté un
fidèle qui le tire par la manche quand il .croit le voir près do
s'égarer sur le terrain de la politique. Il semble qu'on les en-
tend, et c'est presque sous leur dictée qu'on sténographie :
le comte de PARIg, après les compliments d'usage.—Dieu ! quelle
chaleur !
le comte de chambord. —' ^a raison m'en paraît simple.
Cette chaleur est évidemment produite par le rayonnement
inusité du soleil. N'est-ce pas votre avis, mon cousin ?
le comte de paris. — Entièrement. Plus le soleil donne,
et plus la chaleur est intense. De même, plus l'air est chargé
d'eau, et plus la pluie tombe.
le cOmte de chambord. — C'est toujours ce que j'ai
pensé. Pour moi, je ne connais pas d'objet qui protège mieux
contre une averse qu'un bon parapl.....
premier confident, bas, !. tirant par la manche.— Attention !
vous effleurez la politique !
le comte de chambord se reprenant vivement. — Mais vous
prendriez peut-être bien quelque chose ? J'ai remarqué que rien
n'était plus propre qu'une boisson à étancher la soif.
le comte de paris. — Sympathie étrange! J'ai fait plus
de vingt fois la même observation (il boit). Excellent ! c'est un
grog au kirsh. Avez-vous remarqué aussi que, tandis que l'eau
pure laisse les esprits libres, le kirsh, au contraire, vous monte
aisément à la tête?
le comte de oBambord. — Oui, parfaitement.
Le Comte de Paris va pour s'essuyer la bouche avec son mouchoir.
deuxième confident, lui arrêtant le bras. — Un mOUChoir
blanc. Penez garde { Vous allez avoir l'air de faire une mani-
festation politique 1
le comté de paris, s'ossuyant sur sa manche pour mieux dis-
simuler. — Je trouve que de ce temps-ci, on est singulièrement
lourd.
le comte de chambord. — J'allais le dire... Et à ce pro-
pos, je ne serais pas fâché de vous poser une question...
premier confident, l'arrêtant. — Une question. Prenez
garde ! (il échange avec son collègue des regards inquiets.)
LE comte de chambord, à son hôte.. — Qu'est-ce que
vous pensez du sommeil ?
le comte de paris. — Mais, je crois fermement qu'il re-
pose.
le comte de chambord. — Tiens, exactement comme
moi. C'est étonnant comme nous nous entendons sur tout.
De la conversation des deux prétendants, continuée pendant
plusieurs heures sur.ee ton, il résulte, à n'en pas douter, qu'ils
sont complètement d*accord :
Sur la chaleur qui se dégage du soleil ;
Sur l'importance des parapluies les jours d'orage;
Sur la propriété qu'ont les boissons d'étancher la soif;
Sur le repos que le sommeil procure;
Sur l'utilité des plumes dans la correspondance ;
Sur la fragilité du verre ;,
Sur l'acidité du citron;
Sur l'effet pernicieux dès haricots ;
Sur la sonorité des instruments en cuivre;
Sur l'inoouité de la douce Révâlescière ;
Sur l'inconvénient des poêles en fonte...
Ce" sera une véritable joie pour tous les vrais patriotes de sa-
voir que, sur ces points si divers, les prétendants ne sont pas
divisés.
En accusant devant tous leur adhésion mutuelle à ces grands
principes, Us ne rapprochent pas seulement deux branches en-
nemies ; c'est la France entière qu'ils doivent rallier autour
d'ùn grouped'opiùions indiscutées et indiscutables.
PAUL PARFAIT.
NOUVEAUX DIALOGUES DES MORTS
Lé théâtre représente un coin des Champs-Elysées classiques. Temps d'étr
que" tempère. UÛe brise aimable. Ombrages verts. Petits ruisseaux mur
murants-Ga2ons «'-pais. Fleurettes nombreuses. Chants d'oiseaux.
Dos personnages des deux sexes se promènent bras dessus bras dessous.
Une Souriante sérénité resplendit sur leur visage.
BACHAUMONT. - UN MORT RÉCENT.
bachaumoStï. Eh bien! mon cher monsieur, que dites-
vous de votre 'nouveau séjour?
le mort. — Il me tJsarrne tout à fait. Cela ressemble à
Ville-d'Avray, un matin *<5ë Septembre, de hB regrette pas la
terre, oh ! mais pas du tout !...
bachaumont. — Ceux que vous avez laissés en bas, eux,
sont moins résignés que vous. Ils déplorent encore le trépas d'un
homme de bien.
le mort. — Ça se passera. Bailleurs, le convoi que j'ai
pris pour arriver ici était un convoi civil....
Bachaumont. — Monsieur, permettez-moi de vous serrer
ia main... Un convoi civil, disiez-vous?
le mort. — Oui. On m'encrotta, comme dit M. Veuillot.
Or, en ma qualité d'encrotté, vous devinez bien quo le souvenir
des ivuvres charitables que j'ai pu faire avant d'expirer, est
destiné à disparaître rapidement, effacé par les mille et une ca-
lomnies des gfehs pieux.
bachattmont. — C'est vrai^ Aussi pourquoi vous avisez-
vous d'avoir été un homme utile'
le mort. — Malheureusement, je n'aurais jamais pu me
résoudre, même pour un ciel, à vivre pouilleux et gênant,
comme le jp'enhëureux Benoit Labre.
bachaumont. — On a chacun son tempérament. Et puis,
Labre était bon à sa manière. Il n'a jamais fait de mal à un...
peigne, celui-là.
le mort. — Pouah! — Mais, oublions ce pauvre hère. —
Promenons-nous un peu. Le voulez-vous ?
bachaumont. — Je trie fais votre cicérone avec jeie...
le mort. — Ah ! à propos... je n'ai pas tout à fait dépouillé
le vieil homm'e... et un restant de curiosité logo encore en moi...
.l'ai nue demande à vous faire?
Bachaumont. — Expliquez-vous.
' le irc-rt. — Voici : D'abord, je vous prie do me présenter
aux Ombres illustres qui peuplent les Champs-Elysées.
bachaumont. — A l'instant. Toute la société de madame
Doublet est là : Voisenon, Piron, etc., etc.. Il faut bien rire !
Nous tenons registre, comme autrefois, de tout ce qui se passe
ici. C'est moins léger que jadis. Mais on décoche néanmoins
son petit quatrain poivré, de temps à autre. A la mort comme
à la mort !
le mort. — C'est avec respect que je saluerai madame
Doublet, cher auteur des Mémoires ! Mais ce que je voudrais
voir, avant tout, c'est-cette fameuse Histoire dont on nous re-
battait les oreilles au collège. Je voudrais la voir, burinant les