L'ÉCLIPSÉ
AVIS IMPORTANT. — Les souscrip-
teurs à l'Éclipsé dont l'abonnement ex-
pire le i 5 novembre, sont priés de le
renouveler sans retard, s'ils ne veulent
point subir d'interruption dans la ré-
ception du journal.
LE ROI D'YVETOT
Il était un roi d'Yvetot,
Unique dans l'histoire,
Ecrivant tard, abdiquant tôt,
Par respect pour sa gloire.
On l'estima sincèrement
Pour avoir tenu son serment
Vraiment.
Oh ! oh ! oh ! — Ah ! ah ! ah !
L'honnête homme que c'était là,
La la !
Déroutant calculs et paris,
Il dif, non sans courage :
« Je poursuivrai loin de Paris
« Mon rêve moyen âge ;
« Je dédaigne les faux semblants
« De tous mes amis noirs ou blancs
« Tremblants. »
Oh! oh! oh! — Ah! ah! ah!
L'honnête homme que c'était là,
La la.
On lui conseilla, mais en vuia,
D'agir en habile homme :
« Je suis le roi du droit divin,
« Dit-il, et vive Rome !
« Mon poing de sceptre sera neuf,
« Ou je mettrai Quatre-vingt-neuf
A neuf. »
Oh ! oh ! oh ! — Ah ! ah ! ah !
L'hoimneobstiné que c'était là,
La la.
Bref, rebelle à l'objection,
Moitié roi, moitié moine,
U vainquit la tentation
Ainsi que saint Antoine,
EL tout le monde l'estima,
Hormis le journal où germa
Eyma.
Oh! oh! oh ! — Ah ! ah ah!
L'heureux homme que c'était là,
La la.
POUR FAIRE ME BONNE RÉPUBLIQUE
TIR'LI FAUT.., TIR'LI FAUT...
Au moment où paraîtra ce numéro de YEclipsc, la Chambre
sera réunie.
M. Baze aura peut-être déjà tiré vingt-deux fois la langue à
M. Tolain.
M. Langlois aura peut-être déjà sur le dos une demi-dou-
zaine de rappels à l'ordre.
Cent soixante députés de la gauche auront peut-être déjà été
mordus par les bonapartistes.
Etc., etc.
***
Enfin, le? destinées irrévocables de notre pauvre pays seront
peut-être depuis ving t-quatre heures déjà réglées à une majorité
de deux voix.
Et cet article, qui vise orgueilleusement les meilleurs moyens
de fonder une bonne république, arrivera peut-être dans la
circulation avec cet à-propos d'une excellente recette pour
accommoder un lièvre mangé depuis l'avant-veiue.
N'importe ! Profitons de ces dernières journées d'inconnu
pour nous faire des châteaux en Espagne.
Rêvons que tout va bien.
Si cela va mal, ce sera toujours cela de pris.
»**
Nous admettons donc, si vous le voulez bien, chers lecteurs,
que les Chesnelongistes ont été battus, hier, à la Chambre, à
plate couture.
Désespéran t du succès de leurs manœuvres, ils sont arrivés à
l'Assemblée bien décidés à ne provoquer aucune explication.
La gauche, serrée et compacte, les a attendus de pied ferme,
et, ne les voyant pas bouger, leur a dit courtoisement :
— Eh bien! messieurs..., n'avez-vous donc rien à nous
dire ?
Les Chesnelongistes ont répondu avec malice :
— Mais non... rien du tout!... Qui a pu vous faire suppo-
ser ?... Si nous passions à la discussion de certains chemins de
fer d'intérêt local ?...
* i
Alors, la gauche a répliqué :
— Ah! pardon... nous vous cédions le pas par politesse;
mais, puisque vous n'avez rien à dire, nous allons vous deman-
der la permission de parler.
Et la gauche a carrément déposé sur le bureau du président, ,
»n réclamant l'urgence, un projet de proclamation de la Répu-*
blique définitive.
Bien entendu, les Chesnelongistes ont hurlé :
— Pas du tout!... pas du tout !... restons comme nous som-
mes : nous avons tous des rentes, et nous ne sommes pas pressés
de voir reprendre le travail de ceux qui n'en ont pas!... Nous
avons essayé de faire la monarchie, nous n'avons pas pu... mais
ce n'est pas une raison pour faire la république.....Votons
l'ajournement indéfini d'un provisoire qui réserve tous nos
droits... On ne veut pas que nous entrions ; mais comme nous
avons passé le bout du pied dans le bas de la porte, nous ne le
retirerons pas afin delà laisser entre-bâillée...
*
La gauche, qui, d'ailleurs, connaissait la tirade par cœur de-
puis six mois, y a répondu :
Pardon!... messieurs les Chesnelongistes... mais vous nous
faitespassablcment l'effet du chien du jardinier qui vaut que per-
sonne ne mange parce qu'il ne peut pas manger... Vous avez agité
le pays pour faire la monarchie, et vous avez trouvé bon de met-
tre en question la république qui n'eût jamais dû l'être ; natu-
rellement nous nous sommes armés pour la défendre... Aujour-
d'hui que tout est prêt pour le combat, que vous nous avez
menacés de vos batteries, que vous nous avez forcés à braquer
les nôtres, à faire les frais de fortifications, de munitions, de
galeries de chevaux de frises, etc., etc., vous venez nous dire :
Nous ne vous attaquons pas, laissez-nous tranquilles !... Ah ! non,
par exemple !... Les frais sont faits, nous ne pouvons pas les
recommencer tous les matins et attendre votre bon plaisir. —
Tirez les premiers, messieurs les Anglais !... Non? vous ne vou-
lez pas?... Eh! bien, nous tirerons, nous...
*
* *
Sans plus tarder, la gauche a donc envoyé sa première bordée
qui a été la demande de la proclamation de la République.
L'attaque vigoureusement conduite amis les Chesnelongistes
en déroute.
Nous avons la République !...
- * - • < •■ -
.jniiîiEtfBcf * *
Ah! ce n'est pas dommage!... mais, cette fois, qu'allons-nous
en faire?...
La fonderons-nous enfin ou la fondrons-nous encore?
Voilà la question.
*
* #
Nous n'avons certainement jamais pardonné aux républicains
de 1870 — qui avaient été en partie ceux de 1848 — d'avoir mené
la troisième république par le même chemin où ils avaient vu
sombrer la seconde.
Qu'une génération nouvelle répète les sottises qu'ont faites les
précédentes. Passe à la rigueur,
Mais que la même génération se laisse prendre deux fois au
même trébuchet ;
Que la république de 48, morte des prétendants niaisement
respectés sur son sol, n'ait pas servi d'enseignement à la répu-
blique de 70 !...
C'est évidemment impardonnable.
*
Ce qui le serait encore plus, ce serait de voir cette fois les
hommes de 1873 recommencer à trois années de distance seule-
ment, ce même métier de dupes qui, une troisième fois en moins
de vingt-cinq ans, a failli leur coûter la République.
Nous pensons donc — toujours en admettant la supposition
que la République est depuis hier reconnue définitivement —
que ce gouvernement, désormais incontesté, va prendre son rôle
au sérieux et no plus tolérer que les douze ou quinze préten-
dants au trône — car ils sont bien au moins cela en comptant
toutes les branches et tous les bâtards — continuent à considérer
la République comme un fromage de Hollande où chacun d'eux
peut trouver la nourriture et le logement.
Nous espérons bien que les hommes chargés d'organiser la
République vont resserrer — au moins pour quelque temps —
les fameux clichés du respect des principes et des droits acquis.
Principes sacrés en temps normal, absurdes dans les mo-
ments exceptionnels.
Nous n'avons pas le loisir de nous étendre ici sur ce sujet
— trop grave d'ailleurs pour nous. —
Il y aurait un volume à faire pour démontrer l'éternelle
niaiserie des hommes qui prétendent fonder dos républiques en
laissant séjourner les princes dedans, par respect des principes ;
en conservant à leurs postes tous les fonctionnaires impériaux,
par respect des principes; et en laissant la presse immonde re-
mettre constamment en question l'ordre de choses établi, tou-
jours par respect des principes.
*
* *
Cela est de la duperie au premier chef.
Voilà quatorze sfôc^eg que la monarchie gouverne la France
malgré elle, qu'elle bâillonne tout, prohibe tout, annihile tout,
sans discussion, sang contrôle.
Quatorze cents ans d'essai loyal, c'est gentil, surtout lorsque
l'on aie bon esprit de ne &e,laisser déranger par personne.
Quand la République aura, fait le sien aussi tranquillement,
non pas pendant quatorze siècles, mais seulement pendant
quatorze mois!...
Alors, nous consentirons à parler un peu du respect des prin-
cipes. « flf "x ^
Nous l'avouons, au risque de nous faire conspuer, il est cer-
taines circonstances où le « respect des principes, » malgré toute
sa solennité, nous tient beaucoup plus chaud que de raison.
Et combattre à tout coup avec le « respect des principes » pour
seule arme contre des gens qui répondent invariablement à
coups de mitraille chaque fois que l'imbécillité de leurs adver-
saires leur a donné le dessus, cela ne nous paraît pas beaucoup
(plus malin que d'essayer do gagner un professeur de billard en
jouant contre lui avec une queue d'asperge.
Nous terminerons par cet exemple qui est, croyons-nous, en
situation.
Lorsque l'on veut bâtir une rnaison à Paris, on commence
par entourer de planches l'emplacement destiné" aux travaux
de façon à ce que les passants, les flâneurs, les piétons et les
voitures ne viennent pas encombrer les ouvriers, mêler les ma-
tériaux, déranger le plâtre, etc., etc..
Souvent cette palissade en planches est très-gênante pour la
circulation.
Qui donc oserait demander qu'on l'enlevât avant que les fon-
dations soient achevées, sous prétexte que c'est contraire au
respect des principes ?
Pour bâtir les républiques, comme pour bâtir les maisons,
il faut de la tranquillité et de la place autour.
Voilà pourquoi, si la République en réchappe cette fois!...
nous ne cesserons de demander une palissade.
Et une grande,
Et une haute,
Et une solide!...
LÉON BIENVENU.
MADAME P. K. 0.
C'était par un gai matin d'avril, en l'avril de mes ans, à
Paris.
Je suivais une dame.
Une dame ! Oh ! oh !
- Une dame, oui. — Mais, comme dit l'Evangile selon saint
Jean : « Qui sine peccato est, primum mittat lapidem. »
En français : Que celui qui n'a jamais suivi une dame, avec
des pensées... gracieuses dans la tète, me jette le premier
moellon.
Je suivais donc une dame, par un gai matin d'avril, en l'avril
de mes ans, et mille choses charmantes gazouillaient dans mon
esprit, tandis que tel une docile paillette de ter j'étais attiré
par ce joli aimant féminin qui trottinait devant moi.
Je recommande aux hommes sages, à ce propos, de ne jamais
fixer leurs regards sur les talons d'une dame qui ide devant
eux.
Dans un talon de bottine, sculpté comme un objet d'art, lui-
sant comme un œil noir, il y a la perte d'un homme.
Or, le talon de la fine créature derrière laquelle je marchais
avec une émotion grandissant de minute en minute, était lui-
sant comme un œil noir, sculpté comme un objet d'art; bref
c'était un talon subversif de toute morale.
Le talon en question était accompagné, d'ailleurs, de tout ce
qui constitue une jolie femme. Je pense que l'on m'épargnera
la description de la belle inconnue.'Que chacun de vous, mes-
sieurs, se représente la personne qu'il a suivie avec le plus de
plaisir, un gai matin d'avril, en l'avril de ses ans, et ce sera
comme s'il apercevait la dame dont je parle en ce moment.
Il1 verra distinctement alors les courbes et les ondulations
d'une robe faite à souhait pour le plaisir des yêux (Fénélon) et
les chers petits cheveux frisottés que la brise caresse entre un
faux-col blanc et un chignon massif, sur une nuque délicate,
lui apparaîtront soudain aussi.
Et il sera ravi rétrospectivement.
Donc je suivais une dame adorable de pied en cap, et ceci se
passait à Paris, dans l'étroite rue Jean-Jacques Rousseau, où
on vend tant de chapeaux retapés.
L'air était vif.
Les nez féminins étaient glacés, ça et là!
Les nez féminins étant glacés, on voyait fréquemment les
propriétaires de ces nez tirer leur mouchoir, et se le passer ça
et là, sur le bout rosé de cet organe, qui est comme un trait
d'union vivant entre les femmes et les fleurs.
La dame que je suivais tb-a donc tout à coup de sa poche un
mouchoir à peine grand comme un billet de banque, mais garni
d'une large marge de dentelle.
En l'extrayant de sa retraite, elle fit tomber à ses pieds, sans'
s'en apercevoir, Un petit morceau de papier plié en deux.'
Je me précipitai ôperdûment sur ce papier, et, galant, rou-
gissant, tremblant, je lui dis :
— Madame, vous perdez quelque chose!
La dame se retourna, me regarda du haut de ses yeux par-
faits de forme et de couleur, et me répondit sèchement :
— Vous perdez votre temps, monsieur, merci !
Mort de ma vie! pensai-je. Puis j'ajoutai à haute voix :
— Mais, madame, je vous assure que vous venez de perdre...
-Oui, monsienr, répliqua la dame, avec un sourire plein
d'un écrasant mépris (et j'étais écrasé, du reste,) oui, monsieur.
Et permettez-moi de vous dire, en employant une langue qui
n'est pas la mienne... que je la connais...
— Vous la...
— Oui, monsieur, je la connais! Ce papier que vous m'offrez,
poursuivit la dame, ce papier,- c'est une feuille de votre carnet
sur laquelle vous venez d'écrire un mot aimableà mon adresse,
et vo,ns espérez que je vais le lir$i. Non, monsieur, je la con-
nais. Merci!
Et, détournant la tête, la dame reprit sa course d'un air plus
méprisant que jamais, avec des attitudes de Diane offensée.
Mort de ma vie ! repensai-je. Rendez donc service aux gens !
Puis, après une seconde d'abattement bien excusable chez un
honnête homme qui voit méconnaître la seule bonne pensée
qu'il ait peut-être pu avoir, je tournai les talons, et je me mis
à marcher dans une direction diamétralement opposée à celle
que je suivais l'instant d'avant.
J'étais fâché. Je ne voulais plus avoir rien- de commun avec
cette dame si prompte à la réplique.
Et pourtant, j'avais le cœur vide. La nature a horreur du
vide, disaient les anciens physiciens. Mais si un plat vide, une
boursg vide et un verre vide sont des objets bien faits pour
inspirer de l'horreur à la nature en général, quelle horreur la
nature en particulier doit-elle éprouver pour un cœur vide ?
Tel était mon cœur. J'avais horreur du vide de mon cœur.
Ce vide, je voulais le combler. C'est pourquoi, nourrissant un
fol espoir, j'avais suivi cette dame par un gai matin d'avril en
AVIS IMPORTANT. — Les souscrip-
teurs à l'Éclipsé dont l'abonnement ex-
pire le i 5 novembre, sont priés de le
renouveler sans retard, s'ils ne veulent
point subir d'interruption dans la ré-
ception du journal.
LE ROI D'YVETOT
Il était un roi d'Yvetot,
Unique dans l'histoire,
Ecrivant tard, abdiquant tôt,
Par respect pour sa gloire.
On l'estima sincèrement
Pour avoir tenu son serment
Vraiment.
Oh ! oh ! oh ! — Ah ! ah ! ah !
L'honnête homme que c'était là,
La la !
Déroutant calculs et paris,
Il dif, non sans courage :
« Je poursuivrai loin de Paris
« Mon rêve moyen âge ;
« Je dédaigne les faux semblants
« De tous mes amis noirs ou blancs
« Tremblants. »
Oh! oh! oh! — Ah! ah! ah!
L'honnête homme que c'était là,
La la.
On lui conseilla, mais en vuia,
D'agir en habile homme :
« Je suis le roi du droit divin,
« Dit-il, et vive Rome !
« Mon poing de sceptre sera neuf,
« Ou je mettrai Quatre-vingt-neuf
A neuf. »
Oh ! oh ! oh ! — Ah ! ah ! ah !
L'hoimneobstiné que c'était là,
La la.
Bref, rebelle à l'objection,
Moitié roi, moitié moine,
U vainquit la tentation
Ainsi que saint Antoine,
EL tout le monde l'estima,
Hormis le journal où germa
Eyma.
Oh! oh! oh ! — Ah ! ah ah!
L'heureux homme que c'était là,
La la.
POUR FAIRE ME BONNE RÉPUBLIQUE
TIR'LI FAUT.., TIR'LI FAUT...
Au moment où paraîtra ce numéro de YEclipsc, la Chambre
sera réunie.
M. Baze aura peut-être déjà tiré vingt-deux fois la langue à
M. Tolain.
M. Langlois aura peut-être déjà sur le dos une demi-dou-
zaine de rappels à l'ordre.
Cent soixante députés de la gauche auront peut-être déjà été
mordus par les bonapartistes.
Etc., etc.
***
Enfin, le? destinées irrévocables de notre pauvre pays seront
peut-être depuis ving t-quatre heures déjà réglées à une majorité
de deux voix.
Et cet article, qui vise orgueilleusement les meilleurs moyens
de fonder une bonne république, arrivera peut-être dans la
circulation avec cet à-propos d'une excellente recette pour
accommoder un lièvre mangé depuis l'avant-veiue.
N'importe ! Profitons de ces dernières journées d'inconnu
pour nous faire des châteaux en Espagne.
Rêvons que tout va bien.
Si cela va mal, ce sera toujours cela de pris.
»**
Nous admettons donc, si vous le voulez bien, chers lecteurs,
que les Chesnelongistes ont été battus, hier, à la Chambre, à
plate couture.
Désespéran t du succès de leurs manœuvres, ils sont arrivés à
l'Assemblée bien décidés à ne provoquer aucune explication.
La gauche, serrée et compacte, les a attendus de pied ferme,
et, ne les voyant pas bouger, leur a dit courtoisement :
— Eh bien! messieurs..., n'avez-vous donc rien à nous
dire ?
Les Chesnelongistes ont répondu avec malice :
— Mais non... rien du tout!... Qui a pu vous faire suppo-
ser ?... Si nous passions à la discussion de certains chemins de
fer d'intérêt local ?...
* i
Alors, la gauche a répliqué :
— Ah! pardon... nous vous cédions le pas par politesse;
mais, puisque vous n'avez rien à dire, nous allons vous deman-
der la permission de parler.
Et la gauche a carrément déposé sur le bureau du président, ,
»n réclamant l'urgence, un projet de proclamation de la Répu-*
blique définitive.
Bien entendu, les Chesnelongistes ont hurlé :
— Pas du tout!... pas du tout !... restons comme nous som-
mes : nous avons tous des rentes, et nous ne sommes pas pressés
de voir reprendre le travail de ceux qui n'en ont pas!... Nous
avons essayé de faire la monarchie, nous n'avons pas pu... mais
ce n'est pas une raison pour faire la république.....Votons
l'ajournement indéfini d'un provisoire qui réserve tous nos
droits... On ne veut pas que nous entrions ; mais comme nous
avons passé le bout du pied dans le bas de la porte, nous ne le
retirerons pas afin delà laisser entre-bâillée...
*
La gauche, qui, d'ailleurs, connaissait la tirade par cœur de-
puis six mois, y a répondu :
Pardon!... messieurs les Chesnelongistes... mais vous nous
faitespassablcment l'effet du chien du jardinier qui vaut que per-
sonne ne mange parce qu'il ne peut pas manger... Vous avez agité
le pays pour faire la monarchie, et vous avez trouvé bon de met-
tre en question la république qui n'eût jamais dû l'être ; natu-
rellement nous nous sommes armés pour la défendre... Aujour-
d'hui que tout est prêt pour le combat, que vous nous avez
menacés de vos batteries, que vous nous avez forcés à braquer
les nôtres, à faire les frais de fortifications, de munitions, de
galeries de chevaux de frises, etc., etc., vous venez nous dire :
Nous ne vous attaquons pas, laissez-nous tranquilles !... Ah ! non,
par exemple !... Les frais sont faits, nous ne pouvons pas les
recommencer tous les matins et attendre votre bon plaisir. —
Tirez les premiers, messieurs les Anglais !... Non? vous ne vou-
lez pas?... Eh! bien, nous tirerons, nous...
*
* *
Sans plus tarder, la gauche a donc envoyé sa première bordée
qui a été la demande de la proclamation de la République.
L'attaque vigoureusement conduite amis les Chesnelongistes
en déroute.
Nous avons la République !...
- * - • < •■ -
.jniiîiEtfBcf * *
Ah! ce n'est pas dommage!... mais, cette fois, qu'allons-nous
en faire?...
La fonderons-nous enfin ou la fondrons-nous encore?
Voilà la question.
*
* #
Nous n'avons certainement jamais pardonné aux républicains
de 1870 — qui avaient été en partie ceux de 1848 — d'avoir mené
la troisième république par le même chemin où ils avaient vu
sombrer la seconde.
Qu'une génération nouvelle répète les sottises qu'ont faites les
précédentes. Passe à la rigueur,
Mais que la même génération se laisse prendre deux fois au
même trébuchet ;
Que la république de 48, morte des prétendants niaisement
respectés sur son sol, n'ait pas servi d'enseignement à la répu-
blique de 70 !...
C'est évidemment impardonnable.
*
Ce qui le serait encore plus, ce serait de voir cette fois les
hommes de 1873 recommencer à trois années de distance seule-
ment, ce même métier de dupes qui, une troisième fois en moins
de vingt-cinq ans, a failli leur coûter la République.
Nous pensons donc — toujours en admettant la supposition
que la République est depuis hier reconnue définitivement —
que ce gouvernement, désormais incontesté, va prendre son rôle
au sérieux et no plus tolérer que les douze ou quinze préten-
dants au trône — car ils sont bien au moins cela en comptant
toutes les branches et tous les bâtards — continuent à considérer
la République comme un fromage de Hollande où chacun d'eux
peut trouver la nourriture et le logement.
Nous espérons bien que les hommes chargés d'organiser la
République vont resserrer — au moins pour quelque temps —
les fameux clichés du respect des principes et des droits acquis.
Principes sacrés en temps normal, absurdes dans les mo-
ments exceptionnels.
Nous n'avons pas le loisir de nous étendre ici sur ce sujet
— trop grave d'ailleurs pour nous. —
Il y aurait un volume à faire pour démontrer l'éternelle
niaiserie des hommes qui prétendent fonder dos républiques en
laissant séjourner les princes dedans, par respect des principes ;
en conservant à leurs postes tous les fonctionnaires impériaux,
par respect des principes; et en laissant la presse immonde re-
mettre constamment en question l'ordre de choses établi, tou-
jours par respect des principes.
*
* *
Cela est de la duperie au premier chef.
Voilà quatorze sfôc^eg que la monarchie gouverne la France
malgré elle, qu'elle bâillonne tout, prohibe tout, annihile tout,
sans discussion, sang contrôle.
Quatorze cents ans d'essai loyal, c'est gentil, surtout lorsque
l'on aie bon esprit de ne &e,laisser déranger par personne.
Quand la République aura, fait le sien aussi tranquillement,
non pas pendant quatorze siècles, mais seulement pendant
quatorze mois!...
Alors, nous consentirons à parler un peu du respect des prin-
cipes. « flf "x ^
Nous l'avouons, au risque de nous faire conspuer, il est cer-
taines circonstances où le « respect des principes, » malgré toute
sa solennité, nous tient beaucoup plus chaud que de raison.
Et combattre à tout coup avec le « respect des principes » pour
seule arme contre des gens qui répondent invariablement à
coups de mitraille chaque fois que l'imbécillité de leurs adver-
saires leur a donné le dessus, cela ne nous paraît pas beaucoup
(plus malin que d'essayer do gagner un professeur de billard en
jouant contre lui avec une queue d'asperge.
Nous terminerons par cet exemple qui est, croyons-nous, en
situation.
Lorsque l'on veut bâtir une rnaison à Paris, on commence
par entourer de planches l'emplacement destiné" aux travaux
de façon à ce que les passants, les flâneurs, les piétons et les
voitures ne viennent pas encombrer les ouvriers, mêler les ma-
tériaux, déranger le plâtre, etc., etc..
Souvent cette palissade en planches est très-gênante pour la
circulation.
Qui donc oserait demander qu'on l'enlevât avant que les fon-
dations soient achevées, sous prétexte que c'est contraire au
respect des principes ?
Pour bâtir les républiques, comme pour bâtir les maisons,
il faut de la tranquillité et de la place autour.
Voilà pourquoi, si la République en réchappe cette fois!...
nous ne cesserons de demander une palissade.
Et une grande,
Et une haute,
Et une solide!...
LÉON BIENVENU.
MADAME P. K. 0.
C'était par un gai matin d'avril, en l'avril de mes ans, à
Paris.
Je suivais une dame.
Une dame ! Oh ! oh !
- Une dame, oui. — Mais, comme dit l'Evangile selon saint
Jean : « Qui sine peccato est, primum mittat lapidem. »
En français : Que celui qui n'a jamais suivi une dame, avec
des pensées... gracieuses dans la tète, me jette le premier
moellon.
Je suivais donc une dame, par un gai matin d'avril, en l'avril
de mes ans, et mille choses charmantes gazouillaient dans mon
esprit, tandis que tel une docile paillette de ter j'étais attiré
par ce joli aimant féminin qui trottinait devant moi.
Je recommande aux hommes sages, à ce propos, de ne jamais
fixer leurs regards sur les talons d'une dame qui ide devant
eux.
Dans un talon de bottine, sculpté comme un objet d'art, lui-
sant comme un œil noir, il y a la perte d'un homme.
Or, le talon de la fine créature derrière laquelle je marchais
avec une émotion grandissant de minute en minute, était lui-
sant comme un œil noir, sculpté comme un objet d'art; bref
c'était un talon subversif de toute morale.
Le talon en question était accompagné, d'ailleurs, de tout ce
qui constitue une jolie femme. Je pense que l'on m'épargnera
la description de la belle inconnue.'Que chacun de vous, mes-
sieurs, se représente la personne qu'il a suivie avec le plus de
plaisir, un gai matin d'avril, en l'avril de ses ans, et ce sera
comme s'il apercevait la dame dont je parle en ce moment.
Il1 verra distinctement alors les courbes et les ondulations
d'une robe faite à souhait pour le plaisir des yêux (Fénélon) et
les chers petits cheveux frisottés que la brise caresse entre un
faux-col blanc et un chignon massif, sur une nuque délicate,
lui apparaîtront soudain aussi.
Et il sera ravi rétrospectivement.
Donc je suivais une dame adorable de pied en cap, et ceci se
passait à Paris, dans l'étroite rue Jean-Jacques Rousseau, où
on vend tant de chapeaux retapés.
L'air était vif.
Les nez féminins étaient glacés, ça et là!
Les nez féminins étant glacés, on voyait fréquemment les
propriétaires de ces nez tirer leur mouchoir, et se le passer ça
et là, sur le bout rosé de cet organe, qui est comme un trait
d'union vivant entre les femmes et les fleurs.
La dame que je suivais tb-a donc tout à coup de sa poche un
mouchoir à peine grand comme un billet de banque, mais garni
d'une large marge de dentelle.
En l'extrayant de sa retraite, elle fit tomber à ses pieds, sans'
s'en apercevoir, Un petit morceau de papier plié en deux.'
Je me précipitai ôperdûment sur ce papier, et, galant, rou-
gissant, tremblant, je lui dis :
— Madame, vous perdez quelque chose!
La dame se retourna, me regarda du haut de ses yeux par-
faits de forme et de couleur, et me répondit sèchement :
— Vous perdez votre temps, monsieur, merci !
Mort de ma vie! pensai-je. Puis j'ajoutai à haute voix :
— Mais, madame, je vous assure que vous venez de perdre...
-Oui, monsienr, répliqua la dame, avec un sourire plein
d'un écrasant mépris (et j'étais écrasé, du reste,) oui, monsieur.
Et permettez-moi de vous dire, en employant une langue qui
n'est pas la mienne... que je la connais...
— Vous la...
— Oui, monsieur, je la connais! Ce papier que vous m'offrez,
poursuivit la dame, ce papier,- c'est une feuille de votre carnet
sur laquelle vous venez d'écrire un mot aimableà mon adresse,
et vo,ns espérez que je vais le lir$i. Non, monsieur, je la con-
nais. Merci!
Et, détournant la tête, la dame reprit sa course d'un air plus
méprisant que jamais, avec des attitudes de Diane offensée.
Mort de ma vie ! repensai-je. Rendez donc service aux gens !
Puis, après une seconde d'abattement bien excusable chez un
honnête homme qui voit méconnaître la seule bonne pensée
qu'il ait peut-être pu avoir, je tournai les talons, et je me mis
à marcher dans une direction diamétralement opposée à celle
que je suivais l'instant d'avant.
J'étais fâché. Je ne voulais plus avoir rien- de commun avec
cette dame si prompte à la réplique.
Et pourtant, j'avais le cœur vide. La nature a horreur du
vide, disaient les anciens physiciens. Mais si un plat vide, une
boursg vide et un verre vide sont des objets bien faits pour
inspirer de l'horreur à la nature en général, quelle horreur la
nature en particulier doit-elle éprouver pour un cœur vide ?
Tel était mon cœur. J'avais horreur du vide de mon cœur.
Ce vide, je voulais le combler. C'est pourquoi, nourrissant un
fol espoir, j'avais suivi cette dame par un gai matin d'avril en