L "'ÉCLIPSE
-:--,
AVIS IMPORTANT. — tes souscrip-
teurs à rÉclipse dont l'abonuement ex-
pire le 1 5 novembre, sont priés de le
renouveler sans retard, s'ils ne veulent
point subir d'interruption dans la ré-
ception du j ournal.
LES SALTIMBANQUES
ARRACHEZ!-NE GUÉRISSEZ PAS
Non, la Caricature n'est pas morte!
Le convoi que nous suivions l'autre jour, c'était celui des
bonnes et bravos charges politiques, loyales et franches, dont
nous avons eu fréquemment à déplorer la perte, nous voulons
dire l'interdiction.
Non, la Caricature n'est pas morte !
Et la preuve, c'est que nous commençons aujourd'hui, par le
dessin ci-contre, une série nouvelle : les saltimbanques, les
charlatans et les empiriques.
On voit si nous avons de la marge ! Ce ne sont pas les
modèles qui nous manqueront, sapristi ! Mais, à vrai dire, ce
ne sont pas des portraits, des portraits sans retouche surtout,
— que nous ferons ici.
Nous nous bornerons à reproduire des types.
Si nous travaillons souvent sur une pointe d'aiguille, c'est
que nous y sommes forcés; car nous ne voulons pas que cette
pointe d'aiguille grossisse jiÉqu'à devenir un pal.
Nous serions embrochés.
Donc, nous vous montrons tout simplement aujourd'hui le
type de ces personnages qui, repoussant avec mépris les conseils
de la médecine conciliatrice, se vantent d'extirper les molaires,
dût le malade en crever de douleur.
Ils ne veulent pas guérir; ils arrachent!
Nous aurions pu donner à notre charlatan le costume mili-
taire qu'il endosse généralemeni sur ies places publiques; il
aurait dû tenir un sabre, le sabre traditionnel avec lequel il
annonce qu'il fera sauter les chicots rétifs hors leur alvéole.
Nous ne l'&Vons pas l'ait, de bonne volonté, par crainte des
allusions malignes.
Et nous vous offrons tout bonnement aujourd'hui le portrait
déal d'un de ces docteurs ignorants autant qu'entêtés qui s'obs-
tinent, en dépit des progrès des sciences, à suivre les errements
âci temps passés, et qui se figurent soulager l'humanité souf-
frante en mettant en pratique, malgré les cris du patient, les
théories d'autrefois : — Arrachez! ne guérissez pas!
L'Éclipsé.
L'ETAT DE SIEGE
Nos lecteurs donnaissent le résultat de la discussion qui a eu
lieu à l'Assemblée nationale à proposée l'état de siège.
Monsieur de Broglie a promis qu'il serait levé aussitôt que le
gouvernement aurait à sa disposition des lois pouvant le rem-
placer.
.**
Il n'a pas ajouté :
— « Avec avantage. »
Mais le cœur y était très-probablement.
Si bien qu'en somme, si l'on n'aperçoit pas bien clairement
ce que les quarante-cinq départements actuellement en état de
siège auront gagné à ce qu'on les débarrasse d'un vésicatoire vo-
lant pour leur poser à la même pince un cautère définitif, on
voit très-bien, en revanche, ce qu'y auront perdu les quarante
autres départements qui n'avaient pas de vésicatoire et qui n'en
participeront pas moins au cautère général.
M. de Broglie n'a pas essayé de le dissimuler une seule mi-
nute : une des principales lois qui doivent prochainement ren-
dre l'état de siège aussi inutile qu'une cinquième roue à un
carrosse, est la loi sur la presse.
Dès à présent, on en connaît à peu près l'esprit.
On espère la bâtir sur le modèle de celle qui était en vigueur
en 1852 — et dont nous croyions les plans égarés depuis le
temps !...
Mais, comme on dit dans la Jolie parfumeuse :
« Une f&mme légitime,
« Ça se retrouve, retrouve toujours. »
Il parait qu'il en est des femmes légitimes comme des lois qui
ne le sont pas.
Bref, pour remplacer l'état do siège en ce qui concerne îa
presse, le gouvernement aura donc à sa disposition :
L'autorisation préalable......... (apprêtez !... arm's !...)
Les avertissements................ (enjoué!...)
La suppression................(feu!...)
*
* *
Ce n'est vraiment pas trop mal.
Et quand l'on voit M. de Broglie tout disposé à renoncer aux
douceurs de l'état de siège aussitôt qu'on lui aura donné tout
cela à la place, on ne peut guère se retenir de penser à cette
plaisanterie de fumiste, toujours drôle, et qui consiste à dire,
en voyant passer une plantureuse et appétissante commère :
— Eh!... dis donc... Polyte!... avec ça dans son lit, on se
passef^btcft'u^etnmo' !. ;.'
Le plus original de l'affinre, c'est que, comme nous le disions
tout à l'heure, la nouvelle oi projetée sur la presse, qui n'est
en somme autre chose que l'état de siège décomposé en trois
temps, n'améliorera en rien la situation des départements ac-
tuellement soumis à l'administration militaire; m.us qu'elle
aggravera sensiblement celle des autres parties de la France
qui avaient échappé au bonheur de soumettre leurs journaux
aux intelligents éperons d'un état-major.
#*#
De sorte que si l'on veut comparer l'état de sh'go à une tache
noire s'étendant sur une partie de la France, laquelle tache la
gauciie demandait au gouvernement de vouloir bien passer à la
benzine du droit commun, M. de Broglie, avec son projet de
loi sur la presse, a tout l'air de cet homme qui faisait disparaî-
tre les taches d'encre qui maculaient son devant de chemise en
vidant dessus tout le contenu de son encrier.
*
Comme tous les débats qui se "produisent à rassemblée, la
discussion sur l'état de siège a arraché à un membre de la
droite un des éclairs d'éloquence qui' suffisent à immortaliser
leur homme.
L'heuteux mortel qui va passer à la po?térité, celte fois, est
un monsieur de Malartre qui est venu à la tribune développer
ce principe que lYtat de siège ne gênait en aucune façon les
bonnetiers, et que, par conséquent, il fallait le maintenir.
*
L'acteur Geoffroy, du Palais-Royal, avec sa bonne grosse
figure de bourgeois cossu et satisfait, eût été parfait dans ce
rôle-là.
Il nous semble entendre sa tirade :
— Pourquoi demande-t on la levée de l'état de siège ? qui
gêne-t-il l'état de siège? Pas moi, assurément, ni aucun des
honnêtes citoyens qui, comme moi, ont une vie saine et régu-
lière doublée d'un ab mnement à la Patrie'.... Lever l'état de
siège!... Peuh !... je vous demande un peu pourquoi faire?...
Pour faciliter à un tas de bavards qui n'ont pas le sou l'accès
des clubs ou des journaux!... Est-ce que le citoyen honnête va
au club?... Est-ce que j'y vais, moi, au club?... est-ce que
j'écris, moi, dans les journaux?... Tout ça c'est des bêtises !...
A quoi ça peut-il servir de donner à des écrivassiers la facilité
de parler au peuple de sa situation précaire, puisqu'il n'y a pas
de remède ?... Ça ravive ses douleurs, et voilà tout !... Si on ne
parlait jamais de manger aux gens qui ont faim, ils flairaient
par ne plus y penser.
*
Nous regrettons vivement que M. de Malartre n'ait pas Je ta-
lent de Geoffroy, car il aurait pu dévelO[qiervavec un grand
succès ces différents arguments que nous n'avons fait qu'indi-
quer.
Ce qu'il a dit, pourtant, n'a pas été inutile, et sa théorie 4e
l'état de siège qui doit être maintenu,parce qu'aucun fabricant
de bonnets de coton ne s'en est encore plaint, pourra servir de
point de départ pour discuter bien des questions.
Grâce à ce principe, un député pourra refuser de voter les
fonds nécessaires à l'endiguemcnt de la Loire, parce que les
débordements de ce fleuve ne gênent pas les habitants du Pas-
de-Calais.
De même au conseil municipal, on pourra demander pour-
quoi on dépense de l'argent à éclairer les boulevards extérieurs,
puisqu'aucuii boutiquier du passage du Saumon ne s'est plaint
de l'obscurité de la rotonde de la Villette.
Et ainsi de suite.
Bref, ce qui semble résulter de tout cela, c'est que nous ne
tarderons pas à être délivrés do l'état do siège, à peu près
comme les habitants de la banlieue qui, pendant l'armistice,
étaient délivrés des quinze Saxons qu'on leur avait donn's à
loger, et qui voyaient arriver le même jour vingt-deux Bava-
rois pour les remplacer.
Nous n'avons jamais été bien fou de l'état de siège. 11 n'avait
guère occupé jusqu'ici dans nos affections que la part ordinai-
rement réservée à la petite vérole, aux romans de Xavier de
Montépin et aux pianistes.
Mais, nous l'avouons sans aacune honte, nous tremblons
aujourd'hui de le perdre.
Nous commencions à nous y habituer.
Eh ! bien, franchement, d'après les promesses de M. de Bro
glie et ses projets de loi sur les libertés de toutes sortes, nous
n'apercevons pas assez distinctement l'avantage qu'aura pour
nous un régime qui nous forera à nous taire sur un régime
qui nous empêche de parler.
LÉON BIENVENU.
LA VOIE PUBLIQUE
Où la voie publique commence-t-elle? où finit-elle?
Ce ne serait pas trop, dans le trouble actuel des esprits, de le
déterminer par une loi.
« La voie publique, dit Littré : les rues, les places, les che
mins publics. »
Mais M. Littré est un affreux révolutionnaire, et l'on conçoit
que les parlisans de i'ordre moral ile soient pas sur ce point,
comme sur bien d'autres, d'accord avec lui.
A Toulouse et à Douai, par exemple, il vient d'être établi
de par la justice — que l'intérieur des habitations n'est qu'un
prolongement de la voie publique.
Deux jugements, rendus par la Cour d'appel des deux villes
susnommées, déclarent qu'un journal dont la vente est inter-
dite sur la voie publique ne peut être distribué que par la poste
aux abonnés.
Donc, les seuls journaux non interdits sur la voie publique
auront le droit de servir leurs abonné par ie moyen de por-
teurs.
Donc, le porteur d'un journal interdit quj ie déposerait chez
le concierge d'un abonné se rendrait coupable du délit de vente
sur la voie publique.
Donc, la loge d'un concierge — à Tours et à Douai provisoi-
ement — est une voie publique!
Mais toutes les maisons, en province surtout, sont loin d'être
pourvues de concierges.
Si c'est à la porte même de l'abonné que le porteur sonne
pour lui remettre son journal, le palier de l'abonné ne devient-
il pas, par ce seul fait, voie publique?
Evidemment oui, puisque le cas de voie publique n'est pas
subordonné à la remise du journal en tel lieu plutôt qu'en tel
autre, mais seulement à la remise à domicile par un porteur.
Si c'est dans l'antichambre que le porteur remet le journal à
l'abonné au lieu de le lui remettre sur le palier, la jurispru-
dence en est-elle changée?
Nullement.
Donc, l'antichambre de l'abonné devient à volonté voie pu-
WtiM 1 111 mm 'nu 1.....■■iiniiBiiiiiiLi ii_ii_a»«injn. - iiiiiii 1 ■111111 m 11
Et si le porteur pénètre jusqu'à la salle à manger, voilà la
salle à manger voie publique à son tour.
Et si le porteur, familier dans la maison, fait par malheur
un pas dans la chambre à coucher...
Il n'y a rien de désagréable — q«'on y songe — comme de
penser que votre chambre à coucher est devenue une voie pu-
blique.
Car si elle est devenue voie publique, pourquoi ne serait-
elle pas dès-lors soumise aux règlements ordinaires de la voie-
rie :
Visite d'agents voyers,
Interdiction d'encombrer la voie,
Obligation de gratter ses murs au moins une fois tous les
dix ans,
Défense de déposer des ordures,
Défense de porter ai teinte aux mœurs.
Un porteur de Douai nous écrit :
« Depuis le fatal jugement qui assimile ma petite chambre à
la voie publique, je ne la traverse plus en chmiise sans effroi. »
C'est ce cri d'angoisse arrivé juspu'à nous qui nous fait pren-
dre aujourd'hui la plume.
Il importe qu'on sache dorénavant où -la voie publique com-
mence et où elle finit,
Il importe qu'elle ne commence pas à Douai ailleurs qu'à
Lille, ni qu'elle ne finisse pas à Toulouse ailleurs qu'à Castel-
naudary.
Il importe enfin que les consciences soient rassurées et que
l'abonné d'un journal interdit sur la voie publique puisse
changer de pantalon dans sa chambre sans craindre de se voir
arrêté pour attentat public à la pudeur.
PAUL PAF.FA1T.
TYPES PARISIENS
MONSIEUR LIONCEAU
Bien qu'il porte un nom à faire trembler sur leurs pattes
élégantes les gazelles et les antilopes, M. Lionceau n'a rien et
n'a jamais rien eu d'effrayant dans toute sa grosse personne.
M. Lionceau est un \ olumineux brave homme de la vieille
roche lutécienne qui, depuis l'instant où je l'ai vu pour la pre-
mière fois, c'est-à-dire le matin du 24 février 1848 jusqu'à ce
jour, s'est toujours manifesté, et se manifestera longtemps en-
core, je l'espère, aux yeux du public, sous l'enveloppe suivante :
— Pantalon à pied gris de fer, honorablement étoffé vers la
région abdominale, et ayant pour base une paire de pantoufles
fleuries; veston, ou plutôt gilet à manches de dimensions
vastes, pourvu d'un nombre considérable de poches, pochettes
et goussets, le tout taillé dans un laineux tissu écossais à car-
reaux de couleurs vives.
Un épais foulard bleu s'enroule autour de son cou: on dirait
un des serpents de Loocoon qui, ayant achevé son œuvre fa-
tale sur la personne de ce grand prêtre, s'est (J onné la tâche
d'étouffer un jour M. Lionceau; et, de fait, tou?\porte à croire
qu'il atteindra sou but, hélas ! car la face de M . Lionceau est
d'un rouge violacé qui prouve que le serpent bleu a déjà obtenu
un commencement de résultat assez satisfaisant... pour lui.
Signes particuliers à ajouter à cette description sommaire :
Hiver comme été, M. Lionceau marche dans cette vallée de
larmes que nous appelons la vie, la tête absolument dépouillée
de tonte espèce de coiffure. La nature lui a du re* ;te fait cadeau
d'une tignasse rousse qui remplace fort bien les ^chapeaux, cas-
quettes ou bérets. Eu outre, le bras-gauche de M. Lionceau
supporte constamment une serviette blanche. Quand le soleil
ou le froid est par trop vif, M. Lionceau jette négligemment
cette servietee sur son crâne, et ainsi casqué il as joue des élé-
ments!
Un trait achèvera ce croquis. Aux doigts de la main droite de
M. Lionceau, une chose comestible quelconque est suspendue
en toute saison.
• Car, et j'aurais dû le proclamer dès le début- «de ce portrait,
M. Lionceau est un restaurateur, un simple et fort modeste
restaurateur qu'on peut voir, tous les jours, d.ès dix heures du
matin, dans la grande rue de Belleville, en train de couvrir
d'une nappe d'une blancheur éclatante les deux; tables que l'au-
torisation permet d'installer sur le trottoir, le long de son éta-
blissement, au sein d'un bosquet faclice.
Ce fut le matin du 26 février, je l'ai dit plus -haut, que l'heur
de voir M. Lionceau me fut enfin accordé: Il faisait très-froid.
J'allais à l'école. Tout à coup un groupe d'individus qui por-
taient à la fois des fusils et des sabres, liumnre une troupe de
Robinsons allant à la découverte (du moins ça me fit cet effet
là), se présenta à mes yeux. Au milieu d'eux marchait un
gros homme, en veston à carreaux écossais, tête nue, une ser-
viette sous le bras, et tenant des harengs à la main. Cet
homme avait la face rougo mais bénigne. Il riait. C'était
M. Lionceau. Il allait prendre les Tuileries, avec ses harengs,
et nu-tête. Quand il passa prèsd6 moi, qui ouvrais une bouche
insondable, il me dit : « — C'est la République. Retourne chez
toi. On ne va pas à l'école aujourd'hui. » « _ Tiens! Pourquoi
ça? dis-je.
Et loin de retourner dans mes foyers, je me ruai dans la di-
rection de l'école, semant sur mon passage les tartines de pain
-:--,
AVIS IMPORTANT. — tes souscrip-
teurs à rÉclipse dont l'abonuement ex-
pire le 1 5 novembre, sont priés de le
renouveler sans retard, s'ils ne veulent
point subir d'interruption dans la ré-
ception du j ournal.
LES SALTIMBANQUES
ARRACHEZ!-NE GUÉRISSEZ PAS
Non, la Caricature n'est pas morte!
Le convoi que nous suivions l'autre jour, c'était celui des
bonnes et bravos charges politiques, loyales et franches, dont
nous avons eu fréquemment à déplorer la perte, nous voulons
dire l'interdiction.
Non, la Caricature n'est pas morte !
Et la preuve, c'est que nous commençons aujourd'hui, par le
dessin ci-contre, une série nouvelle : les saltimbanques, les
charlatans et les empiriques.
On voit si nous avons de la marge ! Ce ne sont pas les
modèles qui nous manqueront, sapristi ! Mais, à vrai dire, ce
ne sont pas des portraits, des portraits sans retouche surtout,
— que nous ferons ici.
Nous nous bornerons à reproduire des types.
Si nous travaillons souvent sur une pointe d'aiguille, c'est
que nous y sommes forcés; car nous ne voulons pas que cette
pointe d'aiguille grossisse jiÉqu'à devenir un pal.
Nous serions embrochés.
Donc, nous vous montrons tout simplement aujourd'hui le
type de ces personnages qui, repoussant avec mépris les conseils
de la médecine conciliatrice, se vantent d'extirper les molaires,
dût le malade en crever de douleur.
Ils ne veulent pas guérir; ils arrachent!
Nous aurions pu donner à notre charlatan le costume mili-
taire qu'il endosse généralemeni sur ies places publiques; il
aurait dû tenir un sabre, le sabre traditionnel avec lequel il
annonce qu'il fera sauter les chicots rétifs hors leur alvéole.
Nous ne l'&Vons pas l'ait, de bonne volonté, par crainte des
allusions malignes.
Et nous vous offrons tout bonnement aujourd'hui le portrait
déal d'un de ces docteurs ignorants autant qu'entêtés qui s'obs-
tinent, en dépit des progrès des sciences, à suivre les errements
âci temps passés, et qui se figurent soulager l'humanité souf-
frante en mettant en pratique, malgré les cris du patient, les
théories d'autrefois : — Arrachez! ne guérissez pas!
L'Éclipsé.
L'ETAT DE SIEGE
Nos lecteurs donnaissent le résultat de la discussion qui a eu
lieu à l'Assemblée nationale à proposée l'état de siège.
Monsieur de Broglie a promis qu'il serait levé aussitôt que le
gouvernement aurait à sa disposition des lois pouvant le rem-
placer.
.**
Il n'a pas ajouté :
— « Avec avantage. »
Mais le cœur y était très-probablement.
Si bien qu'en somme, si l'on n'aperçoit pas bien clairement
ce que les quarante-cinq départements actuellement en état de
siège auront gagné à ce qu'on les débarrasse d'un vésicatoire vo-
lant pour leur poser à la même pince un cautère définitif, on
voit très-bien, en revanche, ce qu'y auront perdu les quarante
autres départements qui n'avaient pas de vésicatoire et qui n'en
participeront pas moins au cautère général.
M. de Broglie n'a pas essayé de le dissimuler une seule mi-
nute : une des principales lois qui doivent prochainement ren-
dre l'état de siège aussi inutile qu'une cinquième roue à un
carrosse, est la loi sur la presse.
Dès à présent, on en connaît à peu près l'esprit.
On espère la bâtir sur le modèle de celle qui était en vigueur
en 1852 — et dont nous croyions les plans égarés depuis le
temps !...
Mais, comme on dit dans la Jolie parfumeuse :
« Une f&mme légitime,
« Ça se retrouve, retrouve toujours. »
Il parait qu'il en est des femmes légitimes comme des lois qui
ne le sont pas.
Bref, pour remplacer l'état do siège en ce qui concerne îa
presse, le gouvernement aura donc à sa disposition :
L'autorisation préalable......... (apprêtez !... arm's !...)
Les avertissements................ (enjoué!...)
La suppression................(feu!...)
*
* *
Ce n'est vraiment pas trop mal.
Et quand l'on voit M. de Broglie tout disposé à renoncer aux
douceurs de l'état de siège aussitôt qu'on lui aura donné tout
cela à la place, on ne peut guère se retenir de penser à cette
plaisanterie de fumiste, toujours drôle, et qui consiste à dire,
en voyant passer une plantureuse et appétissante commère :
— Eh!... dis donc... Polyte!... avec ça dans son lit, on se
passef^btcft'u^etnmo' !. ;.'
Le plus original de l'affinre, c'est que, comme nous le disions
tout à l'heure, la nouvelle oi projetée sur la presse, qui n'est
en somme autre chose que l'état de siège décomposé en trois
temps, n'améliorera en rien la situation des départements ac-
tuellement soumis à l'administration militaire; m.us qu'elle
aggravera sensiblement celle des autres parties de la France
qui avaient échappé au bonheur de soumettre leurs journaux
aux intelligents éperons d'un état-major.
#*#
De sorte que si l'on veut comparer l'état de sh'go à une tache
noire s'étendant sur une partie de la France, laquelle tache la
gauciie demandait au gouvernement de vouloir bien passer à la
benzine du droit commun, M. de Broglie, avec son projet de
loi sur la presse, a tout l'air de cet homme qui faisait disparaî-
tre les taches d'encre qui maculaient son devant de chemise en
vidant dessus tout le contenu de son encrier.
*
Comme tous les débats qui se "produisent à rassemblée, la
discussion sur l'état de siège a arraché à un membre de la
droite un des éclairs d'éloquence qui' suffisent à immortaliser
leur homme.
L'heuteux mortel qui va passer à la po?térité, celte fois, est
un monsieur de Malartre qui est venu à la tribune développer
ce principe que lYtat de siège ne gênait en aucune façon les
bonnetiers, et que, par conséquent, il fallait le maintenir.
*
L'acteur Geoffroy, du Palais-Royal, avec sa bonne grosse
figure de bourgeois cossu et satisfait, eût été parfait dans ce
rôle-là.
Il nous semble entendre sa tirade :
— Pourquoi demande-t on la levée de l'état de siège ? qui
gêne-t-il l'état de siège? Pas moi, assurément, ni aucun des
honnêtes citoyens qui, comme moi, ont une vie saine et régu-
lière doublée d'un ab mnement à la Patrie'.... Lever l'état de
siège!... Peuh !... je vous demande un peu pourquoi faire?...
Pour faciliter à un tas de bavards qui n'ont pas le sou l'accès
des clubs ou des journaux!... Est-ce que le citoyen honnête va
au club?... Est-ce que j'y vais, moi, au club?... est-ce que
j'écris, moi, dans les journaux?... Tout ça c'est des bêtises !...
A quoi ça peut-il servir de donner à des écrivassiers la facilité
de parler au peuple de sa situation précaire, puisqu'il n'y a pas
de remède ?... Ça ravive ses douleurs, et voilà tout !... Si on ne
parlait jamais de manger aux gens qui ont faim, ils flairaient
par ne plus y penser.
*
Nous regrettons vivement que M. de Malartre n'ait pas Je ta-
lent de Geoffroy, car il aurait pu dévelO[qiervavec un grand
succès ces différents arguments que nous n'avons fait qu'indi-
quer.
Ce qu'il a dit, pourtant, n'a pas été inutile, et sa théorie 4e
l'état de siège qui doit être maintenu,parce qu'aucun fabricant
de bonnets de coton ne s'en est encore plaint, pourra servir de
point de départ pour discuter bien des questions.
Grâce à ce principe, un député pourra refuser de voter les
fonds nécessaires à l'endiguemcnt de la Loire, parce que les
débordements de ce fleuve ne gênent pas les habitants du Pas-
de-Calais.
De même au conseil municipal, on pourra demander pour-
quoi on dépense de l'argent à éclairer les boulevards extérieurs,
puisqu'aucuii boutiquier du passage du Saumon ne s'est plaint
de l'obscurité de la rotonde de la Villette.
Et ainsi de suite.
Bref, ce qui semble résulter de tout cela, c'est que nous ne
tarderons pas à être délivrés do l'état do siège, à peu près
comme les habitants de la banlieue qui, pendant l'armistice,
étaient délivrés des quinze Saxons qu'on leur avait donn's à
loger, et qui voyaient arriver le même jour vingt-deux Bava-
rois pour les remplacer.
Nous n'avons jamais été bien fou de l'état de siège. 11 n'avait
guère occupé jusqu'ici dans nos affections que la part ordinai-
rement réservée à la petite vérole, aux romans de Xavier de
Montépin et aux pianistes.
Mais, nous l'avouons sans aacune honte, nous tremblons
aujourd'hui de le perdre.
Nous commencions à nous y habituer.
Eh ! bien, franchement, d'après les promesses de M. de Bro
glie et ses projets de loi sur les libertés de toutes sortes, nous
n'apercevons pas assez distinctement l'avantage qu'aura pour
nous un régime qui nous forera à nous taire sur un régime
qui nous empêche de parler.
LÉON BIENVENU.
LA VOIE PUBLIQUE
Où la voie publique commence-t-elle? où finit-elle?
Ce ne serait pas trop, dans le trouble actuel des esprits, de le
déterminer par une loi.
« La voie publique, dit Littré : les rues, les places, les che
mins publics. »
Mais M. Littré est un affreux révolutionnaire, et l'on conçoit
que les parlisans de i'ordre moral ile soient pas sur ce point,
comme sur bien d'autres, d'accord avec lui.
A Toulouse et à Douai, par exemple, il vient d'être établi
de par la justice — que l'intérieur des habitations n'est qu'un
prolongement de la voie publique.
Deux jugements, rendus par la Cour d'appel des deux villes
susnommées, déclarent qu'un journal dont la vente est inter-
dite sur la voie publique ne peut être distribué que par la poste
aux abonnés.
Donc, les seuls journaux non interdits sur la voie publique
auront le droit de servir leurs abonné par ie moyen de por-
teurs.
Donc, le porteur d'un journal interdit quj ie déposerait chez
le concierge d'un abonné se rendrait coupable du délit de vente
sur la voie publique.
Donc, la loge d'un concierge — à Tours et à Douai provisoi-
ement — est une voie publique!
Mais toutes les maisons, en province surtout, sont loin d'être
pourvues de concierges.
Si c'est à la porte même de l'abonné que le porteur sonne
pour lui remettre son journal, le palier de l'abonné ne devient-
il pas, par ce seul fait, voie publique?
Evidemment oui, puisque le cas de voie publique n'est pas
subordonné à la remise du journal en tel lieu plutôt qu'en tel
autre, mais seulement à la remise à domicile par un porteur.
Si c'est dans l'antichambre que le porteur remet le journal à
l'abonné au lieu de le lui remettre sur le palier, la jurispru-
dence en est-elle changée?
Nullement.
Donc, l'antichambre de l'abonné devient à volonté voie pu-
WtiM 1 111 mm 'nu 1.....■■iiniiBiiiiiiLi ii_ii_a»«injn. - iiiiiii 1 ■111111 m 11
Et si le porteur pénètre jusqu'à la salle à manger, voilà la
salle à manger voie publique à son tour.
Et si le porteur, familier dans la maison, fait par malheur
un pas dans la chambre à coucher...
Il n'y a rien de désagréable — q«'on y songe — comme de
penser que votre chambre à coucher est devenue une voie pu-
blique.
Car si elle est devenue voie publique, pourquoi ne serait-
elle pas dès-lors soumise aux règlements ordinaires de la voie-
rie :
Visite d'agents voyers,
Interdiction d'encombrer la voie,
Obligation de gratter ses murs au moins une fois tous les
dix ans,
Défense de déposer des ordures,
Défense de porter ai teinte aux mœurs.
Un porteur de Douai nous écrit :
« Depuis le fatal jugement qui assimile ma petite chambre à
la voie publique, je ne la traverse plus en chmiise sans effroi. »
C'est ce cri d'angoisse arrivé juspu'à nous qui nous fait pren-
dre aujourd'hui la plume.
Il importe qu'on sache dorénavant où -la voie publique com-
mence et où elle finit,
Il importe qu'elle ne commence pas à Douai ailleurs qu'à
Lille, ni qu'elle ne finisse pas à Toulouse ailleurs qu'à Castel-
naudary.
Il importe enfin que les consciences soient rassurées et que
l'abonné d'un journal interdit sur la voie publique puisse
changer de pantalon dans sa chambre sans craindre de se voir
arrêté pour attentat public à la pudeur.
PAUL PAF.FA1T.
TYPES PARISIENS
MONSIEUR LIONCEAU
Bien qu'il porte un nom à faire trembler sur leurs pattes
élégantes les gazelles et les antilopes, M. Lionceau n'a rien et
n'a jamais rien eu d'effrayant dans toute sa grosse personne.
M. Lionceau est un \ olumineux brave homme de la vieille
roche lutécienne qui, depuis l'instant où je l'ai vu pour la pre-
mière fois, c'est-à-dire le matin du 24 février 1848 jusqu'à ce
jour, s'est toujours manifesté, et se manifestera longtemps en-
core, je l'espère, aux yeux du public, sous l'enveloppe suivante :
— Pantalon à pied gris de fer, honorablement étoffé vers la
région abdominale, et ayant pour base une paire de pantoufles
fleuries; veston, ou plutôt gilet à manches de dimensions
vastes, pourvu d'un nombre considérable de poches, pochettes
et goussets, le tout taillé dans un laineux tissu écossais à car-
reaux de couleurs vives.
Un épais foulard bleu s'enroule autour de son cou: on dirait
un des serpents de Loocoon qui, ayant achevé son œuvre fa-
tale sur la personne de ce grand prêtre, s'est (J onné la tâche
d'étouffer un jour M. Lionceau; et, de fait, tou?\porte à croire
qu'il atteindra sou but, hélas ! car la face de M . Lionceau est
d'un rouge violacé qui prouve que le serpent bleu a déjà obtenu
un commencement de résultat assez satisfaisant... pour lui.
Signes particuliers à ajouter à cette description sommaire :
Hiver comme été, M. Lionceau marche dans cette vallée de
larmes que nous appelons la vie, la tête absolument dépouillée
de tonte espèce de coiffure. La nature lui a du re* ;te fait cadeau
d'une tignasse rousse qui remplace fort bien les ^chapeaux, cas-
quettes ou bérets. Eu outre, le bras-gauche de M. Lionceau
supporte constamment une serviette blanche. Quand le soleil
ou le froid est par trop vif, M. Lionceau jette négligemment
cette servietee sur son crâne, et ainsi casqué il as joue des élé-
ments!
Un trait achèvera ce croquis. Aux doigts de la main droite de
M. Lionceau, une chose comestible quelconque est suspendue
en toute saison.
• Car, et j'aurais dû le proclamer dès le début- «de ce portrait,
M. Lionceau est un restaurateur, un simple et fort modeste
restaurateur qu'on peut voir, tous les jours, d.ès dix heures du
matin, dans la grande rue de Belleville, en train de couvrir
d'une nappe d'une blancheur éclatante les deux; tables que l'au-
torisation permet d'installer sur le trottoir, le long de son éta-
blissement, au sein d'un bosquet faclice.
Ce fut le matin du 26 février, je l'ai dit plus -haut, que l'heur
de voir M. Lionceau me fut enfin accordé: Il faisait très-froid.
J'allais à l'école. Tout à coup un groupe d'individus qui por-
taient à la fois des fusils et des sabres, liumnre une troupe de
Robinsons allant à la découverte (du moins ça me fit cet effet
là), se présenta à mes yeux. Au milieu d'eux marchait un
gros homme, en veston à carreaux écossais, tête nue, une ser-
viette sous le bras, et tenant des harengs à la main. Cet
homme avait la face rougo mais bénigne. Il riait. C'était
M. Lionceau. Il allait prendre les Tuileries, avec ses harengs,
et nu-tête. Quand il passa prèsd6 moi, qui ouvrais une bouche
insondable, il me dit : « — C'est la République. Retourne chez
toi. On ne va pas à l'école aujourd'hui. » « _ Tiens! Pourquoi
ça? dis-je.
Et loin de retourner dans mes foyers, je me ruai dans la di-
rection de l'école, semant sur mon passage les tartines de pain