L'ECLIPSE
NOUVELLES
, < PRIMES DE L'ÉCLIPSÉ
Toute personne qui enverra au directeur du journal le mon-
tant d'un abonnement d'un an, aura droit à une des primes
ci-dessous annoncées et aux conditions suivantes :
PREMIÈRE PRIME.
l'album des fleurs, fruits et légumes du jour,
dans lequel Alfred Le Petit a crayonné avec l'humour et l'esprit
de Granville trente-deux charges des hommes célèbres de notre
époque. Ces caricatures, fort réussies, accompagnées de qua-
trains spirituels, sont coloriées avec soin.
L'Album, pris au bureau, i fr.
Ajouter 4 fr. pour le recevoir franco à domicile.
DEUXIÈME PRIME.
'l'histoire de france tint a m arr e s Q u e , par ToU-
chatout, magnifique volume illustré par Lafosse, Hadol, Grill,
Robida, etc., d'un nombre considérable de dessins noirs et colo-
riés.
L'ouvrage pris au bureau, 3 fr.
Ajouter 2 fr. pour le recevoir franco par la poste.
LES LACHEURS DU SCRUTIN
n sait que l'Assemblée de Versailles
entend ne pas se séparer avant d'avoir
voté une loi électorale.
On connaît aussi plusieurs des mo-
difications que la droite grille de faire
subir au suffrage universel :
Les trente-huit ans d'âge,
Les vingt-deux années de domicile,
Les 800 francs d'impôts,
Le certificat de bonne conduite délivré à l'électeur par son
propriétaire,
Etc., etc.
Pour aujourd'hui, nous ne discuterons pas l'utilité de ces
bienfaisantes réformes.
Nous ne nous étonnerons pas de la prétention qu'élèvent les
députés actuels de trouver mauvais, pour l'élection de leurs
successeurs, un système électoral qu'ils ont trouvé bon pour
la leur.
:* *
Nous nous abstiendrons même de faire remarquer que l'As-
semblée de Versailles, faisant in extrimis le tri intéressé des
électeurs qui doivent bientôt voter pour ou contre elle, fait assez
l'effet d'un accusé qui élèverait la prétention de composer son
jury lui-même.
***
Non; nous signalerons seulement une proposition qui vient
de se produire dans la commission de la loi électorale, et qui
demande le Vote obligatoire ainsi que des pénalités contre les
abstentionnistes, que nous avons appelés tout à l'heure les lâ-
cheurs du scrutin.
•%
Certes, cette proposition est pratique et sérieuse.
Il est évident qu'il y a là quelque chose à faire, ne fût-ce que.
pour éviter ce tohu-bohu qui se. produit après chaque élection
dans les feuilles de tous poils. ;"'
On sait, en effet, que les journaux, avec un art infini, arri-
vent tous à persuader leur clientèle que tous les électeurs qui
sont restés au coin de leur feu le jour du vote sont nécessaire-
ment acquis à la bonne cause.
La bonne cause, bien entendu, c'est la leur.
Le projet en question nous apparaît donc comme très-oppor-
tun, très-utile, très-sain.
Il est seulement regrettable qu'après avoir renversé tant
d'omnibus en travers de la chaussée pour conquérir un droit
sans lequel nous prétendions ne plus pouvoir vivre, nous en
soyons arrivés aujourd'hui à faire dos lois qui nous obligent
à nous servir de ces. droits sous peine d'amende.
C'est un peu notre défaut en tout, malheureusement ; il faut
bien le reconnaître, si nous voulons nous corriger.
/ a ' "vkv V' ■'■■à
Et sans chercher bien loin de notre sujet, nous trouverons
un pendant à ce travers.
Exemple :
Si l'on avait pu compter les braillards qui ont risqué leur
peau cinq fois en trente années pour qu'on leur rendit leur
fusil de garde national, et qui, l'ayant obtenu, se sont fait
fourrer tous les ans aux haricots parce qu'ils avaient toujours
un enterrement, un baptême, ou un dîner en ville, le jour où
on les commandait de garde, on serait bien forcé de reconnaî-
tre que nous ne sommes pas encore le peuple le plus sérieux
de la terre.
* *
Porter son bulletin dans l'urne chaque fois qu'on vous le de-
mande est au moins aussi utile que l'était d'aller faire deux
heures de faction à une grille des Tuileries pour empêcher les
chiens d'y entrer.
Et il n'y a pas de raison pour que les citoyens puissent se
soustraire plus impunément à cette obligation qu'à celle d'aller
verser les douzièmes échus de leurs contributions au premier
papier vert que leur décoche îe perceptif.
*%
Nous avons, énormément de gens- qui- no laisseraient pas
passer le moindre acte du gouvernement sans le discuter sous
toutes ses faces, qui contrôlent tout, condamnent tout...
Mais qui ne se dérangeraient pas une fois tous les quatre ans
de leur partie de billard pour aller retirer leur carte d'électeur
à la mairie.
Ni même pour aller voter avec, si on la leur a fait porter à
domicile.
* *
C'est contre cette indifférence coupable qu'il sera bon de
réagir.
Et, sans préjudice de ce que fera la nouvelle loi à ce sujet,
je voudrais que nous devinssions assez sensés pour organiser
contre cette paresse auti-nationale une ligue implacable.
J'expose rna ligue :
Vous rencontreriez, je suppose, au café, sur l'impériale de
l'omnibus, — partout enfin......excepté toutefois à l'Ambigu,
où l'on ne rencontre personne, — un monsieur grincheux qui
vous dirait :
— A-t-on exemple d'une chose pareille?... Voyez donc ces
députés delà droite qui, profitant de leur nombre, viennent de
faire ceci... de voter cela... C'est scandaleux !... révoltant !...
abominable I
Alors, avant d'entamer aucune discussion, vous répondriez
tranquillement \ votre interlocuteur furieux :
— Pardon, monsieur... veuillez donc avoir l'obligeance de
me montrer votre dernière carte d'électeur.
— Pourquoi cela ?
— Dame !... pour que je voie si le coin en a été arraché.
Et, si votre homme était en défaut, vous ne négligeriez pa3
de lui dire avec un profond dégoût :
— Comment!... triple brute!... et de plus, homme de mau-
vaise foi !... vous osez venir vous plaindre à moi des députés
de la droite qui sont en majorité...
— Mais, monsieur !...
— Il n'y a pas de : Mais, monsieur 1... alors que vous n'avez
rien fait pour que les députés de la gauche fussent en nombre.
* *
— Cependant!...
— Il n'y a pas|de : Cependant]... Je vous prio à l'avenir de ne
jamais parler politique, tant que vous n'aurez pas régularisé
votre position.
***
— Permettez!...
— Il n'y'a pas do : Permettez !... Vous me faites encore l'effet
d'un drôle de corps, vous!... Vous hurlez, parce que votre mai-
son brûle et vous ne vous mettez seulement pas à la chaîne.
— Je vais vous dire...
— Il n'y a pas dé : Je vais vous direl... Allez, mon bon-
homme, allez... c'est surtout en'politique que le proverbe:
Qui ne dit mot consent, est vrai. Lorsqu'onvous a prié de parler,
vous n'avez rien dit ; vous n'avez pas la parole.
*"*]
Eh bien!... cher lecteur, que pensez-vous de ma ligue anti-
lâcheuse ?
Quant à moi, je suis plus que convaincu que si l'on usait de
ce moyen dans la vie intime, on arriverait promptement à un
excellent résultat.
Parce que tout le monde aime à causer; et que, si les négli-
gents étaient condamnés au silence, ils iraient tous voter pour
avoir le droit do parler.
Maintenant, si un jour les femmes votaient, et qu'on leur
appliquât ce système d'interdit, il n'y en aurait certainement
pas une en France qui s'abstiendrait.
On trouverait plutôt dans l'urne trente-six bulletins par
douzaine d'élect...rices.
Car elles auraient voulu voter trois fois pour avoir le .droit
do parler comme.....dix.
Excusez, chères lectrices, c'est tout ce que j'ai sur moi en
fait de marrons glacés.
LÉON BIENVENU.
BOUQUET DE VIOLETTES
ous ne sommes pas de ceux qui don-
nent aux gens, ou aux ministres qui
tombent, le coup. depieddeTâno; qu'il
nom soit donc permis, pour la pre-
mière et la dernière fois sans doute,
d'essayer la défense de M. le duc de
Broglie.
Non-seulement ce ministre infor-
tuné a, depuis sa prise de portefeuille, été en butte aux quoli-
bets, aux iwines, aux tracasseries de tous ceux qui n'avaient
jïicn de hba\ à. attendre de lui, mais encore il lui était réservé
:de subir, h son déclin, la plus cruelle des humiliations et la
idernière des injures : le Figaro^ en la personne d'un de ses
jjeporters Es mieux habillés, lui a fait une visite !
Quelque cruel que vous soyez, jamais, n'est-il pas vrai, mon-
sieur, vous n'auriez osé souhaiter semblable torture à Son
Excellence,
Et cependant le noble duc avait été averti, et comme préparé
à ce coup; une lettre échappée à la plume du. long, maigreet sec
personnage qui s'appelle, si je ne me trompe, Xavier Eyma,
avait mis M. de Broglie en demeure de recevoir l'envoyé a%
l'aristocratique journal, et de lui dévoiler les secrets de sa vie
privée.
Eh bien ! lorsque se présenta le reporter ganté de frais, savez-
vous ce que fit le chef du cabinet î
Il eu-fr l'audace, là où nous eussions envoyé quelque laquais
ou quelque botte, il eût l'infernale audace, dis-je, d'envoyer
son propre fils répondre à ce commis-voyageur en nouvelles,
que le ministre de l'intérieur mangeait, buvait et dormait
comme tout le monde, et n'avait que faire de malsaine publi-
cité autour de son nom et de sa chambre à coucher.
Là-dessus le reporter est parti, te cœur plein de ragor en rou-
lant des yeux furibonds, et, le lendemain, chacun pouvait lire
dans le journal des honnêtes gens, dans la feuille spécialement
appropriée à la défense de l'ordre moral, un éreintement corsé
de M. de Broglie, qui avait consacré à la défense du dit ordre,
tous ses efforts, sa rouerie et son habileté, son hypocrisie et sa
malice.
Ainsi, voilà qui est bien entendu, le Figaro défend ses amis
politiques tant que ceux-ci le flagornent et l'adulent ; s'ils
le méprisent, il les jette bas.
Supposez qu'au lieu d'expédier à M. de Villemessant une
lettre, le roy lui eût appliqué sa pantoufle qnelque part, le Fi-
garo eût traité son roy de saligot.
Vollaire a dit qu'on nommait d'ordinaire suffisant celui qui
était insuffisant en tout ; qu'eût-il dit de ces êtres gonflés de
basse vanité, de prétentions extravagantes et de sot orgueil,
qui mettem leur ridicule et puant amour-propre au-dessus de
leurs convictions?
Qu'eût-il dit de ce grotesque Saint-Genest qui ose imprimer
dans une de ses chroniques : « Mes lecteurs me disent : Com-
« ment faites-vous, monsieur, pour écrire vos admirables ar-
« ticles ? »
Ces gens se savent méprisés ; ils payent d'audace en atten-
dant qu'ils payent autrement; mais il nous plaît d'enregistrer
les soufflets qu'ils reçoivent, et si quelque chose au monde
pouvait faire pardonner à M. de Broglie sa conduite politique
et le relever à nos yeux, ce serait le camouflet donné par lui au
reporter du Figaro.
Malheureusement, il est impossible de relever M. de Broglie.
Brévannes.
PETITE « CULOTTE » DE DAME
e mois dernier, un soir que je commettais l'im.
prudence de dîner dans un de ces déplorables
établissements de bouillon qui ont donné à la
majorité des Parisiens l'habitude de manger,
sans nappe, des plats qui sont tous accom-
modés à la même sauce fade, je me trouvai
avoir pour vis-à-vis à la table très-étroite devant laquelle
j'étais mélancoliquement assis une dame encore jeune, qui por-
tait une fort belle bague en diamants au maigre annulaire de
sa main droite.
Ce fut même l'éclat de cette bague qui fixa soudain mon re-
gard irrésolu. De la' bague, mon regard passa aux doigts, puis,
entreprenant une ascension distraite, il monta des doigts au
poignet, du poignet au coude, du coude à l'épaule, et là, s'ar-
rêtant comme un touriste essoufflé, il examina le paysage à la
ronde, je veux dire par là que je contemplai le visage de la
dame encore jeune, avec un certain intérêt.
Ma mémoire prit même des notes. Ce sont ces impressions
de voyage que vous lisez.
La dame encore jeune avait aux oreilles des boutons de- dia-
mant d'une aussi belle eau que les diamants de la bague.
L'oreille n'avait rien de particulièrement désagréable à exa-
miner. Elle ne ressemblait pas trop aux oreilles de la plupart
des femmes de nos jours, qui se plaisent à les déformer en y
suspendant des trains de-chemin de for en or ou des obélisques
en corail. Non, Non ; l'oreille de cette dame encore jeune ne
rappelait pas trop, par la forme et la couleur, les huîtres mari-
nées anglaises.
Cette oreille était petite, bien faite et rougissante. Elle rou-
gissait, et je vais vous dire pourquoi maintenant.
Devant la dame encore jeune que je lorgnais poliment, du
coin de l'œil, entre deux bouchées des exécrables mets que
j'avais demandés à une bonne au teint pâle et maladif ; devant
ma voisine, dis-je, se dressaient, accusatrices, trois demi-bou-
teilles qui avaient contenu du vin blanc.
Vous me direz : « Mais, monsieur, les demi-bouteilles des
établissements de bouillon sont d'une taille qui rappelle les
mesures du royaume de Lilliput ! »
Et moi, je vous répondrai : — « Oui, monsieur ! Mais enfin,
monsieur, pour une dame seule, et encore jeune, trois demi-
bouteilles de vin blanc, c'est déjà bien joli ! »
Et puis, si vous saviez, et vous allez le savoir, le très-peu de
nourriture que ces trois demi-bouteilles arrosaient, vous con-
viendriez avec votre humble serviteur que réellement trois
demi-bouteilles de vin, et de vin blanc surtout, c'est un fort
rafraîchissement pour une dame qui est encore jeune, et dîne
seule, bien que son maigre annulaire soit'cerclé d'une baguo
en diamants.
— Par Hercule ! murmurai-jc, avec le rire amer d'un indi-
ividu du sexe masculin surprenant en faute un individu de
l'autre sexe, par Hercule 1 est-ce que je motrouve.cn face d'une
dame en train de se donner une petite culotte? révérence parler.
Et, dois-je l'avouer, cette idée, encore qu'elle fût des plus
insultantes pour m'a voisine, fit un chemin, rapide dans mon
esprit égaré. — Les oreilles rougissantes, l'éclat humide de
l'œil, la couleur vive des pommettes, ks petits sourires sans
motifs au coin des lèvres, tout enfin, à partir do ce moment,
me parut, sur Je visaere dd mon vi&à-yis, êj,re les signes précur-
seurs d'une petite culotte de dame.
Cette damo, pensais-jo, a trouvé là un bon moyen de se ra-
jeunir tout en s'a.musont. Une demi-houteille déplus, et elle
aura... sa jeune fille!
Nous autres.gêna graves* Qoaa..'diso»s avoir son jeune homme.
Donc, ma voisine, de temps à. autre," souriait, comme si elle
se racontait intérieurement quelque histoire impayable, et ses
prunelles.se n'oyaient de plus en plus dans une huée attendrie.
Les petites oreilles se carminaient aussi de plu* en plus.
'®niin,, tout témoignait dans, cette. 4itme encore jeune d'un
état de bien-être stomacal fort satisfaisant.' Pourtant la chère
dame n'avait pas dîné (boisson à part), d'une façon sérieuse.
Elle avait mangé un potage, un hareng à la moutarde et un
morceau do fromage de Camembert: Repas TégerTïl en fut !
Mais, comme dirait ce misérable Rabelais, du fromage et un
hareng à la moutarde, ce sont êpei'ôns pour la soif. Cela lui
NOUVELLES
, < PRIMES DE L'ÉCLIPSÉ
Toute personne qui enverra au directeur du journal le mon-
tant d'un abonnement d'un an, aura droit à une des primes
ci-dessous annoncées et aux conditions suivantes :
PREMIÈRE PRIME.
l'album des fleurs, fruits et légumes du jour,
dans lequel Alfred Le Petit a crayonné avec l'humour et l'esprit
de Granville trente-deux charges des hommes célèbres de notre
époque. Ces caricatures, fort réussies, accompagnées de qua-
trains spirituels, sont coloriées avec soin.
L'Album, pris au bureau, i fr.
Ajouter 4 fr. pour le recevoir franco à domicile.
DEUXIÈME PRIME.
'l'histoire de france tint a m arr e s Q u e , par ToU-
chatout, magnifique volume illustré par Lafosse, Hadol, Grill,
Robida, etc., d'un nombre considérable de dessins noirs et colo-
riés.
L'ouvrage pris au bureau, 3 fr.
Ajouter 2 fr. pour le recevoir franco par la poste.
LES LACHEURS DU SCRUTIN
n sait que l'Assemblée de Versailles
entend ne pas se séparer avant d'avoir
voté une loi électorale.
On connaît aussi plusieurs des mo-
difications que la droite grille de faire
subir au suffrage universel :
Les trente-huit ans d'âge,
Les vingt-deux années de domicile,
Les 800 francs d'impôts,
Le certificat de bonne conduite délivré à l'électeur par son
propriétaire,
Etc., etc.
Pour aujourd'hui, nous ne discuterons pas l'utilité de ces
bienfaisantes réformes.
Nous ne nous étonnerons pas de la prétention qu'élèvent les
députés actuels de trouver mauvais, pour l'élection de leurs
successeurs, un système électoral qu'ils ont trouvé bon pour
la leur.
:* *
Nous nous abstiendrons même de faire remarquer que l'As-
semblée de Versailles, faisant in extrimis le tri intéressé des
électeurs qui doivent bientôt voter pour ou contre elle, fait assez
l'effet d'un accusé qui élèverait la prétention de composer son
jury lui-même.
***
Non; nous signalerons seulement une proposition qui vient
de se produire dans la commission de la loi électorale, et qui
demande le Vote obligatoire ainsi que des pénalités contre les
abstentionnistes, que nous avons appelés tout à l'heure les lâ-
cheurs du scrutin.
•%
Certes, cette proposition est pratique et sérieuse.
Il est évident qu'il y a là quelque chose à faire, ne fût-ce que.
pour éviter ce tohu-bohu qui se. produit après chaque élection
dans les feuilles de tous poils. ;"'
On sait, en effet, que les journaux, avec un art infini, arri-
vent tous à persuader leur clientèle que tous les électeurs qui
sont restés au coin de leur feu le jour du vote sont nécessaire-
ment acquis à la bonne cause.
La bonne cause, bien entendu, c'est la leur.
Le projet en question nous apparaît donc comme très-oppor-
tun, très-utile, très-sain.
Il est seulement regrettable qu'après avoir renversé tant
d'omnibus en travers de la chaussée pour conquérir un droit
sans lequel nous prétendions ne plus pouvoir vivre, nous en
soyons arrivés aujourd'hui à faire dos lois qui nous obligent
à nous servir de ces. droits sous peine d'amende.
C'est un peu notre défaut en tout, malheureusement ; il faut
bien le reconnaître, si nous voulons nous corriger.
/ a ' "vkv V' ■'■■à
Et sans chercher bien loin de notre sujet, nous trouverons
un pendant à ce travers.
Exemple :
Si l'on avait pu compter les braillards qui ont risqué leur
peau cinq fois en trente années pour qu'on leur rendit leur
fusil de garde national, et qui, l'ayant obtenu, se sont fait
fourrer tous les ans aux haricots parce qu'ils avaient toujours
un enterrement, un baptême, ou un dîner en ville, le jour où
on les commandait de garde, on serait bien forcé de reconnaî-
tre que nous ne sommes pas encore le peuple le plus sérieux
de la terre.
* *
Porter son bulletin dans l'urne chaque fois qu'on vous le de-
mande est au moins aussi utile que l'était d'aller faire deux
heures de faction à une grille des Tuileries pour empêcher les
chiens d'y entrer.
Et il n'y a pas de raison pour que les citoyens puissent se
soustraire plus impunément à cette obligation qu'à celle d'aller
verser les douzièmes échus de leurs contributions au premier
papier vert que leur décoche îe perceptif.
*%
Nous avons, énormément de gens- qui- no laisseraient pas
passer le moindre acte du gouvernement sans le discuter sous
toutes ses faces, qui contrôlent tout, condamnent tout...
Mais qui ne se dérangeraient pas une fois tous les quatre ans
de leur partie de billard pour aller retirer leur carte d'électeur
à la mairie.
Ni même pour aller voter avec, si on la leur a fait porter à
domicile.
* *
C'est contre cette indifférence coupable qu'il sera bon de
réagir.
Et, sans préjudice de ce que fera la nouvelle loi à ce sujet,
je voudrais que nous devinssions assez sensés pour organiser
contre cette paresse auti-nationale une ligue implacable.
J'expose rna ligue :
Vous rencontreriez, je suppose, au café, sur l'impériale de
l'omnibus, — partout enfin......excepté toutefois à l'Ambigu,
où l'on ne rencontre personne, — un monsieur grincheux qui
vous dirait :
— A-t-on exemple d'une chose pareille?... Voyez donc ces
députés delà droite qui, profitant de leur nombre, viennent de
faire ceci... de voter cela... C'est scandaleux !... révoltant !...
abominable I
Alors, avant d'entamer aucune discussion, vous répondriez
tranquillement \ votre interlocuteur furieux :
— Pardon, monsieur... veuillez donc avoir l'obligeance de
me montrer votre dernière carte d'électeur.
— Pourquoi cela ?
— Dame !... pour que je voie si le coin en a été arraché.
Et, si votre homme était en défaut, vous ne négligeriez pa3
de lui dire avec un profond dégoût :
— Comment!... triple brute!... et de plus, homme de mau-
vaise foi !... vous osez venir vous plaindre à moi des députés
de la droite qui sont en majorité...
— Mais, monsieur !...
— Il n'y a pas de : Mais, monsieur 1... alors que vous n'avez
rien fait pour que les députés de la gauche fussent en nombre.
* *
— Cependant!...
— Il n'y a pas|de : Cependant]... Je vous prio à l'avenir de ne
jamais parler politique, tant que vous n'aurez pas régularisé
votre position.
***
— Permettez!...
— Il n'y'a pas do : Permettez !... Vous me faites encore l'effet
d'un drôle de corps, vous!... Vous hurlez, parce que votre mai-
son brûle et vous ne vous mettez seulement pas à la chaîne.
— Je vais vous dire...
— Il n'y a pas dé : Je vais vous direl... Allez, mon bon-
homme, allez... c'est surtout en'politique que le proverbe:
Qui ne dit mot consent, est vrai. Lorsqu'onvous a prié de parler,
vous n'avez rien dit ; vous n'avez pas la parole.
*"*]
Eh bien!... cher lecteur, que pensez-vous de ma ligue anti-
lâcheuse ?
Quant à moi, je suis plus que convaincu que si l'on usait de
ce moyen dans la vie intime, on arriverait promptement à un
excellent résultat.
Parce que tout le monde aime à causer; et que, si les négli-
gents étaient condamnés au silence, ils iraient tous voter pour
avoir le droit do parler.
Maintenant, si un jour les femmes votaient, et qu'on leur
appliquât ce système d'interdit, il n'y en aurait certainement
pas une en France qui s'abstiendrait.
On trouverait plutôt dans l'urne trente-six bulletins par
douzaine d'élect...rices.
Car elles auraient voulu voter trois fois pour avoir le .droit
do parler comme.....dix.
Excusez, chères lectrices, c'est tout ce que j'ai sur moi en
fait de marrons glacés.
LÉON BIENVENU.
BOUQUET DE VIOLETTES
ous ne sommes pas de ceux qui don-
nent aux gens, ou aux ministres qui
tombent, le coup. depieddeTâno; qu'il
nom soit donc permis, pour la pre-
mière et la dernière fois sans doute,
d'essayer la défense de M. le duc de
Broglie.
Non-seulement ce ministre infor-
tuné a, depuis sa prise de portefeuille, été en butte aux quoli-
bets, aux iwines, aux tracasseries de tous ceux qui n'avaient
jïicn de hba\ à. attendre de lui, mais encore il lui était réservé
:de subir, h son déclin, la plus cruelle des humiliations et la
idernière des injures : le Figaro^ en la personne d'un de ses
jjeporters Es mieux habillés, lui a fait une visite !
Quelque cruel que vous soyez, jamais, n'est-il pas vrai, mon-
sieur, vous n'auriez osé souhaiter semblable torture à Son
Excellence,
Et cependant le noble duc avait été averti, et comme préparé
à ce coup; une lettre échappée à la plume du. long, maigreet sec
personnage qui s'appelle, si je ne me trompe, Xavier Eyma,
avait mis M. de Broglie en demeure de recevoir l'envoyé a%
l'aristocratique journal, et de lui dévoiler les secrets de sa vie
privée.
Eh bien ! lorsque se présenta le reporter ganté de frais, savez-
vous ce que fit le chef du cabinet î
Il eu-fr l'audace, là où nous eussions envoyé quelque laquais
ou quelque botte, il eût l'infernale audace, dis-je, d'envoyer
son propre fils répondre à ce commis-voyageur en nouvelles,
que le ministre de l'intérieur mangeait, buvait et dormait
comme tout le monde, et n'avait que faire de malsaine publi-
cité autour de son nom et de sa chambre à coucher.
Là-dessus le reporter est parti, te cœur plein de ragor en rou-
lant des yeux furibonds, et, le lendemain, chacun pouvait lire
dans le journal des honnêtes gens, dans la feuille spécialement
appropriée à la défense de l'ordre moral, un éreintement corsé
de M. de Broglie, qui avait consacré à la défense du dit ordre,
tous ses efforts, sa rouerie et son habileté, son hypocrisie et sa
malice.
Ainsi, voilà qui est bien entendu, le Figaro défend ses amis
politiques tant que ceux-ci le flagornent et l'adulent ; s'ils
le méprisent, il les jette bas.
Supposez qu'au lieu d'expédier à M. de Villemessant une
lettre, le roy lui eût appliqué sa pantoufle qnelque part, le Fi-
garo eût traité son roy de saligot.
Vollaire a dit qu'on nommait d'ordinaire suffisant celui qui
était insuffisant en tout ; qu'eût-il dit de ces êtres gonflés de
basse vanité, de prétentions extravagantes et de sot orgueil,
qui mettem leur ridicule et puant amour-propre au-dessus de
leurs convictions?
Qu'eût-il dit de ce grotesque Saint-Genest qui ose imprimer
dans une de ses chroniques : « Mes lecteurs me disent : Com-
« ment faites-vous, monsieur, pour écrire vos admirables ar-
« ticles ? »
Ces gens se savent méprisés ; ils payent d'audace en atten-
dant qu'ils payent autrement; mais il nous plaît d'enregistrer
les soufflets qu'ils reçoivent, et si quelque chose au monde
pouvait faire pardonner à M. de Broglie sa conduite politique
et le relever à nos yeux, ce serait le camouflet donné par lui au
reporter du Figaro.
Malheureusement, il est impossible de relever M. de Broglie.
Brévannes.
PETITE « CULOTTE » DE DAME
e mois dernier, un soir que je commettais l'im.
prudence de dîner dans un de ces déplorables
établissements de bouillon qui ont donné à la
majorité des Parisiens l'habitude de manger,
sans nappe, des plats qui sont tous accom-
modés à la même sauce fade, je me trouvai
avoir pour vis-à-vis à la table très-étroite devant laquelle
j'étais mélancoliquement assis une dame encore jeune, qui por-
tait une fort belle bague en diamants au maigre annulaire de
sa main droite.
Ce fut même l'éclat de cette bague qui fixa soudain mon re-
gard irrésolu. De la' bague, mon regard passa aux doigts, puis,
entreprenant une ascension distraite, il monta des doigts au
poignet, du poignet au coude, du coude à l'épaule, et là, s'ar-
rêtant comme un touriste essoufflé, il examina le paysage à la
ronde, je veux dire par là que je contemplai le visage de la
dame encore jeune, avec un certain intérêt.
Ma mémoire prit même des notes. Ce sont ces impressions
de voyage que vous lisez.
La dame encore jeune avait aux oreilles des boutons de- dia-
mant d'une aussi belle eau que les diamants de la bague.
L'oreille n'avait rien de particulièrement désagréable à exa-
miner. Elle ne ressemblait pas trop aux oreilles de la plupart
des femmes de nos jours, qui se plaisent à les déformer en y
suspendant des trains de-chemin de for en or ou des obélisques
en corail. Non, Non ; l'oreille de cette dame encore jeune ne
rappelait pas trop, par la forme et la couleur, les huîtres mari-
nées anglaises.
Cette oreille était petite, bien faite et rougissante. Elle rou-
gissait, et je vais vous dire pourquoi maintenant.
Devant la dame encore jeune que je lorgnais poliment, du
coin de l'œil, entre deux bouchées des exécrables mets que
j'avais demandés à une bonne au teint pâle et maladif ; devant
ma voisine, dis-je, se dressaient, accusatrices, trois demi-bou-
teilles qui avaient contenu du vin blanc.
Vous me direz : « Mais, monsieur, les demi-bouteilles des
établissements de bouillon sont d'une taille qui rappelle les
mesures du royaume de Lilliput ! »
Et moi, je vous répondrai : — « Oui, monsieur ! Mais enfin,
monsieur, pour une dame seule, et encore jeune, trois demi-
bouteilles de vin blanc, c'est déjà bien joli ! »
Et puis, si vous saviez, et vous allez le savoir, le très-peu de
nourriture que ces trois demi-bouteilles arrosaient, vous con-
viendriez avec votre humble serviteur que réellement trois
demi-bouteilles de vin, et de vin blanc surtout, c'est un fort
rafraîchissement pour une dame qui est encore jeune, et dîne
seule, bien que son maigre annulaire soit'cerclé d'une baguo
en diamants.
— Par Hercule ! murmurai-jc, avec le rire amer d'un indi-
ividu du sexe masculin surprenant en faute un individu de
l'autre sexe, par Hercule 1 est-ce que je motrouve.cn face d'une
dame en train de se donner une petite culotte? révérence parler.
Et, dois-je l'avouer, cette idée, encore qu'elle fût des plus
insultantes pour m'a voisine, fit un chemin, rapide dans mon
esprit égaré. — Les oreilles rougissantes, l'éclat humide de
l'œil, la couleur vive des pommettes, ks petits sourires sans
motifs au coin des lèvres, tout enfin, à partir do ce moment,
me parut, sur Je visaere dd mon vi&à-yis, êj,re les signes précur-
seurs d'une petite culotte de dame.
Cette damo, pensais-jo, a trouvé là un bon moyen de se ra-
jeunir tout en s'a.musont. Une demi-houteille déplus, et elle
aura... sa jeune fille!
Nous autres.gêna graves* Qoaa..'diso»s avoir son jeune homme.
Donc, ma voisine, de temps à. autre," souriait, comme si elle
se racontait intérieurement quelque histoire impayable, et ses
prunelles.se n'oyaient de plus en plus dans une huée attendrie.
Les petites oreilles se carminaient aussi de plu* en plus.
'®niin,, tout témoignait dans, cette. 4itme encore jeune d'un
état de bien-être stomacal fort satisfaisant.' Pourtant la chère
dame n'avait pas dîné (boisson à part), d'une façon sérieuse.
Elle avait mangé un potage, un hareng à la moutarde et un
morceau do fromage de Camembert: Repas TégerTïl en fut !
Mais, comme dirait ce misérable Rabelais, du fromage et un
hareng à la moutarde, ce sont êpei'ôns pour la soif. Cela lui