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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 7.1874

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https://doi.org/10.11588/diglit.6767#0031
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L'ECLIPSE

Notre deuil est immense ; car si le journal que nous
aimons tous — comme il l'aimait — vient de perdre
son inspirateur, chacun de nous perd l'ami le plus
fidèle et le plus dévour.

Pauvre François !... le dernier, hélas! d'une famille
d'élite si cruellement éprouvée, tu avais pourtant toi-
même déjà bien lutté !

Et c'est au moment où le succès, laborieusement
conquis, venait de couronner tes efforts, où la vie te
souriait, que tu nous quittes en pleine jeunesse, en
pleine vigueur, en plein talent.

Nous dirons un jour prochain — comme c'est notre
devoir — les travaux de François Polo. Ils ont été
rudes ; car il lui a fallu conquérir sa situation pied à
pied, surmonter tous les obstacles qui, lors de ses pre-
miers essais, entravaient la littérature satirique ; ré-
sister à toutes les persécutions qui accueillaient, à
cette époque, les œuvres indépendantes comme celle à
laquelle il s'était consacré.

Aujourd'hui, notre douleur est trop grande pour que
nous entreprenions de retracer toutes ses luttes, dans
lesquelles peut-être il a contracté le germe du mal qui
nous l'a enlevé.

Car sa nature énergique et un peu fiévreuse le por-
tait à faire tout ce qu'il faisait avec passion.

Il était de ceux qui vivent leur œuvre.

Si nos lecteurs ignorent la somme énorme de tra-
vaux qu'a coûtés à notre pauvre ami le succès de ce
journal qui nous est à tous si cher , ils connaissent au
moins l'histoire de ses dernières années ; et ils ont pu
apprécier ce qu'il a fallu d'énergie à son rédacteur en
chef pour éviter les écueils qui menaçaient cette feuille,
réparer les coups terribles que ses audaces lui avaient
attirés, et la ressusciter enfin, lorsqu'elle reçut le coup
de grâce sous l'empire.

Ils se souviennent de cette popularité énorme qu'ob-r
tint la Lune avec les premiers dessins de Gill, qui
furent une innovation dans l'art de la caricature.

Us se rappellent les poursuites, les saisies, les con-
damnations que cette première et brillante série eut à
subir.

Ils n'ont poinl oublié que la Lune y succomba, et que
Polo, ruiné d'un seul coup, dut se remettre ardemment
au travail et créer XEclipse, qui eut bientôt à essuyer
les mêmes persécutions, mais qui retrouva aussi le
même succès.

Enfin, à force de persévérance, d'énergie, il était
parvenu à vaincre toutes ces résistances dont la
vingtième partie eût découragé tout autre que lui.

Mais Polo avait pour auxiliaire puissant dans ces
luttes incessantes une foi robuste dans l'œuvre qu'il
avait entreprise.

Doué du tact artistique le plus exquis, excellant
surtout dans l'art de ne présenter les actualités au
public que sous leur aspect familier, simple et saisis-
sant.

Amoureux du beau, trouvant toujours avec un rare
bonheur l'assimilation piquante, le trait gaulois, la for-
mule concise.

Il devait bientôt faire de son journal cette collection
remarquable qui est devenue comme une histoire hu-
moristique de nos dix dernières années.

Polo, avant que la direction de YÉçlipse accaparât
tous ses instants, avait lui-même beaucoup produit.

Notre confrère Mahalin, qui assista à ses débuts,
nous dira bientôt ce que furent ses premiers essais,

ses premiers travaux. Tous tendaient au même but.
L'idée était constante : H rêvait — ce qu'il a réalisé du
reste avec tant de bonheur —la création de cette petite
presse alerte, vigoureuse, populaire dans sa forme, et
mettant avant tout au service des choses saines, des
sentiments honnêtes, la verve, la gaité, l'esprit, toutes
ces qualités éminemment françaises, mais qui ne valent
qu'autant qu'une pensée élevée les anime.

Nous tous qui avions le bonheur de travailler à ses
côtés, nous sommes seuls à savoir combien sa direc-
tion était précieuse pour le journal qu'il chérissait et
qui était devenu l'unique préoccupation de sa vie.

Que de conseils, que d'idées ne lui devions-nous pas,
nous ses collaborateurs du crayon et de la plume !...

Sous une apparence de tranquillité presque taciturne,
quelle activité d'imagination! quel soin méticuleux il
apportait à guetter l'actualité, à ne rien laisser échap-
per des événemeuts contemporains et à les traduire

comme il savait le faire : .clairement, sobrement, mats
toujours dans la note expressive, malicieuse et juste.

Déjà bien impuissant à retracer les immenses quali-
tés de l'artiste, nous le sommes encore plus à parler
de l'homme.

Des larmes !... c'est tout ce que nous saurions trouver
de meilleur en nous pour rendre hommage à notre
pauvre François, le plus généreux, le plus sûr et le
plus tendre des'amis.

Nous l'aimions tous comme un frère, avec son bon
sourire un peu triste parfois, sa parole si douce, ses
dehors si affectueux.

Chose rare !... Heureux, il n'avait pas un ennemi,
pas même un envieux.

Tout le monde l'aimait comme on aime la bonté, la
franchise et l'honnêteté.

Pauvre ami !... ton souvenir est gravé pour la vie
dans nos cœurs ; car tu emportes, en nous quittant,
une partie de nous-mêmes.

Il nous faut te laisser en chemin et continuer seuls
la route que ton affection nous avait fuie plus douce
et plus riante.

Reçois nos adieux, mon bon Polo!...

Nous viendrons souvent jeter sur ta tombe les fleurs
les plus vermeilles et les plus embaumées.

Leur éclat n'égalera jamais celui que ta bonté répan-
dait sur notre vie, ni leurs parfums ceux qui s'exha-
laient de ton àme.

LÉON BIENVENU.

DISCOURS

PRONONCÉ PAR
Edmond DOUAY

Vice-Président du Comité de la Société des Gens de lettres

AUX OBSÈQU ES

DE

François POLO

o

LE 15 FÉVRIER 1874

Messieurs,

Vous n'êtes pas les seuls à pleurer devant ce cercueil.

La Société des gens de lettres a perdu en François Paul
Polo un de ces esprits alertes, entreprenants, généreux,
un de ces esprits qui savent se contenir, et dont la har-
diesse a pour bornes infranchissables la dignité, la vérité,
le patriotisme!

Il était né à Cayenne, le 22 septembre i838. Avait-il,
sous ce climat funeste, avait-il, dès sa naissance, respiré
la mort précoce? Ou plutôt, n'est-ce point, messieurs,
qu'il était en proie aux désirs inassouvis des grandes
âmes, désirs qui consument et qui abrègent la vie?

A l'Age des aventureuses pensées, dès l'âge de 22 ans, il
était correspondant dramatique du Messager des Théâtres.
11 jugeait, avec la mesure et la justesse d'un vieux cri-
tique, avec une verve gardoise déjà, les œuvres de théâtre
et les artistes; et comme la critique, c'est l'âme guer-
royant au nom du beau et du bien contre les paradoxes
d|e la laideur et du mal, François Polo devient, par la lo-
gique, de sa pensée, chroniqueur de V Illustrai ion militaire.

Toute sa vie peut se résumer dans ces deux mots : la
lutte.

La lutte contre les labeurs de l'existence parisienne ;

La lutte contre les séductions de la servitude littéraire ;

La lutte contre l'arbitraire, la lutte contre les caprices
ou les fantaisies ondoyantes et diverses, et toujours om-
brageuses des autorisations officielles, quelle qu'en soit
l'origine;

La lutte de la propriété industrielle, morale et intellec-
tuelle contre le fantôme sinistre des nécessités d'État,
contre la liberté du bien mal défini, contre la confiscation
de la pensée. Polo défendit énergiquement cette propriété
primordiale de l'homme civilisé : la possession de son âme,
et le droit moderne de l'expansion des idées, sous la seule
responsabilité de l'écrivain devant la morale publique.

La lutte, voilà ce qui a tué François Polo. D'abord len-
tement; puis tout d'un coup, sans merci I

Il fonde un journal de combat : La Lune. Aux triom-
phateurs du moment, il fait regarder l'astre, pâlissant
alors, des droits et des devoirs.

La Lune disparaît devant un décret; niais elle reparait
dans Y Eclipse, semaine comique illustrée, semaine du bon
sens qui éclate de rire, sans haine et sans rancune, en face
de l'erreur ou de l'aventure.

Le bon sens, l'éclat de rire, mais du rire des honnêtes
gens, voilà les traits essentiels de VEclipse et de François
Polo : c'est la comédie hebdomadaire, corrigeant par la
verve française et par le crayon doucement railleur du
caricaturiste les travers, les ridicules, les sophismes et les
erreurs, ranimant l'espoir dans le vrai, le nies, le patrio-
tisme, dans l'éternelle puissance du courage spirituel,
faisant rire pour empêcher de pleurer.

Esprit droit, généreux, toujours prêt aux inspiration*
gauloises et nationales, tu réservais pour tes amis les tré-
sors de ton cœur ! Qui pourrait dire ta bonté, ton dévoue-
ment à toutes les infortunes, les délicatesses de ta bien-
faisance ! Tu avais comme la pudeur de tes bienfaits, et le
concours de tous ceux qui se pressent à tes funérailles est
un hommage à tes courageuses, à tes discrètes vertus !
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