L'ECLIPSE
NOUVELLES
"primes de uéclipse
Toute personne qui enverra au directeur du journal le mon-
tant d'un abonnement d'un an, aura droit à une des primes
ci-dessous annoncées et aux conditions suivantes :
. . »i
1° almanach des travailleurs, illustré par Gill, texte
de E. Zola, J. Cl iretie, E. d'Hervilly, E. Siebecker, etc.
Offert gratuitement aux personnes qui le retireront au bu-
reau. — Ajouter 25 centimes au prix de l'abonnement pour le
recevoir franco de port dans les départements.
2° l'album des fleurs, fruits et légumes du jour,
dans lequel Alfred Le Petit a crayonné avec l'humour et l'esprit
de G-ranville trente-deux charges des hommes célèbres de notre
époque. Ces caricatures, fort réussies, accompagnées de qua-
trains spirituels, sont coloriées avec soin.
L'Album, pris au bureau, 1 fr.
Ajouter 1 fr. pour le recevoir franco à domicile.
EN VENTE AU BUREAU DE L'ÊCLIPSE :
Titre et table de l'année 1873 du journal YËclipse. 0 f. 30 c.
(franco 40 cl
Couverture de l'année 1873 du journal YÉclipse. 0 f. 20 c.
( franco 30 c. )
lettre de m. raoul duval
Paris, 27 février 1874.
f Monsieur,
J'aibie trop l'esprit, qu'il se traduise par la plume ou le
crayon, pour ne pas vous donner très-volontiers l'autorisation
dont vous avez besoin pour publier le portrait-charge de votre
serviteur
E.-Raoul Du val.
petite chronique
l'impôt sur les pianos.
Le projet d'impôt sur l«s pianos a ét5 rejoindre celui sur les
chapeaux de M. de Lorgeril.
La Chambre a compris que si elle entrait dans cette voie de
taxer l'un après l'autre tous les objets du mobilier ou do la
toilette, ça lamé erait trop loin.
JSffecti veinent, du piano à li table de nuit, du chapeau haute
forme aux bottines à élastiques, !l n'y a qu'un pas.
A§part l'impôt sur le revenu, tous les impôts sont mauvais;
mais celui que l'on proposait d'établir sur h s pianos était parti-
culièrement un chef-d'œuvre du genre absurde, de quelque
côté que l'on veuille l'envisager.
SfToii considère le piano comme un instrument d'étude, le
taxer est impie.
Si on l'étiquette: instrument de plaisir, alors, il y a le cor
de chasse, )a clarinette, le violoncelle et l'harmonillùte.
Maintenant, je sais bien qu'il y a desgens qui vous disent :
— Oui, mais... il faut frapper le piano, parce que c'est avant
tout une chose insupportable, un supplice pour ceux qui l'en-
durent.
A cela, je n'ai qu'une réponse à taira :
— Et les belles-mères?...
*
*, *
un peu bégueule a faux, monsieur
francisque sarcey,
Francisque Sarcey a essayé de défendre cet acteur de Caen,
accusé d'avoir caricaturé l'ex-empereur Napoléon III dans un
de ses rôles.
C'est très-bien.
Mais, je ne comprends pas bien la portée de cet argument :
« Cette ressemblance n'était que l'effet d'un hasard malheureux.
« Cette parodie de la mort eût été d'un goût si détestable, etc., etc.
Parodie de la mort peut faire un certa n effet sur les gens fa-
ciles à illusionner; mais j'avoue que je n'en saisis pas du tout
la signification.
Ce n'est pas parodier la mort que de par-odier le nez et la
moustache d'un homme qui n'est plus en vie.
Et puis, dans tous les cas, Dagubert aussi est mort, et la
chanson de la « Culotte à l'envers » a cesse dep"is longtemps de
passer pour une inconvenance.
Il faut en finir pourtant avec ce cliché par trop naïf du res-
pect des morts, surtout quand ces morts ont été des souve-
rains.
Comme ces messieurs, en somme, se font respecter de leur
vivant à coups de casse-tête, si on se croit encore obligé de les
respecter une fois qu'ils sont morts, à quel moment leur dira-t on
leurs vérités?
l'impôt du timbre
J'ai entendu des gens qui, en apprenant le rejet de l'impôt du
timbre sur les journaux, disaient
— Ah! ça, c'est gemil delà part de l'Assemblée.. Vous voyez
bien qu'on les calomnie, ces gens là... Quoi que vous en disiez,
ils n'ont pas voulu frapper la presse.
J'étais tout prêt à ouvrir mon cœur à la mansuétude et à me
repentir avec ces braves gens de la mauvaise opinion que j'avais
pu avoir quelquefois de nos droitiers, quand une voix infernale
m'a glissé ces mots dans l'oreille :
— Imbécile que tu es..; pourquoi auraient-ils voté le .timbre
puisqu'ils préparent une loi sur l«x. presse qui va supprimer
tous les journaux
O voix impie et sacrilège !... tais-toi !„. et ne fais pas péné-
trer l'affreux doute dans mon cœur !... C'est si bon de croire à
la justice, au d éressement, à la tendresse !...
encore un impot
Un monsieur Rcnant, qui trouve injuste que les pro-
priétaires jouissent des sommes qui leur sont versées parleurs
locataires à titre de loyers d'avance, propose que l'intérêt de
ces sommes soit versé dans les caisses de l'Etat.
L'intention est pure assurément.
Seulement l'auteur du projet me semble s'être arrêté juste au
beau milieu de son élan de moralité.
Il s'est dit !
—- Pourquoi donc le propriétaire gagnerait-il l'intérêt d'une
somma qui appartient à un autre.
Il aurait pu pousser un pou plus loin ; et il n'aurait pas
tardé à se cogner dans cette autre réflexion qui complète bien
la première :
— Pourquoi le locataire perdrait-il le revenu d'un capital qui
est à lui ?
Alors M. Renant aurait certainement conclu autrement et,
conservant de son projet ce qui est véritablement équitable, il
aurait tout simplement demandé que le propriétaire tînt compte
à son locataire de l'intérêt des sommes que ce dernier lui dé-
pose en garantie.
Il est vrai que cette combinaison ne donnait plus rien au
trésor.
Oui, mais... je ne vois pas non plus de raison bien sérieuse
pour que les locataires paient les cinq milliards à eux tout seuls
pendant que les propriétaires les regarderaient faire.
*
la censure dramatique
On sait que la censure dramatique vient d'être ressuscitée
officiellement.
Comme personne ne se doutait qu'elle fût morte — et que
d'ailleurs personne n'avait de raison pour cela, — cette résur-
rection n'a pas fait grand tapage.
Une seule chose, dans ce fait, mérite peut-être un peu d'at-
tention.
C'est l'argument qu'a invoqué M. le ministre pour le réta-
blissement do Ja censure.
Son excellence a déclaré que cette censure était indispensable
parce que l'état de siège n'avait pas le temps d'examiner et de
retrancher ce qu'il y avait de dangereux dans les œuvres dra-
matiques.
Pour ceux qui se souviennent qu'il y a deux mois à pei îe
S. M. l'État de siège a retranché d'un seul coup une pièce en
cinq actes qui était représentée aux Menus-Plaisirs : la Liqueur
d'or; » .
Pour ceux qui se souviennent que Sa môme M. l'Etat ne siège
a déjà rayé du répertoire dramatique une soixantaine de pièces
que les directeurs voulaient reprendre, entre autres : le Roi
s'amuse, les Misérables, etc., etc.
Pour ceux-là, disais-je, il ne serait pas médiocrement surpris
d'apprendre que l'État de siège ne peut suffire à sa tâche et qu'il
a besoin de renfort.
Jusqu'ici, il m'avait paru tout à fait à la hauteur de ses fonc-
tions. Jamais il ne m'a semblé épuisé; je lui trouve une mine
superbe, l'œil ardent, le poignet solide, le teint florissant.
***
bon m.0t de m. rouher
Dans la dernière lettre que M. Rouher vient d'adresser au
journal VAmi de l'Ordre, je cueille cette phrase qui peut servir
de mot de la fin le plus réussi :
« Sans doute, les plébiscites qui ont constitué l'Empire n'ont
« été renversés par aucun plébiscite nouveau ; mais un appel
« direct àla souveraineté nationale est nécessaire pour réparer
« les désastres causés par l'insurrection du 4 septembre. »
« Les désastres camés par l'insurrection du 4 Septembre !.. » C'est
tout bonnement épique.
Un hommo attrape une fluxion dû poitrine.
On lui pose un vésicatoiro qui ne le sauve pas.
Alors on crie pirtout qu'il est mort du vésicatoire.
I C'est commode à dire comme un dividende des gaHons de
Vigo à encaisser.
Et c'est simple... comme un abonné de la Patrie.
LÉON BIENVENU.
dernier coup d'œil
Il pleuvait.
Le numéro 109 lui était échu.
J'avais le numéro 115.
Et ceci se passait, la semaine dernière, dans le bureau des
omnibus situé place du Palais Royal.
Où en était-on ?
On en était au numéro 23.
Nous avions donc, le 109 et moi, tout le temps d'attendre le
moment d'user de notre, droit à la correspondance en causant.
Et c'est ce que nous fîmes.
Du moins, c'est ce que je fis, parce que j'y fus forcé.
Le 109 était bavard.
Le 115, je veux dire votre serviteur, ne tient pas beaucoup à
faire retentir de sa voix les échos d'une station d'omnibus.
Mais le 109 semblait énormément y tenir, et il contraignit le
1 (5 à lui répondre.
Qu'est-ce que c'était donc que ce 109 loquace?
Ce 100, c'était ûn monsieur que le 115 silencieux ne connais-
sait ni d'Éve ni d'Adam, trois secondes avant leur rencontre
devant le bureau du distributeur de numéros d'ordre, et qui
s'était assis à côté du 115, sur les coussins en crin luisant des
divans de la comp gnie générale, i
Il pleuvait; je pourrais ajouter qu'il pleuvait à torrents.
— Or, que faire, disait le 109, que faire dans un bureau d'om-
nibus quand il pleut à torrents, quand l'omnibus passe toujours
complet devant la station, et qu'on aie numéro 109 en main?
que faire, sinon causer
J'aurais bien pu répondre à ces paroles : c'est évident,
— Il y aurait une chose à faire, cependant, et qui me serait
diablement agréable, et cette chose à faire, ce serait de garder
un silence profond.
Mais je ne voulais pas froisser ce brave 109, si communicatif,
si bon, si « tout en dehors, » et qui avait eu des malheurs, à ce
qu'il me dit immédiatement, et je le laissai aller, la bride sur
le cou, non, sur la langue, je veux dire.
Brave 109 ! C'était un réactionnaire. Il m'apprit cette particu-
larité de sa vie politique entre deux autres confidences, l'une à
propos de son âge, qui était de 43 ans, l'autre au sujet de son
ex-profession, qui fut celle de « dernier coup d'œil. »
— J'étais Dernier coup d'œil, mon cher monsieur, disait le 109.
Dernier coup d'œil, savez-vous ce que cela peut bien être? Non ,
vous ne le savez pas 1 je le vois à la modestie de votre costume,
qui est d'excellent goût, d'ailleurs. Je le vois, vous dis-je. —
Vous n'appartenez pas au grand monde, ni même à la jeune
gomme.
— Oh ! fichtre non !
— Regrets I
Ayant expectoré ce — regrets — qui revenait souvent dans la
bouche.du 109, je dois le dire tout de suite ici, mon voisin de
coussins en crin luisant reprit la parole en ces termes:
— Je disais donc : regrets ! — Or. monsieur, si vous appar-
teniez au grand monde, vous sauriez ce que c'est, ce que c'était
plutôt, tya.'un Dernier coup d'œil.
En ce moment, l'omnibus aux places duquel nous étions can-
didats, le 109 et moi, s'arrêta devant le bureau. — Ciel! ne se-
rait-il pas complet? On se précipita, à 70 ou 80 environ, vers la
porte. — Il y avait une place à l'impériale. Mais il pleuvait
toujours à seaux.
L'omnibus reprit sa course dans l'espace, et nous rentrâmes,
toujours à 70 ou 80, dans le bureau, où, plus que jamais, ça
sentait le parapluie mouillé à faire blêmir les nez trop délicats.
— J'étais l'un des Derniers coup d'œil du grand W.., l'illustre
costumier pour dames que vous savez, pouisuivit le 109. Oui,
monsieur. Ah ! la chute du régime impérial a fait bien du mal
aux 27 fournisseurs de 40 ou 50 grandes dames de la Cour.
— Oui. — Plus de travail : ils sont obligés de vivre... de
leurs rentes aujourd'hui.
— Pardon, monsieur, reprit le 109. — Vous dites cela très-
sérieusement, n'est ce pas ?
— Certes ! — Vivre de ses rentes vaut encore mieux que vivre
de l'air du temps !...
— Monsieur, les ex-fournisseurs de la Cour d'autrefois sont
tous ruinés aujourd'hui!!!
— Regrets ! — fis-je à mon tour. — Mais j'en doute...
— Doutez ! — Quant à mon cas, il est visible, palpable.
Regardez-moi. J'ai bien conservé, comme vous pouvez le con-
stater, quelque reste de mon ancienne élégance. Mais c'est
à force de soins que j'arrive à ne pas être hideux. Ah ! quand
j'étais Coup â'œil 1 Heureux temps ! — Alors ! monsieur, alors,
le gardénia à la boutonnière d'un habit noir irréprochable dont
le revers encadrait, je devrais dire sertissait un plastron de che-
mise d'une blancheur et d'un poli sans second ; du marbre re-
passé par la main des amours !... Alors, monsieur, une excel-
lente voiture, un coupé olive, pendant l'hiver, un duc gros bleu,
aux >»eaux jours, me menait vers minuit chez les clientes de
mon illustre patron, et j'y arrivais, monsieur ! tout parfumé
d'oppoponax ou d'Ess-bouquet !
— Regrets ! — murmurai-je. — Et, après ?...
— Après, monsieur, j'entrais en fonctions ! — La cliente de
mon illustre patron, laquelle d'ailleurs m'avait attendu comme
le Messie, avec beaucoup plus de ferveur et do prières même,
la cliente distinguée, la femme adorable, la duchesse délirante
ou l'ambassadrice exquise enfin, me prenait les main, me gron-
dait de sa douce voix, me suppliait de lui consacrer une mi-
nute ou deux, et de lui donner — le dernier coup d'œil !
— Ah ! je comprends ! — votre patron vous envoyait donner
à ces dames le coup de {ion, le coup de pouce de Michel-Ange ;
Vous étiez le Masséna de ces batailles de chiffons : au dernier
moment, vous arriviez, et la victoire vous appartenait?
— Vous l'avez dit, soupira modestement le 109.
— Et vous n'êtes plus Dernier coup d'œil, à présent ?
— Non. Regrets. — Il n'y a plus de femme du grand monde
ayant des notes de 300,000 francs (sans compter les cigares, le
madère et l'argent prêté) chez leur costumier ! C'est fini. Une
mondaine, aujourd'hui, ne veut plus mettre 15,000 francs à un
costume du matin ! — Ma profession ne va pas plus que celle
d'augure latin. C'est fini. Plus de grandes mondaines, plus de
Dernier coup d'œil. Regrets !
Comme il achevait son histWre, l'omnibus que nous atten-
dions passa pour la vingtième fois devant le bureau. Il était
complet.
— Si nous prenions une voiture ? dis-je au 109.
— J'allais vous le proposer, répondit-il.
Et nous allâmes prendre une voiture. — Il pleuvait toujours.
ERNEST D'HERVILLY.
LES GENS DE THÉÂTRE
eurydice cico
Dans la fumée épaisse ouatint la vaste salle d'une chaude
buée, au milieu des hauts vidrecomes que le faro empanache d'é-
cume, elle gazouillait, — fauvette perchée sur le tuyau d'une
pipe ou sur l'anse d'une canette, — à la Philharmonie, a.u Marché-
aux-Poulets de Bruxelles.
Elle avait à peioe douze ans.
C'était pendant l'hiver 1852-1853.
Maman Cico, le frère et une sœur mayor, — celle qui chantait
au café du Géant, du boulevard du Temple, avant l'incendie,
— embellissaient alors de leur présence le petit Paris belge des
exilés politiques... et financiers.
Les deux gamines étaient les favorites des doUettanti-chopeurs
de la Philharmonie. La petite Marie rossignols^ les b luette s comi-
ques. Les compatriotes de Jfa/meAcn-Pisssedéraûgeaient volontiers
de leur tabac et de leur bière pour lui envoyer, — enguisede bra-
vos, de bouquets ou de bonbons, — un verre de lambic, de ge-
nièvre ou de skidam.
Le directeur de l'établissement payait dix francs ses deux
pensionnaires. Sur cette somme, huit francs étaient attribués à
NOUVELLES
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tant d'un abonnement d'un an, aura droit à une des primes
ci-dessous annoncées et aux conditions suivantes :
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1° almanach des travailleurs, illustré par Gill, texte
de E. Zola, J. Cl iretie, E. d'Hervilly, E. Siebecker, etc.
Offert gratuitement aux personnes qui le retireront au bu-
reau. — Ajouter 25 centimes au prix de l'abonnement pour le
recevoir franco de port dans les départements.
2° l'album des fleurs, fruits et légumes du jour,
dans lequel Alfred Le Petit a crayonné avec l'humour et l'esprit
de G-ranville trente-deux charges des hommes célèbres de notre
époque. Ces caricatures, fort réussies, accompagnées de qua-
trains spirituels, sont coloriées avec soin.
L'Album, pris au bureau, 1 fr.
Ajouter 1 fr. pour le recevoir franco à domicile.
EN VENTE AU BUREAU DE L'ÊCLIPSE :
Titre et table de l'année 1873 du journal YËclipse. 0 f. 30 c.
(franco 40 cl
Couverture de l'année 1873 du journal YÉclipse. 0 f. 20 c.
( franco 30 c. )
lettre de m. raoul duval
Paris, 27 février 1874.
f Monsieur,
J'aibie trop l'esprit, qu'il se traduise par la plume ou le
crayon, pour ne pas vous donner très-volontiers l'autorisation
dont vous avez besoin pour publier le portrait-charge de votre
serviteur
E.-Raoul Du val.
petite chronique
l'impôt sur les pianos.
Le projet d'impôt sur l«s pianos a ét5 rejoindre celui sur les
chapeaux de M. de Lorgeril.
La Chambre a compris que si elle entrait dans cette voie de
taxer l'un après l'autre tous les objets du mobilier ou do la
toilette, ça lamé erait trop loin.
JSffecti veinent, du piano à li table de nuit, du chapeau haute
forme aux bottines à élastiques, !l n'y a qu'un pas.
A§part l'impôt sur le revenu, tous les impôts sont mauvais;
mais celui que l'on proposait d'établir sur h s pianos était parti-
culièrement un chef-d'œuvre du genre absurde, de quelque
côté que l'on veuille l'envisager.
SfToii considère le piano comme un instrument d'étude, le
taxer est impie.
Si on l'étiquette: instrument de plaisir, alors, il y a le cor
de chasse, )a clarinette, le violoncelle et l'harmonillùte.
Maintenant, je sais bien qu'il y a desgens qui vous disent :
— Oui, mais... il faut frapper le piano, parce que c'est avant
tout une chose insupportable, un supplice pour ceux qui l'en-
durent.
A cela, je n'ai qu'une réponse à taira :
— Et les belles-mères?...
*
*, *
un peu bégueule a faux, monsieur
francisque sarcey,
Francisque Sarcey a essayé de défendre cet acteur de Caen,
accusé d'avoir caricaturé l'ex-empereur Napoléon III dans un
de ses rôles.
C'est très-bien.
Mais, je ne comprends pas bien la portée de cet argument :
« Cette ressemblance n'était que l'effet d'un hasard malheureux.
« Cette parodie de la mort eût été d'un goût si détestable, etc., etc.
Parodie de la mort peut faire un certa n effet sur les gens fa-
ciles à illusionner; mais j'avoue que je n'en saisis pas du tout
la signification.
Ce n'est pas parodier la mort que de par-odier le nez et la
moustache d'un homme qui n'est plus en vie.
Et puis, dans tous les cas, Dagubert aussi est mort, et la
chanson de la « Culotte à l'envers » a cesse dep"is longtemps de
passer pour une inconvenance.
Il faut en finir pourtant avec ce cliché par trop naïf du res-
pect des morts, surtout quand ces morts ont été des souve-
rains.
Comme ces messieurs, en somme, se font respecter de leur
vivant à coups de casse-tête, si on se croit encore obligé de les
respecter une fois qu'ils sont morts, à quel moment leur dira-t on
leurs vérités?
l'impôt du timbre
J'ai entendu des gens qui, en apprenant le rejet de l'impôt du
timbre sur les journaux, disaient
— Ah! ça, c'est gemil delà part de l'Assemblée.. Vous voyez
bien qu'on les calomnie, ces gens là... Quoi que vous en disiez,
ils n'ont pas voulu frapper la presse.
J'étais tout prêt à ouvrir mon cœur à la mansuétude et à me
repentir avec ces braves gens de la mauvaise opinion que j'avais
pu avoir quelquefois de nos droitiers, quand une voix infernale
m'a glissé ces mots dans l'oreille :
— Imbécile que tu es..; pourquoi auraient-ils voté le .timbre
puisqu'ils préparent une loi sur l«x. presse qui va supprimer
tous les journaux
O voix impie et sacrilège !... tais-toi !„. et ne fais pas péné-
trer l'affreux doute dans mon cœur !... C'est si bon de croire à
la justice, au d éressement, à la tendresse !...
encore un impot
Un monsieur Rcnant, qui trouve injuste que les pro-
priétaires jouissent des sommes qui leur sont versées parleurs
locataires à titre de loyers d'avance, propose que l'intérêt de
ces sommes soit versé dans les caisses de l'Etat.
L'intention est pure assurément.
Seulement l'auteur du projet me semble s'être arrêté juste au
beau milieu de son élan de moralité.
Il s'est dit !
—- Pourquoi donc le propriétaire gagnerait-il l'intérêt d'une
somma qui appartient à un autre.
Il aurait pu pousser un pou plus loin ; et il n'aurait pas
tardé à se cogner dans cette autre réflexion qui complète bien
la première :
— Pourquoi le locataire perdrait-il le revenu d'un capital qui
est à lui ?
Alors M. Renant aurait certainement conclu autrement et,
conservant de son projet ce qui est véritablement équitable, il
aurait tout simplement demandé que le propriétaire tînt compte
à son locataire de l'intérêt des sommes que ce dernier lui dé-
pose en garantie.
Il est vrai que cette combinaison ne donnait plus rien au
trésor.
Oui, mais... je ne vois pas non plus de raison bien sérieuse
pour que les locataires paient les cinq milliards à eux tout seuls
pendant que les propriétaires les regarderaient faire.
*
la censure dramatique
On sait que la censure dramatique vient d'être ressuscitée
officiellement.
Comme personne ne se doutait qu'elle fût morte — et que
d'ailleurs personne n'avait de raison pour cela, — cette résur-
rection n'a pas fait grand tapage.
Une seule chose, dans ce fait, mérite peut-être un peu d'at-
tention.
C'est l'argument qu'a invoqué M. le ministre pour le réta-
blissement do Ja censure.
Son excellence a déclaré que cette censure était indispensable
parce que l'état de siège n'avait pas le temps d'examiner et de
retrancher ce qu'il y avait de dangereux dans les œuvres dra-
matiques.
Pour ceux qui se souviennent qu'il y a deux mois à pei îe
S. M. l'État de siège a retranché d'un seul coup une pièce en
cinq actes qui était représentée aux Menus-Plaisirs : la Liqueur
d'or; » .
Pour ceux qui se souviennent que Sa môme M. l'Etat ne siège
a déjà rayé du répertoire dramatique une soixantaine de pièces
que les directeurs voulaient reprendre, entre autres : le Roi
s'amuse, les Misérables, etc., etc.
Pour ceux-là, disais-je, il ne serait pas médiocrement surpris
d'apprendre que l'État de siège ne peut suffire à sa tâche et qu'il
a besoin de renfort.
Jusqu'ici, il m'avait paru tout à fait à la hauteur de ses fonc-
tions. Jamais il ne m'a semblé épuisé; je lui trouve une mine
superbe, l'œil ardent, le poignet solide, le teint florissant.
***
bon m.0t de m. rouher
Dans la dernière lettre que M. Rouher vient d'adresser au
journal VAmi de l'Ordre, je cueille cette phrase qui peut servir
de mot de la fin le plus réussi :
« Sans doute, les plébiscites qui ont constitué l'Empire n'ont
« été renversés par aucun plébiscite nouveau ; mais un appel
« direct àla souveraineté nationale est nécessaire pour réparer
« les désastres causés par l'insurrection du 4 septembre. »
« Les désastres camés par l'insurrection du 4 Septembre !.. » C'est
tout bonnement épique.
Un hommo attrape une fluxion dû poitrine.
On lui pose un vésicatoiro qui ne le sauve pas.
Alors on crie pirtout qu'il est mort du vésicatoire.
I C'est commode à dire comme un dividende des gaHons de
Vigo à encaisser.
Et c'est simple... comme un abonné de la Patrie.
LÉON BIENVENU.
dernier coup d'œil
Il pleuvait.
Le numéro 109 lui était échu.
J'avais le numéro 115.
Et ceci se passait, la semaine dernière, dans le bureau des
omnibus situé place du Palais Royal.
Où en était-on ?
On en était au numéro 23.
Nous avions donc, le 109 et moi, tout le temps d'attendre le
moment d'user de notre, droit à la correspondance en causant.
Et c'est ce que nous fîmes.
Du moins, c'est ce que je fis, parce que j'y fus forcé.
Le 109 était bavard.
Le 115, je veux dire votre serviteur, ne tient pas beaucoup à
faire retentir de sa voix les échos d'une station d'omnibus.
Mais le 109 semblait énormément y tenir, et il contraignit le
1 (5 à lui répondre.
Qu'est-ce que c'était donc que ce 109 loquace?
Ce 100, c'était ûn monsieur que le 115 silencieux ne connais-
sait ni d'Éve ni d'Adam, trois secondes avant leur rencontre
devant le bureau du distributeur de numéros d'ordre, et qui
s'était assis à côté du 115, sur les coussins en crin luisant des
divans de la comp gnie générale, i
Il pleuvait; je pourrais ajouter qu'il pleuvait à torrents.
— Or, que faire, disait le 109, que faire dans un bureau d'om-
nibus quand il pleut à torrents, quand l'omnibus passe toujours
complet devant la station, et qu'on aie numéro 109 en main?
que faire, sinon causer
J'aurais bien pu répondre à ces paroles : c'est évident,
— Il y aurait une chose à faire, cependant, et qui me serait
diablement agréable, et cette chose à faire, ce serait de garder
un silence profond.
Mais je ne voulais pas froisser ce brave 109, si communicatif,
si bon, si « tout en dehors, » et qui avait eu des malheurs, à ce
qu'il me dit immédiatement, et je le laissai aller, la bride sur
le cou, non, sur la langue, je veux dire.
Brave 109 ! C'était un réactionnaire. Il m'apprit cette particu-
larité de sa vie politique entre deux autres confidences, l'une à
propos de son âge, qui était de 43 ans, l'autre au sujet de son
ex-profession, qui fut celle de « dernier coup d'œil. »
— J'étais Dernier coup d'œil, mon cher monsieur, disait le 109.
Dernier coup d'œil, savez-vous ce que cela peut bien être? Non ,
vous ne le savez pas 1 je le vois à la modestie de votre costume,
qui est d'excellent goût, d'ailleurs. Je le vois, vous dis-je. —
Vous n'appartenez pas au grand monde, ni même à la jeune
gomme.
— Oh ! fichtre non !
— Regrets I
Ayant expectoré ce — regrets — qui revenait souvent dans la
bouche.du 109, je dois le dire tout de suite ici, mon voisin de
coussins en crin luisant reprit la parole en ces termes:
— Je disais donc : regrets ! — Or. monsieur, si vous appar-
teniez au grand monde, vous sauriez ce que c'est, ce que c'était
plutôt, tya.'un Dernier coup d'œil.
En ce moment, l'omnibus aux places duquel nous étions can-
didats, le 109 et moi, s'arrêta devant le bureau. — Ciel! ne se-
rait-il pas complet? On se précipita, à 70 ou 80 environ, vers la
porte. — Il y avait une place à l'impériale. Mais il pleuvait
toujours à seaux.
L'omnibus reprit sa course dans l'espace, et nous rentrâmes,
toujours à 70 ou 80, dans le bureau, où, plus que jamais, ça
sentait le parapluie mouillé à faire blêmir les nez trop délicats.
— J'étais l'un des Derniers coup d'œil du grand W.., l'illustre
costumier pour dames que vous savez, pouisuivit le 109. Oui,
monsieur. Ah ! la chute du régime impérial a fait bien du mal
aux 27 fournisseurs de 40 ou 50 grandes dames de la Cour.
— Oui. — Plus de travail : ils sont obligés de vivre... de
leurs rentes aujourd'hui.
— Pardon, monsieur, reprit le 109. — Vous dites cela très-
sérieusement, n'est ce pas ?
— Certes ! — Vivre de ses rentes vaut encore mieux que vivre
de l'air du temps !...
— Monsieur, les ex-fournisseurs de la Cour d'autrefois sont
tous ruinés aujourd'hui!!!
— Regrets ! — fis-je à mon tour. — Mais j'en doute...
— Doutez ! — Quant à mon cas, il est visible, palpable.
Regardez-moi. J'ai bien conservé, comme vous pouvez le con-
stater, quelque reste de mon ancienne élégance. Mais c'est
à force de soins que j'arrive à ne pas être hideux. Ah ! quand
j'étais Coup â'œil 1 Heureux temps ! — Alors ! monsieur, alors,
le gardénia à la boutonnière d'un habit noir irréprochable dont
le revers encadrait, je devrais dire sertissait un plastron de che-
mise d'une blancheur et d'un poli sans second ; du marbre re-
passé par la main des amours !... Alors, monsieur, une excel-
lente voiture, un coupé olive, pendant l'hiver, un duc gros bleu,
aux >»eaux jours, me menait vers minuit chez les clientes de
mon illustre patron, et j'y arrivais, monsieur ! tout parfumé
d'oppoponax ou d'Ess-bouquet !
— Regrets ! — murmurai-je. — Et, après ?...
— Après, monsieur, j'entrais en fonctions ! — La cliente de
mon illustre patron, laquelle d'ailleurs m'avait attendu comme
le Messie, avec beaucoup plus de ferveur et do prières même,
la cliente distinguée, la femme adorable, la duchesse délirante
ou l'ambassadrice exquise enfin, me prenait les main, me gron-
dait de sa douce voix, me suppliait de lui consacrer une mi-
nute ou deux, et de lui donner — le dernier coup d'œil !
— Ah ! je comprends ! — votre patron vous envoyait donner
à ces dames le coup de {ion, le coup de pouce de Michel-Ange ;
Vous étiez le Masséna de ces batailles de chiffons : au dernier
moment, vous arriviez, et la victoire vous appartenait?
— Vous l'avez dit, soupira modestement le 109.
— Et vous n'êtes plus Dernier coup d'œil, à présent ?
— Non. Regrets. — Il n'y a plus de femme du grand monde
ayant des notes de 300,000 francs (sans compter les cigares, le
madère et l'argent prêté) chez leur costumier ! C'est fini. Une
mondaine, aujourd'hui, ne veut plus mettre 15,000 francs à un
costume du matin ! — Ma profession ne va pas plus que celle
d'augure latin. C'est fini. Plus de grandes mondaines, plus de
Dernier coup d'œil. Regrets !
Comme il achevait son histWre, l'omnibus que nous atten-
dions passa pour la vingtième fois devant le bureau. Il était
complet.
— Si nous prenions une voiture ? dis-je au 109.
— J'allais vous le proposer, répondit-il.
Et nous allâmes prendre une voiture. — Il pleuvait toujours.
ERNEST D'HERVILLY.
LES GENS DE THÉÂTRE
eurydice cico
Dans la fumée épaisse ouatint la vaste salle d'une chaude
buée, au milieu des hauts vidrecomes que le faro empanache d'é-
cume, elle gazouillait, — fauvette perchée sur le tuyau d'une
pipe ou sur l'anse d'une canette, — à la Philharmonie, a.u Marché-
aux-Poulets de Bruxelles.
Elle avait à peioe douze ans.
C'était pendant l'hiver 1852-1853.
Maman Cico, le frère et une sœur mayor, — celle qui chantait
au café du Géant, du boulevard du Temple, avant l'incendie,
— embellissaient alors de leur présence le petit Paris belge des
exilés politiques... et financiers.
Les deux gamines étaient les favorites des doUettanti-chopeurs
de la Philharmonie. La petite Marie rossignols^ les b luette s comi-
ques. Les compatriotes de Jfa/meAcn-Pisssedéraûgeaient volontiers
de leur tabac et de leur bière pour lui envoyer, — enguisede bra-
vos, de bouquets ou de bonbons, — un verre de lambic, de ge-
nièvre ou de skidam.
Le directeur de l'établissement payait dix francs ses deux
pensionnaires. Sur cette somme, huit francs étaient attribués à