Ï/ÊCLIPSE
le général chanzy
Des gens de bonne volonté avaient fait au général Chanzy
une espèce de renom de libéralisme.
Je ne les en blâme pas ; on croit si aisément ce que l'on dé-
sire.
Moi, j'avais toujours eu quelque doute. Il m'était impossible
de ne pas me souvenir de la façon un peu ducrotesque dont le
général Chanzy av;tit traité la garde nationale à l'Assemblée
de Versailles.
L'événement vient de prouver que M. le général Chanzy, s'il
est du bois dont on ferait peut-être à la dernière extrémité un
républicain par résignation, n'est pas un de ces hommes sur qui
la République peut se permettre de compter avant le moment
où elle n'en aura plus besoin.
Pour un journal qui élève le ton, M. Chanzy met toute une
province en état de sirge.
A ce compte-là, si un do ses soldats était tué dans une rixe
de cabaret, il ferait donc bombarder Alger?
*
la société des gens de3 lettres
Je ne m'explique guère tout le tapage que l'on a fait avec
cette affaire.
Jusqu'à présent, le gouvernement a donné à la Société une
subvention de 12,000 francs sans l'astreindre à lui dire ce qu'elle
en faisait.
Aujourd'hui, le ministère veut savoir à qui est distribué cet
argent.
La Société — avec une dignité toute naturelle — refuse. Le
ministère, ne lâche pas son argent.
L'affaire semble vidée, et il semble que tout doive s'arrêter là.
Le gouvernement de l'ordre moral garde ses 12,000 francs,
c'est son droit.
La Société des gens de lettres garde son indépendance, c'est
le sien.
• Pourquoi envenimer la chose ?
Pourquoi? Ah ! voilà... Parce que des esprits haineux trou-
vent l'occasion belle de faire naître un scandale en forçant la
Société des gens de lettres à prendre une attitude politique.
Ils y ont réussi, paraît-il, car cette société, sur la demande
de quelques-uns de ses membres, va être appelée à statuer sur
la radiation de MM. Pyat, Grousset et autres.
Qu'arrivera-t-il de tout ceci?
La décision — quelle qu'elle soit —• peut entraîner une scis-
sion, des démissions en masse, une rupture définitive, une dis-
solution de la Société.
On sera bien avancé !...
le 8 mai a cbislehurst
La manifestation du 16 mars avait mis les bonapartistes en
goût. Il n'y avait pourtant pas de quoi.
Aussi avaient-ils conçu le projet d'en organiser une autre
pour le 5 mai, jour de l'anniversaire de la naissance da l'ex-
impératrice.
Cette fois c'étaient les dames qui devaient aller donner la ré-
plique à M. Routier.
Mais la chose est tombée dans l'eau. On aura réfléchi qu'un
anniversaire de femme de 48 ans ne pouvait être que doulou-
reux pour l'héroïne de la fête.
C'est dommage.
Il eût été amusant d'entendre madame de Moutijo lisant son
discours avec cette pureté de langage dont les papiers des Tui-
leries nous ont révélé la suavité.
« Mesdames, c'est-z-avec un grand bonheur que jo vous re-
« vois-t-ici... Vous m'apportez des nouvelles chères des piaga-
« 8ins des Troi$-Qwrtier$ dont los-z-hautes nouveautés m'ont
« toujours... etc., etc. »
" *
* *
m. baragnon
Eh bien 1 il en fait de belles, monsieur Baragnon !...
L'autre jour, à la commission de permanence, répondant à
M. de Maby qui se plaignait que le gouvernement, eût sus-
pendu pour six mois le conseil municipal de la commune de
Palais à Belle-Isle-en-Mer, il a dit, avec l'accent de la plus pro-
fonde candeur :
— Qh !... une si petite commune !...
Lisant cela, le lendemain; dans un journal, une Jeune fille,
qui avait commis une faute, est arrivée çheg ses parents avec un
bébé da trois jours.
— Malheureuse !... s'est écriée la vahjgç, tu as un enfant !. .
— Oh ! maman... il est si petit?.,, a répondu la pauvre fille.
LËO$ BIEN^^U,
Nos pères avaient un joli mot pour peindre sobrement les
charmes appétissants et modestes d'une femme du petit
monde.
Ils disaient : — « c'est une créature avenante. »
Avenante, très-avenante, oh ! tout à fait avenante était donc
la jolie cochère assise en face de votre serviteur, dans un omni-
bus parisien, il y a trois jours.
Pourquoi cochère ? Cochérc, parce que femme de cocher, in-
dubitablement. Elle avait des yeux bruns, couleur d'avoine, et
une légère odeur de foin sec s'exhalait de ses vêtements. Elle
n'était pas blonde ; elle était isabelle foncé.
Mais beaucoup de femmes, même des femmes avenantes,
peuvent avoir une chevelure isabelle foncé, sentir l'odeur du
foin sec, avoir les yeux couleur d'avoine et brillants comme
l'écorce des grains de cette utile graminée, sans être des cochères
pour cola.
Sans aucun doute. Mais quand je vous aurai dit que cette
avenante cochère tenait entre ses mains potelées un fouet tout
neuf, et joli comme tout, avec un beau manche en épine noire
et une tresse en fin cuir blanc, terminée elle-même par une
mèche floconneuse, vous commencerez peut être à trouver que
la conjecture de votre serviteur n'est pas sans avoir une base
sérieuse.
Sur les genoux de l'avenante cochère, à côté du manche
lustré du fouet tout neuf, et joli comme tout, reposait un pot
de fleur contenant un géranium rosat, modeste et parfumé.
Or, — ayant consulté l'agenda de poche à cinquante cen-
times, que je me suis offert récemment, —jevisque nous étions
la veille de la Saint-Georges.
Ce bouquet et ce fouet tout neuf et joli comme tout, rap-
prochés de la veille de la saint Georges, furent des traits de
lumière dans mon cerveau, et je pensai que la charmante
cochère venait de faire ses petits préparatifs pour célébrer con-
venablement la fête de son mari.
Heureux cocher 1
Heureux cocher! car, non-seulement il possède une com-
pagne affectueuse et attentionnée, qui pense à lui souhaiter sa
fête, mais encore il a pour femme une créature avenante, la-
quelle, aux qualités morales relaiées ci-dessus, joint un nombre
très-flatteur de qualités physiques qui doivent absolument ré-
jouir un cœur de bon cocher : œil luisant et brun comme l'a-
voine, chevelure isabelle, odeur fine de foin sec, etc.
Oh! l'avenante créature !
Et, détail qu'il ne faut pas oublier, cette aimable cochère
était chaussée de pantoufles en tapisserie, fort petites, ma foi, et
sur le bout de chacune desquelles un petit lapin était brodé.
C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire. Sur le bout de
chacune des pantoufles il y avait un petit lapin brodé ; un petit
lapin blanc, ramassé sur lui-même, et dont l'œil était extrême-
ment vif.
Au bas de la robe d'indienne de la cochère gracieuse et po-
telée, on voyait, par instants, paraître et disparaître l'œil mali-
cieux du petit lapin blanc. Cela produisait l'effet le plus origi-
nal et le plus inattendu.
Heureux cocher !
Heureux cocher! Je me le figurai revenant, le soir, las de sa
longue et pénible journée de siège, sous la pluie ou le soleil, et
jo voyais son regard s'animer et sourire en apercevant l'œil
extrêmement vif des petits lapins brodés au bas de la robe
humble de la jolie cochère, trottinant devant lui daos la
chambre étroite.
Et je voyais aussi l'avenante petite personne apportant à son
cher Georges, assis devant la table et soupant de grand appétit,
le fameux fouet tout neuf et joli comme tout, et le fameux pot
de géranium rosat.
Et on lui souhaitait longue vie et bonne santé, à ce coquin
de Georges, en lui offrant ces riches présents destinés à réjouir
' son âme de cocher.
Et puis, un bon gros baiser descendait, tout ému, des lèvres
du jeune cocher, sur un front couronné d'une fo âtre chevelure
isabelle, et ce baiser tout franc faisait pétiller les yeux couleur
de grains d'avoine que vous savez.
Heureux cocher 1
Ah! certes, oui! Plus heureux alors, ce cocher en rédingote
à boutons de cuivre, en gilet rouge et en culotte fauve, plus
heureux alors que Phaéton, que Phœbus, que Néron, que Ni-
cias et Hilarion ; plus heureux, enfin, que tous les conducteurs
de chars passés, présents et futurs.
Et c'est pourquoi, il y a trois jours, dans un omnibus pari-
sien, votre serviteur émettait, mentalement, cette réflexion
bizarre :
Heureux cocher !
ERNEST D'HERVILLY.
---
AVIS IMPORTANT, — Les souscrip-
teurs à l'Éclipsé dont l'abomiement ex-
pire le 1er mai, sont priés «le 1©
renouveler sains retard, s'ils ne veulent
point subir d'interruption dans la ré-
ception du journal.
NOUVELLES
PRIMES DE L'ÉCLIPH
Toute personne qui enverra au directeur du journal le mon-
tant d'un abonnement d'un an, aura droit à une des primes
ci-dessous annoncées et aux conditions suivantes :
1° almanach des travailleurs; illustré par Gill, texte
de E. Zola, J. Claretie, E. d'Hervilly, E. Sjebecker, etc.
Offert gratuitement aux personnes qui le retireront au bu-
reau. — Ajouter 25 centimes au prix de l'abonnement pour le
recevoir franco de port dans les départements.
2° l'album des fleurs, fruits et légumes du jour,
dans lequel Alfred Le Petit a crayonné avec l'humour et l'esprit
de Granville trente-deux charges des hommes célèbres de notre
. époque. Ces caricatures, fort réussies, accompagnées de qua-
trains spirituels, sont coloriées avec soin.
L'Album, pris au bureau, 1 fr.
Ajouter 1 fr. pour le recevoir franco à domicile.
EN VENTE AU BUREAU DE L'ÊCIIPSE :
Titre et table de l'année 1873 du journal l'Éelipse. 0 f. 30 c.
( franco 40 c.)
Couverture de l'année 1873 du journal l'Éclipsé. 0 f. 20 c.
(franco 30 c.)
PETITE CHRONIQUE
la justice et l'état de siege
jffflMiiuiwIfo A com de cassation vient de rendre un
JM|IH|hHm\ arrêt que jo ne puis enregistrer d'un oui
WHHHnHv sec, puisqu'on peut pleurer do joie.
Bb Un journal républicain avait été suppri-
HMN m6 par l'état de siège.
|Mfflf Accusé d'avoir reparu sous un autre titre,
il Hf — ^ avait été condamné à une assez forte
*"*^*r*^^ MaiS ii n'accepta pas la sentence et se
pourvut en cassation.
La cour vient de casser le jugement, s'appuyant sur des con-
sidérants, à mon avis, des plus judicieux.
En termes beaucoup plus convenables bien entendu, mais
dont le fond est le même, la cour dit ceci :
«L'état de siège se substituant à la justice régulière pour
« écraser sans discussion les journaux qui ne lui plaisent pas,
« pourquoi l'état de siège,1 qui a la force, veut-il donc se faire
« aider par la justice de laquelle il s'est si bien passé jusque-là.
« Mais avec son grand sabre, il n'a que faire des humbles
a pelites balances de Thémis.
« Que Mars fasse respecter avec son sabre les arrêts de son
« sabre. »
Je le répèle, ce jugement excite mon admiration.
De tout temps j'avais pensé que c'était à la force armée à
faire exécuter les décisions do la justice et point à la justice à
prêter main-forte à la force armée.
Si Dieu avait voulu qu'il en fût autrement, il eût donné des
rabats aux capitaines d'ôtat-major et des bottes à l'écuyèrc aux
magistrats.
La cour fie cassation vient de me passer de l'huile douce sur
cette illusion.
S'il n'était pas défendu et inconvenant de remercier la justice,
je la remercierais.
*
* *
le plébiscite suisse
Ce qui vient de se passer en Suisse n'est certainement pas
fait pour inonder de joie les colporteurs de ce cliché slupide
mais très-répandu : « La République c'est le désordre permanent. »
En effet, nous venons de voir ce petit pays courageux voter,
par voie de plébiscite, tout un remaniement de sa constitution.
Et l'on n'a point entendu dire que pendant la période élec-
torale l'ordre ait été troublé une seule fois, ni qu'un seul pot de
crème ait tourné dans les montagnes.
Pourtant, toute la population a pris part à ce scrutin d'une
imporlance majeure.
Bonnes gens de la Patrie et du Constitutionnel, comment allez-
vous faire maintenant pour persuader à vos abonnés que Répu-
blique est le synonyme obligé de : viol, anarchie et pillage ?
Vos lecteurs, si vous leur avez laissé pour deux liards d'intel-
ligence, ne vont pas manquer de se dire :
— Ah ! ça, mais... ce n'est donc pas si impossible que ça de
vivre en République, puisque voilà tout à côté de nous un pays
qui vient de modifier ses institutions au moyen du suffrage
universel sans que nous ayons seulement entendu battre le
rappel une seule fois.
Ce que vous pourriez leur répondre, bonnes vieilles feuilles
— et ce que vous ne leur répondrez pas — c'est ceci :
— Parbleu !... la belle malice .de la part des Suisses de vivre
tranquillement et do progresser à leur aise sans secousses et
sans révolutions... Ils n'ont pas de prétendants !.,. Il n'y a vrai,
ment pas de quoi se vanter d'être bien portant quand on n'a pas
de maladie.
"----—
L'AVENANTE COCHÈRE
bureux cocher !
Cette réflexion émise mentalement par
votre servilcur, il y a trois jours, dans
un omnibus parisien, ne s'appliquait ni
à Phaéton, le présomptueux meneur, par
intérim, du véhicule étincelant du soleil,
ni au magnifique Phœbus lui-même.
Elle n'avait pas trait non plus à la féli-
cité qu'éprouvait, dit l'histoire, l'impé-
rial histrion, Néron, à conduire un char dans la carrière.
La gloire de Nicias ou celle d'Hilarion, les cochers illustres
de Byzance, héros de la lutte des fameux partis des bleus et des
verts, ne l'avait pas fait naître davantage.
Non, votre serviteur, en se disant en lui-même : — heureux
cocher ! — ne pensait nullement au bonheur disparu des grands
cochers de l'antiquité.
C'est après avoir regardé longuement une jolie cochère assise
en face de lui, dans l'omnibus, que votre serviteur s'était per
mis de s'écrier entièrement : — Heureux cocher !
Heureux cocher, en effet. Car la simple cochère assise en face
de moi, bien qu'elle n'eût emprunté que fort peu de choses aux
arts réunis de la modiste et de la couturière, était réellement
charmante.
LA FEMME QUI VA VITE
ans le courant des femmes qui passent,
tantôt laides, tantôt jolies, allant et ve-
nant, s'arrêtant, pressant le pas ou le
modérant, grandes, petites, alertes, pe-
santes, rieuses, grasses, sans caractère,
revêches , coquettes, extravagantes , il
est une petite perle que l'observateur ne
peut laisser passer indifférent.
Pour peu que vous soyez attentif au balancement d'une
taille hardiment cambrée, au rhythme coquet de petites bottes
qui battent l'asphalte en cadence, vous l'aurez remarquée déjà ;
sinon je vous dirais : « Regardez-là, car je vous plaindrais de
ne pas la connaître. »
Cette petite perle, ce bijou, cette chose rare et charmante,
c'est « la femme qui va vite. »
Quoi ! direz-vous, cette femme qui se hâte, la pommette ar-
dente, et se fait au besoin place avec la main, cette femme in-
différente à l'attention des passants, qui n'a plus d'objectif que
le mouvement trop rapide d'une aiguille sur le cadran, cette
femme, qui, si elle est jolie, ne laisse pas le temps qu'on s'en
aperçoive ; quoi ! cette femme, en quête d'une voiture, qui a
peur de manquer le chemin de fer, qui craint de ne plus trou-
ver sa modiste ou que sa couturière attend, est-ce celle-là
que...
le général chanzy
Des gens de bonne volonté avaient fait au général Chanzy
une espèce de renom de libéralisme.
Je ne les en blâme pas ; on croit si aisément ce que l'on dé-
sire.
Moi, j'avais toujours eu quelque doute. Il m'était impossible
de ne pas me souvenir de la façon un peu ducrotesque dont le
général Chanzy av;tit traité la garde nationale à l'Assemblée
de Versailles.
L'événement vient de prouver que M. le général Chanzy, s'il
est du bois dont on ferait peut-être à la dernière extrémité un
républicain par résignation, n'est pas un de ces hommes sur qui
la République peut se permettre de compter avant le moment
où elle n'en aura plus besoin.
Pour un journal qui élève le ton, M. Chanzy met toute une
province en état de sirge.
A ce compte-là, si un do ses soldats était tué dans une rixe
de cabaret, il ferait donc bombarder Alger?
*
la société des gens de3 lettres
Je ne m'explique guère tout le tapage que l'on a fait avec
cette affaire.
Jusqu'à présent, le gouvernement a donné à la Société une
subvention de 12,000 francs sans l'astreindre à lui dire ce qu'elle
en faisait.
Aujourd'hui, le ministère veut savoir à qui est distribué cet
argent.
La Société — avec une dignité toute naturelle — refuse. Le
ministère, ne lâche pas son argent.
L'affaire semble vidée, et il semble que tout doive s'arrêter là.
Le gouvernement de l'ordre moral garde ses 12,000 francs,
c'est son droit.
La Société des gens de lettres garde son indépendance, c'est
le sien.
• Pourquoi envenimer la chose ?
Pourquoi? Ah ! voilà... Parce que des esprits haineux trou-
vent l'occasion belle de faire naître un scandale en forçant la
Société des gens de lettres à prendre une attitude politique.
Ils y ont réussi, paraît-il, car cette société, sur la demande
de quelques-uns de ses membres, va être appelée à statuer sur
la radiation de MM. Pyat, Grousset et autres.
Qu'arrivera-t-il de tout ceci?
La décision — quelle qu'elle soit —• peut entraîner une scis-
sion, des démissions en masse, une rupture définitive, une dis-
solution de la Société.
On sera bien avancé !...
le 8 mai a cbislehurst
La manifestation du 16 mars avait mis les bonapartistes en
goût. Il n'y avait pourtant pas de quoi.
Aussi avaient-ils conçu le projet d'en organiser une autre
pour le 5 mai, jour de l'anniversaire de la naissance da l'ex-
impératrice.
Cette fois c'étaient les dames qui devaient aller donner la ré-
plique à M. Routier.
Mais la chose est tombée dans l'eau. On aura réfléchi qu'un
anniversaire de femme de 48 ans ne pouvait être que doulou-
reux pour l'héroïne de la fête.
C'est dommage.
Il eût été amusant d'entendre madame de Moutijo lisant son
discours avec cette pureté de langage dont les papiers des Tui-
leries nous ont révélé la suavité.
« Mesdames, c'est-z-avec un grand bonheur que jo vous re-
« vois-t-ici... Vous m'apportez des nouvelles chères des piaga-
« 8ins des Troi$-Qwrtier$ dont los-z-hautes nouveautés m'ont
« toujours... etc., etc. »
" *
* *
m. baragnon
Eh bien 1 il en fait de belles, monsieur Baragnon !...
L'autre jour, à la commission de permanence, répondant à
M. de Maby qui se plaignait que le gouvernement, eût sus-
pendu pour six mois le conseil municipal de la commune de
Palais à Belle-Isle-en-Mer, il a dit, avec l'accent de la plus pro-
fonde candeur :
— Qh !... une si petite commune !...
Lisant cela, le lendemain; dans un journal, une Jeune fille,
qui avait commis une faute, est arrivée çheg ses parents avec un
bébé da trois jours.
— Malheureuse !... s'est écriée la vahjgç, tu as un enfant !. .
— Oh ! maman... il est si petit?.,, a répondu la pauvre fille.
LËO$ BIEN^^U,
Nos pères avaient un joli mot pour peindre sobrement les
charmes appétissants et modestes d'une femme du petit
monde.
Ils disaient : — « c'est une créature avenante. »
Avenante, très-avenante, oh ! tout à fait avenante était donc
la jolie cochère assise en face de votre serviteur, dans un omni-
bus parisien, il y a trois jours.
Pourquoi cochère ? Cochérc, parce que femme de cocher, in-
dubitablement. Elle avait des yeux bruns, couleur d'avoine, et
une légère odeur de foin sec s'exhalait de ses vêtements. Elle
n'était pas blonde ; elle était isabelle foncé.
Mais beaucoup de femmes, même des femmes avenantes,
peuvent avoir une chevelure isabelle foncé, sentir l'odeur du
foin sec, avoir les yeux couleur d'avoine et brillants comme
l'écorce des grains de cette utile graminée, sans être des cochères
pour cola.
Sans aucun doute. Mais quand je vous aurai dit que cette
avenante cochère tenait entre ses mains potelées un fouet tout
neuf, et joli comme tout, avec un beau manche en épine noire
et une tresse en fin cuir blanc, terminée elle-même par une
mèche floconneuse, vous commencerez peut être à trouver que
la conjecture de votre serviteur n'est pas sans avoir une base
sérieuse.
Sur les genoux de l'avenante cochère, à côté du manche
lustré du fouet tout neuf, et joli comme tout, reposait un pot
de fleur contenant un géranium rosat, modeste et parfumé.
Or, — ayant consulté l'agenda de poche à cinquante cen-
times, que je me suis offert récemment, —jevisque nous étions
la veille de la Saint-Georges.
Ce bouquet et ce fouet tout neuf et joli comme tout, rap-
prochés de la veille de la saint Georges, furent des traits de
lumière dans mon cerveau, et je pensai que la charmante
cochère venait de faire ses petits préparatifs pour célébrer con-
venablement la fête de son mari.
Heureux cocher 1
Heureux cocher! car, non-seulement il possède une com-
pagne affectueuse et attentionnée, qui pense à lui souhaiter sa
fête, mais encore il a pour femme une créature avenante, la-
quelle, aux qualités morales relaiées ci-dessus, joint un nombre
très-flatteur de qualités physiques qui doivent absolument ré-
jouir un cœur de bon cocher : œil luisant et brun comme l'a-
voine, chevelure isabelle, odeur fine de foin sec, etc.
Oh! l'avenante créature !
Et, détail qu'il ne faut pas oublier, cette aimable cochère
était chaussée de pantoufles en tapisserie, fort petites, ma foi, et
sur le bout de chacune desquelles un petit lapin était brodé.
C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire. Sur le bout de
chacune des pantoufles il y avait un petit lapin brodé ; un petit
lapin blanc, ramassé sur lui-même, et dont l'œil était extrême-
ment vif.
Au bas de la robe d'indienne de la cochère gracieuse et po-
telée, on voyait, par instants, paraître et disparaître l'œil mali-
cieux du petit lapin blanc. Cela produisait l'effet le plus origi-
nal et le plus inattendu.
Heureux cocher !
Heureux cocher! Je me le figurai revenant, le soir, las de sa
longue et pénible journée de siège, sous la pluie ou le soleil, et
jo voyais son regard s'animer et sourire en apercevant l'œil
extrêmement vif des petits lapins brodés au bas de la robe
humble de la jolie cochère, trottinant devant lui daos la
chambre étroite.
Et je voyais aussi l'avenante petite personne apportant à son
cher Georges, assis devant la table et soupant de grand appétit,
le fameux fouet tout neuf et joli comme tout, et le fameux pot
de géranium rosat.
Et on lui souhaitait longue vie et bonne santé, à ce coquin
de Georges, en lui offrant ces riches présents destinés à réjouir
' son âme de cocher.
Et puis, un bon gros baiser descendait, tout ému, des lèvres
du jeune cocher, sur un front couronné d'une fo âtre chevelure
isabelle, et ce baiser tout franc faisait pétiller les yeux couleur
de grains d'avoine que vous savez.
Heureux cocher 1
Ah! certes, oui! Plus heureux alors, ce cocher en rédingote
à boutons de cuivre, en gilet rouge et en culotte fauve, plus
heureux alors que Phaéton, que Phœbus, que Néron, que Ni-
cias et Hilarion ; plus heureux, enfin, que tous les conducteurs
de chars passés, présents et futurs.
Et c'est pourquoi, il y a trois jours, dans un omnibus pari-
sien, votre serviteur émettait, mentalement, cette réflexion
bizarre :
Heureux cocher !
ERNEST D'HERVILLY.
---
AVIS IMPORTANT, — Les souscrip-
teurs à l'Éclipsé dont l'abomiement ex-
pire le 1er mai, sont priés «le 1©
renouveler sains retard, s'ils ne veulent
point subir d'interruption dans la ré-
ception du journal.
NOUVELLES
PRIMES DE L'ÉCLIPH
Toute personne qui enverra au directeur du journal le mon-
tant d'un abonnement d'un an, aura droit à une des primes
ci-dessous annoncées et aux conditions suivantes :
1° almanach des travailleurs; illustré par Gill, texte
de E. Zola, J. Claretie, E. d'Hervilly, E. Sjebecker, etc.
Offert gratuitement aux personnes qui le retireront au bu-
reau. — Ajouter 25 centimes au prix de l'abonnement pour le
recevoir franco de port dans les départements.
2° l'album des fleurs, fruits et légumes du jour,
dans lequel Alfred Le Petit a crayonné avec l'humour et l'esprit
de Granville trente-deux charges des hommes célèbres de notre
. époque. Ces caricatures, fort réussies, accompagnées de qua-
trains spirituels, sont coloriées avec soin.
L'Album, pris au bureau, 1 fr.
Ajouter 1 fr. pour le recevoir franco à domicile.
EN VENTE AU BUREAU DE L'ÊCIIPSE :
Titre et table de l'année 1873 du journal l'Éelipse. 0 f. 30 c.
( franco 40 c.)
Couverture de l'année 1873 du journal l'Éclipsé. 0 f. 20 c.
(franco 30 c.)
PETITE CHRONIQUE
la justice et l'état de siege
jffflMiiuiwIfo A com de cassation vient de rendre un
JM|IH|hHm\ arrêt que jo ne puis enregistrer d'un oui
WHHHnHv sec, puisqu'on peut pleurer do joie.
Bb Un journal républicain avait été suppri-
HMN m6 par l'état de siège.
|Mfflf Accusé d'avoir reparu sous un autre titre,
il Hf — ^ avait été condamné à une assez forte
*"*^*r*^^ MaiS ii n'accepta pas la sentence et se
pourvut en cassation.
La cour vient de casser le jugement, s'appuyant sur des con-
sidérants, à mon avis, des plus judicieux.
En termes beaucoup plus convenables bien entendu, mais
dont le fond est le même, la cour dit ceci :
«L'état de siège se substituant à la justice régulière pour
« écraser sans discussion les journaux qui ne lui plaisent pas,
« pourquoi l'état de siège,1 qui a la force, veut-il donc se faire
« aider par la justice de laquelle il s'est si bien passé jusque-là.
« Mais avec son grand sabre, il n'a que faire des humbles
a pelites balances de Thémis.
« Que Mars fasse respecter avec son sabre les arrêts de son
« sabre. »
Je le répèle, ce jugement excite mon admiration.
De tout temps j'avais pensé que c'était à la force armée à
faire exécuter les décisions do la justice et point à la justice à
prêter main-forte à la force armée.
Si Dieu avait voulu qu'il en fût autrement, il eût donné des
rabats aux capitaines d'ôtat-major et des bottes à l'écuyèrc aux
magistrats.
La cour fie cassation vient de me passer de l'huile douce sur
cette illusion.
S'il n'était pas défendu et inconvenant de remercier la justice,
je la remercierais.
*
* *
le plébiscite suisse
Ce qui vient de se passer en Suisse n'est certainement pas
fait pour inonder de joie les colporteurs de ce cliché slupide
mais très-répandu : « La République c'est le désordre permanent. »
En effet, nous venons de voir ce petit pays courageux voter,
par voie de plébiscite, tout un remaniement de sa constitution.
Et l'on n'a point entendu dire que pendant la période élec-
torale l'ordre ait été troublé une seule fois, ni qu'un seul pot de
crème ait tourné dans les montagnes.
Pourtant, toute la population a pris part à ce scrutin d'une
imporlance majeure.
Bonnes gens de la Patrie et du Constitutionnel, comment allez-
vous faire maintenant pour persuader à vos abonnés que Répu-
blique est le synonyme obligé de : viol, anarchie et pillage ?
Vos lecteurs, si vous leur avez laissé pour deux liards d'intel-
ligence, ne vont pas manquer de se dire :
— Ah ! ça, mais... ce n'est donc pas si impossible que ça de
vivre en République, puisque voilà tout à côté de nous un pays
qui vient de modifier ses institutions au moyen du suffrage
universel sans que nous ayons seulement entendu battre le
rappel une seule fois.
Ce que vous pourriez leur répondre, bonnes vieilles feuilles
— et ce que vous ne leur répondrez pas — c'est ceci :
— Parbleu !... la belle malice .de la part des Suisses de vivre
tranquillement et do progresser à leur aise sans secousses et
sans révolutions... Ils n'ont pas de prétendants !.,. Il n'y a vrai,
ment pas de quoi se vanter d'être bien portant quand on n'a pas
de maladie.
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L'AVENANTE COCHÈRE
bureux cocher !
Cette réflexion émise mentalement par
votre servilcur, il y a trois jours, dans
un omnibus parisien, ne s'appliquait ni
à Phaéton, le présomptueux meneur, par
intérim, du véhicule étincelant du soleil,
ni au magnifique Phœbus lui-même.
Elle n'avait pas trait non plus à la féli-
cité qu'éprouvait, dit l'histoire, l'impé-
rial histrion, Néron, à conduire un char dans la carrière.
La gloire de Nicias ou celle d'Hilarion, les cochers illustres
de Byzance, héros de la lutte des fameux partis des bleus et des
verts, ne l'avait pas fait naître davantage.
Non, votre serviteur, en se disant en lui-même : — heureux
cocher ! — ne pensait nullement au bonheur disparu des grands
cochers de l'antiquité.
C'est après avoir regardé longuement une jolie cochère assise
en face de lui, dans l'omnibus, que votre serviteur s'était per
mis de s'écrier entièrement : — Heureux cocher !
Heureux cocher, en effet. Car la simple cochère assise en face
de moi, bien qu'elle n'eût emprunté que fort peu de choses aux
arts réunis de la modiste et de la couturière, était réellement
charmante.
LA FEMME QUI VA VITE
ans le courant des femmes qui passent,
tantôt laides, tantôt jolies, allant et ve-
nant, s'arrêtant, pressant le pas ou le
modérant, grandes, petites, alertes, pe-
santes, rieuses, grasses, sans caractère,
revêches , coquettes, extravagantes , il
est une petite perle que l'observateur ne
peut laisser passer indifférent.
Pour peu que vous soyez attentif au balancement d'une
taille hardiment cambrée, au rhythme coquet de petites bottes
qui battent l'asphalte en cadence, vous l'aurez remarquée déjà ;
sinon je vous dirais : « Regardez-là, car je vous plaindrais de
ne pas la connaître. »
Cette petite perle, ce bijou, cette chose rare et charmante,
c'est « la femme qui va vite. »
Quoi ! direz-vous, cette femme qui se hâte, la pommette ar-
dente, et se fait au besoin place avec la main, cette femme in-
différente à l'attention des passants, qui n'a plus d'objectif que
le mouvement trop rapide d'une aiguille sur le cadran, cette
femme, qui, si elle est jolie, ne laisse pas le temps qu'on s'en
aperçoive ; quoi ! cette femme, en quête d'une voiture, qui a
peur de manquer le chemin de fer, qui craint de ne plus trou-
ver sa modiste ou que sa couturière attend, est-ce celle-là
que...