IAÉQLI FSE
AVIS IMPORTANT. — Les sous-
cripteurs à l'Éclipsé dont l'abonne-
ment expire le 3 O septembre sont
priés de le renouveler sans retard.,
s'ils ne veulent point subir d'inter-
ruption dans la réception du jour-
nal.
L4 « DIGNITÉ DE LA PRESSE •
Jo savais bien que l'état de siège était un garçon de res-
sources, propre à beaucoup de choses, apte aux besognes les
plus varices, un garçon, en un mot, sur qui le gouverne-
ment pouvait sérieusement compter et à qui il pouvait con-
fier toutes sortes d'emplois.
Je savais bien quo l'état de siège avait des talents fort
nombreux :
Qu'il savait suspendre un journal,
Interdire une réunion,
Fermer un établissement public,
Prohiber un drame de Victor Hugo,
Etc., etc..
Mais si l'on m'eût dit, il y a quinze jours :
— Vous savez bien... l'état de siège ?...
— Oui... eh ! bien?...
— Eh ! bien... c'est lui qui va être chargé à l'avenir de
faire respecter la « dignité de la presse. »
J'avoue que mon premier mouvement eût été do consul-
ter mon almanach, pour voir si le carnaval n'était pas par
hasard commencé.
Je ne voudrais certainement pas faire de peine à l'état do
siège, quo son grand âge va bientôt rendre respectable.
Mais j'étais si peu préparé àl'idée qu'il pût un jour avoir
pour mission de protéger la « dignité de là presse », que la
pensée seule de voir ajouter cela à ses attributions me plonge
dans des ahurissements inouïs-.
» i
On me dirait :
— L'état de sliîge va joindre à ses anciennes fonctions
toute une série de services nouveaux : il va distribuer lui-
même le gaz aux habitants, administrer la compagnie des
petites voitures, monopoliser les salons de coiffure, gérer les
bals de l'Opéra, se charger des réparations de vélocipède?,
etc., etc..., rien ne m'étonnerait, car personne plus que moi
n'est convaincu que l'état de siège est capable d'à peu près
tout.
Mais quand on vient m'annoncer qu'il va veiller avec la
sollicitude d'une mère sur la « dignité de la presse », j'en de-
meure profondément interloqué.
Si encore l'on disait : « avec la tendresse d'une bellc-mérc »,
cela pourrait peut-être aller à la grande rigueur.
Cependant, comme je ne suis pas entêté, il me faut bien
me rendre à l'évidence.
Après avoir lu les considérants de l'arrêté qui a suspendu
l'Univers, il ne m'est plus permis et il n'est plus permis à
personne do douter des intentions toutes paternelles de l'état
de siège à l'égard de la presse.
voir désormais notre chère « dignité de la presse »
placée sous l'égide d'une protection aussi puissante — et
surtout aussi inespérée.
Ces considérants sont d'une excessive clarté.
« Le gouverneur de Paris, commandant... etc., etc.
« Attendu que l'Univers, dans son numéro du..., dépasse
« toute mesure, provoque, etc., etc., par d'inqualifiables
« outrages qui sont de nature, etc., etc., trouble la paix
« publique et porte une grave ptteinte à « la dignité do
« la presse française. »
« Arrête... etc , etc..
Pas la moindre ambiguïté, n'est-ce pas?
Il est tout à fait entendu que S. M. l'È%t de siège entend
désormais s'ériger en protecteur de notre dignité compro-
mise.
Qu'il est résolu à ne plus tolérer que les journaux soient
traités comme des établissements indignes, des maisons in-
terlopes, des agences de courses, des repaires suspects.
Et que par tous les moyens en son pouvoir— et Dieu sait
s'il en a un choix à sa diposition — il se fera le soutien, la
sauvegarde, le vengeur de l'honneur des journalistes en
général...
m,
C'est bien là la dernière occupation à laquelle j'aurais
pensé que l'état de siège pût se livrer.
Mais une fois que l'on s'en est étonné, la première chose
que l'on ait à faire est certainement de s'en réjouir.
C'est ce que je fais du fond du cœur. Trop heureux de
Quelques esprits chagrins, je le sais, ont ricané avec ai-
greur en lisant les attendu que du général commandant
l'état de siège.
J'en ai même entendu qui disaient amèrement :
— Eh ! bien... la « dignité de la presse » a là un fichu pro-
tecteur!...
Je n'aime pas cette ingratitude.
— De quel droit — ajoutent ces êtres moroses et intrai-
tables, — de quel droit l'état de siège qui traite depuis quatre
ans les journalistes comme une meute indocile, fouaillant
à droite, cinglant à gauche (à gauche surtout), frappant par-
tout, supprimant ici, suspendant là, sans discussion, sans
jugement... vient-il aujourd'hui nous parler de la « dignité
de la presse », de la presse qu'il humilie lui-même chaque
jour?...
Si la presse, ajoutent-ils, en dépit d'un système de knout
où sombrerait la fierté des âmes les mieux trempées, a
conservé sa dignité, l'état do siège y est-il pour quelque
chose?...
Depuis quand le plus fort qui abuse de sa force pour écra-
ser le plus faible a-t-il le droit de s'occuper do la « dignité «
de celui qu'il accable ?
Et n'cst-il pas risiblo et triste à la fois de voir la « dignité
de la presse » violée depuis quatre ans 'ans les trois quarts
des départements que nous n'avons pas perdus, soutenue
hypocritement aujourd'hui par ceux-là mêmes qui ne l'ont
laissée debout que malgré eux.
$0.
Voilà ce que pensent quelques raisonneurs intraitables,
quelques boudeurs irréconciliables, qui caressent le rêve
malsain de voir la presto resplendir par sa seule indépen-
dance et sans le secours précieux des éperons de l'état de
siège.
Moi, je trouve que ces irrités ont le plus grand tort.
Il ne faut jamais froisser les gens qui vous veulent du bien
par des dédains entêtés.
Le gouvernement nous promet qu'il va protéger de toutes
ses forces la « dignité de la presse. » Acceptons celte promesse
comme un gage do liberté et de justice.
<$>
Car il saute aux yeux de tout le monde quo, du moment
où le septennat prend sous sa protection la « dignité de la
presse, » son premier soin va être rie cesser de traiter la
presse comme une chose « indigne. »
Le gouvernement ne peut p;.s penser un seul instant à
associer son nom à une dignité qu'il continuerait à détruire
lui-même par son arbitraire.
On ne peut être digne sans être libre, et les considérants
très-élevés du récent arrêté de M. le Gouverneur de Paris
nous prouvent surabondamment qu'une nouvelle ère va
s'ouvrir pour nous.
La « dignité de la presse » veut que la presse soit indépen-
dante partout.
La « dignité de lu presse, » enfin, veut que la presse ait do
vrais juges, comme tout le monde.
II faudrait avoir l'esprit bien mal tourné pour ne pas com-
prendre que le gouvernement ne se serait pas avisé de par-
ler de la « dignité de la presse, » s'il n'était à la veille de con-
sacrer lui-même cette dignité dont il se montre si soucieux,
en nous rendant ce qui peut seule l'assurer :
la liberté êt des juges.
Nous devons donc nous attendre à voir paraître incessam-
ment à l'Officiel une note ainsi conçue, ou à peu près :
« Le gouvernement, profondément pénétré de cette vé-
« rité, qu'un homme attaché par les quatre membres, cou-
« ché à terre, le nez dans la poussière, les reins pliés sous le
« genou d'un autre, un fouet sifflant au-dessus do sa tête,
« aurait beaucoup de peine à conserver, dans celte posture,
« la dignité qui est le bien le plus précieux des êtres libres,
* a décidé que, jusqu'à la promulgation de la prochaine loi
« sur la presse, les journaux ne relèveraient plus que des
« tribunaux réguliers, et pourraient paraître sans avoir été
« préalablement demander l'autorisation des chefs de
« corps commandant la circonscription dans laquelle ils se
o publient. »
Pour mon compte, cette décision me semble tellement
inséparable de la nouvelle théorie officielle en matière de
« dignité de la presse, » que j'ai déjà parié quinze boîtes de
londrès qu'elle serait prise avant samedi prochain.
LA CE5SIRE
JUGEE PAR L'INDÉPENDANCE BELGE.
Pauvre caricature ! Malice toute française comme la
chanson, cette caricature chantée, arme joyeuse de bataille,
la caricature des Daumier, des Traviès, des Grandville, est
bien diminuée maintenant. On lui a rogné les ongles comme
à un chat qui griffe, on la tient en laisse comme un chien
qui mord. Une censure tatillonne et étroite ne loi permet
de railler ni « les puissants de quatre jours, « ni les sottises,
ni les abus. On pourra, un jour, écrire l'histoire exacte de
la liberté dont nous jouissons durant les jours que nous
traversons en écrivant l'histoire de nos caricatures. La
plupart des journaux de caricatures publiés à Paris mettent
très-souvent leurs pages en vente avec cette indication pour
tout croquis : Dessin refusé par la censure. Du temps de la
restaurai ion, le Nain jaune paraissait ainsi parfois avec des
pages blanches.
Censure? Il existe donc, pour juger ces dessina, une
sorte d'aréopage de fonctionnaires dans le genre de la com-
mission chargée d'examiner les œuvres dramatiques ? Point
du tout; s'il y a une censure théâtrale, il n y a pas, à pro-
prement parler, de censuro artistique, mais les journaux
n'en sont pas moins soumis à un examen et à des formali-
tés vexatoires. La censure existe, sinon dans la forme, au
moins dans le fond, censure d'autant plus désagréable que
les censeurs improvisés qui l'exercent sont plus souvent
remplacés.
« Voilà bien du bruit pour une omelette au lard ! » disait
ce libre-penseur qui entendait tonner un jour de vendredi
saint. On pourrait dire aussi, en considérant le mécanisme
des différents rouages par lesquels passe un dessin carica-
tural avant d'être autorisé : — « Vci à bien du mouvement
pour un croquis ! » Le dessin est remis, en effet, sous forme
d'esquisse coloriée, au sous-chef de la librairie et de l'im-
primerie du ministère de l'intérieur. Celui ci le transmet à
son chef de bureau. Si le dessin n'a aucune portée politi-
que, ce fonctionnaire se hasarde à prendre sur lui le droit
d'autoriser ou de refuser. Si, au contraire, on peut soup-
çonner en elle la moindre portée politique, l'esquisse est
transmise aussitôt à un chef de division de la prélecture de
police. Le chef de division saisit ensuite de 11 question le
préfet de police lui-même, et, pour ne pas s attirer de désa-
grément, le préfet de police demande à son tour l'avis du
ministre de l'intérieur. Que d'allées et de venues pour quatre
coups de crayon de Gill ! Pendant ce temps, le journal illus-
tré attend patiemment une réponse qui vient avec lenteur.
Certaines réponses demeurent ainsi plus de huit jours en
route, h'actualité, dont vit surtout la caricature, a le temps
de voir pousser à son front des cheveux blancs.
lit que de difficultés pour se faire comprendre par les em-
ployés, dont quelques-uns sont notoirement bonapartistes,
sans compter ceux qui n'entendent pas la plaisanterie et
billèraient d'un trait implacable tout emblème républicain
Ce sont ceux-là qui firent s; isir, voilà deux ans, le journal
El Americano, coupable d'avoir représenté la république de
son pays avec le bonnet phrygien qu'elle porte, là-bas, offi-
ciellement. Les menus détails des vexations qui peuvent,
en ce genre, atteindre la caricature seraient divertissants
mais longs. C'est ainsi que, dans tous les dessins coloriés
des journaux hebdomadaires, la couleur rouge est absolu-
ment proscrite. Le rouge, aux yeux de la censure, est pure-
ment séditieux. Le coquelicot est un rebelle et le ruban
rouge semble lui-même bien hardi.
O liberté d'écrire dont parle le Figaro de Beaumarchais !
tu as depuis longtemps une sœur, qui . st la liberté de
crayonner « sous l'inspection de deux ou trois censeurs ! »
Du temps de M Thiers, on pouvait caricaturer encore.
Depuis M. de Broglie, le crayon est tenu en respect. Quand
nous demandons, au surplus, la liberté de la caricature, ce
n'est pas la liberté do l'insulte, de la calomnie, la liberté de
la boue dont les vainqueurs ont toujours abusé, c'est la li-
berté de l'esprit, de la satire, de la critique ailée et aiguisée.
La guêpe pique, mais voltige; le scorpion rampe et mord.
Mais, sous prétexte d'écraser le scorpion.on a coupé les ailes
à l'insecte rapide,bourdonnant et moqueur! On en est re-
venu à ces temps de l'empire où les censeurs de ce genre
cherchaient avec peisistance, parmi tous les personnages
des petits dessins de l'Illustration, ceux qui, pur hasard, pou-
vaient bien, de près ou de loin, ressembler à l'empereur,
11 fallait alors couper ou rapetisser les moustaches, sous
peine de ne point paraître. Un dessin sur la guerre du Pa-
ragay fut interdit parce qu'un Brésilien mort et couché
dans un coin de la gravure rappelait vaguement les traits
de Napoléon III. »
Jules CLARETIE,
{Indépendance belge.)
LÉON BIENVENU.
BROUTILLES
■■©%©•■
Les savants ont un singulier style :
La semaine dernière, une société scientifique de province,
ayant Organisé une excursion dans la chaîne des Vosges, a
fait publier l'avis suivant dans le journal de la localité :
« On se réunira à la gare de Varangeville-Saint-Nicolas, le
« 10 septembre, à onze heures précises, et Ton ira immédiate-
« ment dans le terrain salifère.... »
Briollet s'est écrié :
— Mais... alors... il sera encore bien plus sale I...
Quoiqu'en quatre gros volumes d'un texte très serré, le
Littré ne contient pas cette définition :
Mélancolib — suis. fèm. — Disposition à la tristesse
qui porte les employés de chemins de fer à confondre les ba-
gages des voyageurs.
* *
La preuve que l'habit ne fait pas le moine, c'est que le
Rappel et la République française sont tous les jours mis en
pages.
4
* * f
Un armurier vient d'inventer une lunette destinée à être
adaptée sur le canon des fusils, pour rendre le tir plus sûr.
Enfin !... voilà assez longtemps que les utopistes se creu-
sent la cervelle pour trouver le moyen de rapprocher les
peuples.
TURLUPIN
AVIS IMPORTANT. — Les sous-
cripteurs à l'Éclipsé dont l'abonne-
ment expire le 3 O septembre sont
priés de le renouveler sans retard.,
s'ils ne veulent point subir d'inter-
ruption dans la réception du jour-
nal.
L4 « DIGNITÉ DE LA PRESSE •
Jo savais bien que l'état de siège était un garçon de res-
sources, propre à beaucoup de choses, apte aux besognes les
plus varices, un garçon, en un mot, sur qui le gouverne-
ment pouvait sérieusement compter et à qui il pouvait con-
fier toutes sortes d'emplois.
Je savais bien quo l'état de siège avait des talents fort
nombreux :
Qu'il savait suspendre un journal,
Interdire une réunion,
Fermer un établissement public,
Prohiber un drame de Victor Hugo,
Etc., etc..
Mais si l'on m'eût dit, il y a quinze jours :
— Vous savez bien... l'état de siège ?...
— Oui... eh ! bien?...
— Eh ! bien... c'est lui qui va être chargé à l'avenir de
faire respecter la « dignité de la presse. »
J'avoue que mon premier mouvement eût été do consul-
ter mon almanach, pour voir si le carnaval n'était pas par
hasard commencé.
Je ne voudrais certainement pas faire de peine à l'état do
siège, quo son grand âge va bientôt rendre respectable.
Mais j'étais si peu préparé àl'idée qu'il pût un jour avoir
pour mission de protéger la « dignité de là presse », que la
pensée seule de voir ajouter cela à ses attributions me plonge
dans des ahurissements inouïs-.
» i
On me dirait :
— L'état de sliîge va joindre à ses anciennes fonctions
toute une série de services nouveaux : il va distribuer lui-
même le gaz aux habitants, administrer la compagnie des
petites voitures, monopoliser les salons de coiffure, gérer les
bals de l'Opéra, se charger des réparations de vélocipède?,
etc., etc..., rien ne m'étonnerait, car personne plus que moi
n'est convaincu que l'état de siège est capable d'à peu près
tout.
Mais quand on vient m'annoncer qu'il va veiller avec la
sollicitude d'une mère sur la « dignité de la presse », j'en de-
meure profondément interloqué.
Si encore l'on disait : « avec la tendresse d'une bellc-mérc »,
cela pourrait peut-être aller à la grande rigueur.
Cependant, comme je ne suis pas entêté, il me faut bien
me rendre à l'évidence.
Après avoir lu les considérants de l'arrêté qui a suspendu
l'Univers, il ne m'est plus permis et il n'est plus permis à
personne do douter des intentions toutes paternelles de l'état
de siège à l'égard de la presse.
voir désormais notre chère « dignité de la presse »
placée sous l'égide d'une protection aussi puissante — et
surtout aussi inespérée.
Ces considérants sont d'une excessive clarté.
« Le gouverneur de Paris, commandant... etc., etc.
« Attendu que l'Univers, dans son numéro du..., dépasse
« toute mesure, provoque, etc., etc., par d'inqualifiables
« outrages qui sont de nature, etc., etc., trouble la paix
« publique et porte une grave ptteinte à « la dignité do
« la presse française. »
« Arrête... etc , etc..
Pas la moindre ambiguïté, n'est-ce pas?
Il est tout à fait entendu que S. M. l'È%t de siège entend
désormais s'ériger en protecteur de notre dignité compro-
mise.
Qu'il est résolu à ne plus tolérer que les journaux soient
traités comme des établissements indignes, des maisons in-
terlopes, des agences de courses, des repaires suspects.
Et que par tous les moyens en son pouvoir— et Dieu sait
s'il en a un choix à sa diposition — il se fera le soutien, la
sauvegarde, le vengeur de l'honneur des journalistes en
général...
m,
C'est bien là la dernière occupation à laquelle j'aurais
pensé que l'état de siège pût se livrer.
Mais une fois que l'on s'en est étonné, la première chose
que l'on ait à faire est certainement de s'en réjouir.
C'est ce que je fais du fond du cœur. Trop heureux de
Quelques esprits chagrins, je le sais, ont ricané avec ai-
greur en lisant les attendu que du général commandant
l'état de siège.
J'en ai même entendu qui disaient amèrement :
— Eh ! bien... la « dignité de la presse » a là un fichu pro-
tecteur!...
Je n'aime pas cette ingratitude.
— De quel droit — ajoutent ces êtres moroses et intrai-
tables, — de quel droit l'état de siège qui traite depuis quatre
ans les journalistes comme une meute indocile, fouaillant
à droite, cinglant à gauche (à gauche surtout), frappant par-
tout, supprimant ici, suspendant là, sans discussion, sans
jugement... vient-il aujourd'hui nous parler de la « dignité
de la presse », de la presse qu'il humilie lui-même chaque
jour?...
Si la presse, ajoutent-ils, en dépit d'un système de knout
où sombrerait la fierté des âmes les mieux trempées, a
conservé sa dignité, l'état do siège y est-il pour quelque
chose?...
Depuis quand le plus fort qui abuse de sa force pour écra-
ser le plus faible a-t-il le droit de s'occuper do la « dignité «
de celui qu'il accable ?
Et n'cst-il pas risiblo et triste à la fois de voir la « dignité
de la presse » violée depuis quatre ans 'ans les trois quarts
des départements que nous n'avons pas perdus, soutenue
hypocritement aujourd'hui par ceux-là mêmes qui ne l'ont
laissée debout que malgré eux.
$0.
Voilà ce que pensent quelques raisonneurs intraitables,
quelques boudeurs irréconciliables, qui caressent le rêve
malsain de voir la presto resplendir par sa seule indépen-
dance et sans le secours précieux des éperons de l'état de
siège.
Moi, je trouve que ces irrités ont le plus grand tort.
Il ne faut jamais froisser les gens qui vous veulent du bien
par des dédains entêtés.
Le gouvernement nous promet qu'il va protéger de toutes
ses forces la « dignité de la presse. » Acceptons celte promesse
comme un gage do liberté et de justice.
<$>
Car il saute aux yeux de tout le monde quo, du moment
où le septennat prend sous sa protection la « dignité de la
presse, » son premier soin va être rie cesser de traiter la
presse comme une chose « indigne. »
Le gouvernement ne peut p;.s penser un seul instant à
associer son nom à une dignité qu'il continuerait à détruire
lui-même par son arbitraire.
On ne peut être digne sans être libre, et les considérants
très-élevés du récent arrêté de M. le Gouverneur de Paris
nous prouvent surabondamment qu'une nouvelle ère va
s'ouvrir pour nous.
La « dignité de la presse » veut que la presse soit indépen-
dante partout.
La « dignité de lu presse, » enfin, veut que la presse ait do
vrais juges, comme tout le monde.
II faudrait avoir l'esprit bien mal tourné pour ne pas com-
prendre que le gouvernement ne se serait pas avisé de par-
ler de la « dignité de la presse, » s'il n'était à la veille de con-
sacrer lui-même cette dignité dont il se montre si soucieux,
en nous rendant ce qui peut seule l'assurer :
la liberté êt des juges.
Nous devons donc nous attendre à voir paraître incessam-
ment à l'Officiel une note ainsi conçue, ou à peu près :
« Le gouvernement, profondément pénétré de cette vé-
« rité, qu'un homme attaché par les quatre membres, cou-
« ché à terre, le nez dans la poussière, les reins pliés sous le
« genou d'un autre, un fouet sifflant au-dessus do sa tête,
« aurait beaucoup de peine à conserver, dans celte posture,
« la dignité qui est le bien le plus précieux des êtres libres,
* a décidé que, jusqu'à la promulgation de la prochaine loi
« sur la presse, les journaux ne relèveraient plus que des
« tribunaux réguliers, et pourraient paraître sans avoir été
« préalablement demander l'autorisation des chefs de
« corps commandant la circonscription dans laquelle ils se
o publient. »
Pour mon compte, cette décision me semble tellement
inséparable de la nouvelle théorie officielle en matière de
« dignité de la presse, » que j'ai déjà parié quinze boîtes de
londrès qu'elle serait prise avant samedi prochain.
LA CE5SIRE
JUGEE PAR L'INDÉPENDANCE BELGE.
Pauvre caricature ! Malice toute française comme la
chanson, cette caricature chantée, arme joyeuse de bataille,
la caricature des Daumier, des Traviès, des Grandville, est
bien diminuée maintenant. On lui a rogné les ongles comme
à un chat qui griffe, on la tient en laisse comme un chien
qui mord. Une censure tatillonne et étroite ne loi permet
de railler ni « les puissants de quatre jours, « ni les sottises,
ni les abus. On pourra, un jour, écrire l'histoire exacte de
la liberté dont nous jouissons durant les jours que nous
traversons en écrivant l'histoire de nos caricatures. La
plupart des journaux de caricatures publiés à Paris mettent
très-souvent leurs pages en vente avec cette indication pour
tout croquis : Dessin refusé par la censure. Du temps de la
restaurai ion, le Nain jaune paraissait ainsi parfois avec des
pages blanches.
Censure? Il existe donc, pour juger ces dessina, une
sorte d'aréopage de fonctionnaires dans le genre de la com-
mission chargée d'examiner les œuvres dramatiques ? Point
du tout; s'il y a une censure théâtrale, il n y a pas, à pro-
prement parler, de censuro artistique, mais les journaux
n'en sont pas moins soumis à un examen et à des formali-
tés vexatoires. La censure existe, sinon dans la forme, au
moins dans le fond, censure d'autant plus désagréable que
les censeurs improvisés qui l'exercent sont plus souvent
remplacés.
« Voilà bien du bruit pour une omelette au lard ! » disait
ce libre-penseur qui entendait tonner un jour de vendredi
saint. On pourrait dire aussi, en considérant le mécanisme
des différents rouages par lesquels passe un dessin carica-
tural avant d'être autorisé : — « Vci à bien du mouvement
pour un croquis ! » Le dessin est remis, en effet, sous forme
d'esquisse coloriée, au sous-chef de la librairie et de l'im-
primerie du ministère de l'intérieur. Celui ci le transmet à
son chef de bureau. Si le dessin n'a aucune portée politi-
que, ce fonctionnaire se hasarde à prendre sur lui le droit
d'autoriser ou de refuser. Si, au contraire, on peut soup-
çonner en elle la moindre portée politique, l'esquisse est
transmise aussitôt à un chef de division de la prélecture de
police. Le chef de division saisit ensuite de 11 question le
préfet de police lui-même, et, pour ne pas s attirer de désa-
grément, le préfet de police demande à son tour l'avis du
ministre de l'intérieur. Que d'allées et de venues pour quatre
coups de crayon de Gill ! Pendant ce temps, le journal illus-
tré attend patiemment une réponse qui vient avec lenteur.
Certaines réponses demeurent ainsi plus de huit jours en
route, h'actualité, dont vit surtout la caricature, a le temps
de voir pousser à son front des cheveux blancs.
lit que de difficultés pour se faire comprendre par les em-
ployés, dont quelques-uns sont notoirement bonapartistes,
sans compter ceux qui n'entendent pas la plaisanterie et
billèraient d'un trait implacable tout emblème républicain
Ce sont ceux-là qui firent s; isir, voilà deux ans, le journal
El Americano, coupable d'avoir représenté la république de
son pays avec le bonnet phrygien qu'elle porte, là-bas, offi-
ciellement. Les menus détails des vexations qui peuvent,
en ce genre, atteindre la caricature seraient divertissants
mais longs. C'est ainsi que, dans tous les dessins coloriés
des journaux hebdomadaires, la couleur rouge est absolu-
ment proscrite. Le rouge, aux yeux de la censure, est pure-
ment séditieux. Le coquelicot est un rebelle et le ruban
rouge semble lui-même bien hardi.
O liberté d'écrire dont parle le Figaro de Beaumarchais !
tu as depuis longtemps une sœur, qui . st la liberté de
crayonner « sous l'inspection de deux ou trois censeurs ! »
Du temps de M Thiers, on pouvait caricaturer encore.
Depuis M. de Broglie, le crayon est tenu en respect. Quand
nous demandons, au surplus, la liberté de la caricature, ce
n'est pas la liberté do l'insulte, de la calomnie, la liberté de
la boue dont les vainqueurs ont toujours abusé, c'est la li-
berté de l'esprit, de la satire, de la critique ailée et aiguisée.
La guêpe pique, mais voltige; le scorpion rampe et mord.
Mais, sous prétexte d'écraser le scorpion.on a coupé les ailes
à l'insecte rapide,bourdonnant et moqueur! On en est re-
venu à ces temps de l'empire où les censeurs de ce genre
cherchaient avec peisistance, parmi tous les personnages
des petits dessins de l'Illustration, ceux qui, pur hasard, pou-
vaient bien, de près ou de loin, ressembler à l'empereur,
11 fallait alors couper ou rapetisser les moustaches, sous
peine de ne point paraître. Un dessin sur la guerre du Pa-
ragay fut interdit parce qu'un Brésilien mort et couché
dans un coin de la gravure rappelait vaguement les traits
de Napoléon III. »
Jules CLARETIE,
{Indépendance belge.)
LÉON BIENVENU.
BROUTILLES
■■©%©•■
Les savants ont un singulier style :
La semaine dernière, une société scientifique de province,
ayant Organisé une excursion dans la chaîne des Vosges, a
fait publier l'avis suivant dans le journal de la localité :
« On se réunira à la gare de Varangeville-Saint-Nicolas, le
« 10 septembre, à onze heures précises, et Ton ira immédiate-
« ment dans le terrain salifère.... »
Briollet s'est écrié :
— Mais... alors... il sera encore bien plus sale I...
Quoiqu'en quatre gros volumes d'un texte très serré, le
Littré ne contient pas cette définition :
Mélancolib — suis. fèm. — Disposition à la tristesse
qui porte les employés de chemins de fer à confondre les ba-
gages des voyageurs.
* *
La preuve que l'habit ne fait pas le moine, c'est que le
Rappel et la République française sont tous les jours mis en
pages.
4
* * f
Un armurier vient d'inventer une lunette destinée à être
adaptée sur le canon des fusils, pour rendre le tir plus sûr.
Enfin !... voilà assez longtemps que les utopistes se creu-
sent la cervelle pour trouver le moyen de rapprocher les
peuples.
TURLUPIN