L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

f> Août, 1876.

L"ECLIPSE, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE

'.I

L'HOMME DU .70UR

M. D'AUDIFFRET-PASQUIER

Autant le président de la Chambre des députés est
grave, sommeillant et majestueux, autant le prési-
dent du Sénat est vif, pétulant, expansif et familier.
M. d'Audiffret a, pour ainsi dire, trouvé son fauteuil
dans la succession du chancelier Pasquier, et il s'y
assied comme on s'assied, au coin du feu.
dans un fauteuil
de famille. « Pe-
tit, mais tout
nerfs », comme
il est dit dans
le vaudeville :
voilà en peu de
mots son por-
trait. La figure
est longue et
effilée ; le front
est haut, cou-
ronné de che-
veux courts et
taillés en bros-
se; le long des
joues creuses
courent de pe-
tits favoris gri-
sonnants; l'œil
est vif et inter-
rogateur; les
lèvres sont min-
ces et mobiles.
Sa tenue est
celle d'un pro-
priétaire-éle-
veur, d'un
sportsman cam-
pagnard, épris
des mœurs et
des modes an-
glaises. Jaquette de couleur, faux-cols raides et
amples, cravates bleues à pois, parasol et chapeau
gris, tel est le costume qu'affectionne le personnage
qui a pour principale fonction de rappeler à l'ordre
M. de Gavardie. La voix est brève et sèche, ornée
d'un petit sifflement, qui, dans la chaleur du débit,
devient strident comme un cri de guerre. Les bras
sont toujours agités comme les ailes d'un télégraphe
(le télégraphe du nommé Chappe). A son banc de
député M. le ducPasquier ne pouvait tenir en place.
Il allait, venait, trottait, se démenait, se trémous-
sait; aujourd'hui emprisonné dans son fauteuil C'est
sur sa sonnette et son couteau de bois qu'il se venge
de cette immobilité forcée.

Comme homme politique, M. le duc Pasquier est
homme de premier mouvement, et nous devons dire

que le premier mouvement est souvent chez lui ex-
cellent. Au début de sa carrière parlementaire, il
était une des lumières du parti des ducs. Mais il
avait gardé son franc-parler et au moment de la
fusion, il avait lancé quelques épigrammes un peu
vertes sur le roi-capucin que le R. P. Chesnelong
était allé chercher à lu-ôshdorff. Peu à peu, il se dé-
tacha des fanatiques de l'ordre moral, et devint la
bête noire des chevaliers de l'extrême droite. Bref,
M. le duc Pasquier s'est accommodé, d'assez bonne
grâce de la République, et c'est un des rares libéraux-
constitution-
nels qui osent
encore pronon-
cer le mot de li-
berté. Il a bien
ditquelquessot-
tises assez viru-
lentes contre les
républicains et
les radicaux.
C'est une mala-
die à laquelle
un duc ne peut
guère échapper.
Mais il n'a pas
de rancune.
Comme dit cet
autre : c'est un
excellent hom-
me ; quand il
vous a dit des
injures, le dos
tourné, il n'y
pense plus.

Orateur, M.
Pasquier a eu
son jour de
triomphe,et l'on
se souviendra
longtempsde ce
discours dans
lequel il flétris-
sait les gaspillages criminels des ministres de
la guerre de l'Empire, et du cri patriotique qui en
était, la. péroraison : Varus, rends-moi mes légions!
Enfin, M. Pasquier a une vertu qui rachète bien des
défauts : il déteste les Bouapartes, et peu d'hommes
oui été plus que lui éclaboussés par les bavures fé-
tides des plumes à la solde de Chislehurst.

Dernièrement les journaux racontaient que M. le
président du Sénat était obligé de rester chez, lui
par suite d'un petit accident. Dans une conversa-
tion vive et animée il s'était fourré d'ans l'œil un ci-
gare allumé. M. le duc Pasquier estîà tout entier et
l'on serait tenté de dire que ces choses-là n'arrivent
qu'à lui. Il s'est souvent fourré des cigares dans l'œilr
politiquement parlant, mais ces accidents n'ont pas
eu de suites fâcheuses.