366 LIVRE D'OR DE L'EXPOSITION
a une vilaine couieur. Quand ia pipe est garnie, et cela
prend une bonne demi-heure, ie fumeur i'approche de ia
flamme plus vive d'une iampeà esprit-de-vin, etii aspire.
C'est,i'affaire d'une seconde. Après ceia l'abrutissement
commence, accentué par des fasses de thé très alcooiisé et
très aromatisé.
Ce qu'ii a faliu chercher pour arriver à combiner cette
intoxication? ce n'est certes pas une chose toute simple.
De l'avis de tous ceux qui en ont goûté, il est peu de choses
aussi répugnantes, et cependant il ne nous revient pas du
Tonkin un fonctionnaire, qu'il n'ait pris l'habitude de cette
drogue dangereuse. En France, à Paris du moins, ils la
conservent, et c'est à cela que nous devons les deux ou
trois cercles de fumeurs d'opium qui se dissimulent aux
environs du parc Monceaux. Il ne s'agit plus de la pose
romantique des camarades de Théophile Gautier et de
Dcaudelaire à l'hôtel Pimodan, mais de la passion dont
sont envahis de braves bourgeois, percepteurs modèles ou
agents-voyers sans reproche.
Il faut voir aussi les bronzes tonkinois. Les uns sont pour
l'usage religieux, les autres pour les usages les plus pro-
fanes. Parmi les premiers il faut ranger les instruments de
musique, cimbales, gongs, etc., et cela se comprend. R
faut y être forcé par sa religion, pour subir la musique que
produisent ces instruments-là. Mais s'ils ne représentent
qu'une piètre valeur harmonique, ces instruments repré-
sentent un fort intéressant travail artistique. Le seul pro-
cédé employé est le repoussé, le martelage, et les ouvriers
tonkinois obtiennent par ce moyen ingrat, des pièces d'une
décoration très soignée. Les vases profanes eux-mêmes
sont ornés de cette façon.
Les étoffes, dont nous trouvons dans ces flottes de soie
dure, les matières premières, sont une des parties les plus
faibles de l'Exposition tonkinoise. C'est une industrie qui
a dû disparaître devant la concurrence des étoffes impor-
tées. Néanmois, Sa Majesté le roi d'Annam a exposé des
étoffes blanches d'une fabrication parfaite et des tissus de
couleur d'une belle franchise de tons.
Citons encore les ouvrages en bambou, paniers, coffrets,
chapeaux, seaux et manteaux imperméables, et surtout
les curieux traversins, formés de fibres de bambous tendues
entre deux pièces de bois carrées et qui ne manquent pas
du tout de confortable. Après cela, nous aurons fini avec
les productions tonkinoises et annamites proprement dites
et il nous restera à voir l'Exposition de l'Instruction publique
et des Beaux-Arts dans l'Indo-Chine,
Elle est assez maigre, il faut l'avouer. Les Beaux-Arts
sont représentés par quelques bustes de hauts person-
nages d'Annam et du Tonkin et par quatre grandes toiles
de M. Roullet, appartenant au Ministère de la Marine, la
baie d'Halong, la vue d'Haïphong, la ville de Hué, et une
autre vue de la baie d'Halong, te soir.
L'Instruction publique est représentée par les livres de
classe et les cahiers de l'école des interprètes d'Hanoi.
Cette petite exposition, un peu bien en désordre, est plus
qu'intéressante, elle est touchante. Les jeunes Tonkinois,
dont plusieurs sont en ce moment-ci parmi nous, mani-
festenRpour notre pays une chaude et naïve sympathie.
Je voudrais vous donner tout entière, la poésie du jeune
Nguyentan-Tu, âgé de 19 ans, qui après 21 mois d'étude
écrit en annamite, en quoc-nagu, ce qui est l'annamite
vulgaire, en caractère romain, et en français : que la
France est un grand pays civilisateur et qu'ii l'aime.
On peut consulter les cahiers des élèves de ce collège
des interprètes. Les cahiers ont de 12 à 30 mois d'étude,
les résultats sont surprenants et l'on sent bien que l'on se
trouve en présence d'une race essentiellement studieuse.
Du reste ne sont-ils pas, du moins dans les régions offi-
cielles, les sectateurs de ce Confucius qui répandent dans
tout l'extrême Orient une morale administrative si élevée,
et dont les grandes lignes se peuvent formuler ainsi :
i L'éducation est la base de la société.
i Tous ceux qui arrivent au pouvoir doivent sortir du
peuple et obtenir leur grade par l'examen, a
Dans la pratique, ce n'est peut-être pas absolument
cela, mais comme principes, que pourrons-nous apporter
de mieux?
J'allais oublier de curieuses cartes du Tonkin, peintes
sur toile par c Phain-Du-Bach, dessinateur au bureau
topographique des troupes indo-chinoises, p La valeur géo-
graphique de ces cartes est, certes, loin d'égaler celle des
cartes que dresse notre État-major, mais elles sont infini-
ment plus pittoresques. Le long des routes on voit circuler,
comme dans la figuration des drames du boulevard, des
seigneurs, des soldats et des hommes du peuple; les
figures qui animent le paysage sont toutes petites, mais
elles ont une rigoureuse exactitude de costume. Par
exemple un capitaine de tirailleurs annamites mène un
détachement, sur les manches du capitaine et à son képi
on peut compter les galons, de même pour son lieutenant
et, Dieu me pardonne, mais je crois bien avoir pu constater
que l'un des sous-officiers était réengagé. Les deux cartes
exposées par Phain-Du-Bach, sont Tune, la carte d'Hanoï
et ses environs, l'autre celle du Tonkin. Je crois que sur
cette dernière la population tout entière de notre colonie
est représentée.
Une autre représentation topographique est celle de
Tuyen-Quan et de ses environs. Celle-là est en relief et
d'assez grandes proportions pour qu'on puisse très nette-
ment distinguer la citadelle que défendirent si héroïque-
ment Dominé et le sergent Bobillot.
S'il n'a pas eu d'autre utilité, le Tonkin nous a du moins
montré que le sang de France coulait encore souvent dans
des veines de héros.
Sans compter les obscurs dont nul ne dira le nom.
Quelle glorieuse série que celle qui va de Francis Garnier
au petit sergent, en passant par Henri Rivière et Courbet)
Ce dernier n'a du reste pas été oublié et dès qu'on entre
dans le pavillon, on peut apercevoir une couronne en bois
sculpté avec ces mots : t Hommage à Courbet. * Et
certes ce n'est que justice.
LA COCHINCHINE
Chronologiquement, c'est par la Cocbinchine que nous
eussions dû commencer notre visite aux colonies fran-
çaises d'extrême Orient. Mais il faut reconnaître que l'in-
térêt de l'Exposition cochinchinoiseestinfiniment moindre
que celui qu'offre l'Exposition de i'Annam et du Tonkin.
a une vilaine couieur. Quand ia pipe est garnie, et cela
prend une bonne demi-heure, ie fumeur i'approche de ia
flamme plus vive d'une iampeà esprit-de-vin, etii aspire.
C'est,i'affaire d'une seconde. Après ceia l'abrutissement
commence, accentué par des fasses de thé très alcooiisé et
très aromatisé.
Ce qu'ii a faliu chercher pour arriver à combiner cette
intoxication? ce n'est certes pas une chose toute simple.
De l'avis de tous ceux qui en ont goûté, il est peu de choses
aussi répugnantes, et cependant il ne nous revient pas du
Tonkin un fonctionnaire, qu'il n'ait pris l'habitude de cette
drogue dangereuse. En France, à Paris du moins, ils la
conservent, et c'est à cela que nous devons les deux ou
trois cercles de fumeurs d'opium qui se dissimulent aux
environs du parc Monceaux. Il ne s'agit plus de la pose
romantique des camarades de Théophile Gautier et de
Dcaudelaire à l'hôtel Pimodan, mais de la passion dont
sont envahis de braves bourgeois, percepteurs modèles ou
agents-voyers sans reproche.
Il faut voir aussi les bronzes tonkinois. Les uns sont pour
l'usage religieux, les autres pour les usages les plus pro-
fanes. Parmi les premiers il faut ranger les instruments de
musique, cimbales, gongs, etc., et cela se comprend. R
faut y être forcé par sa religion, pour subir la musique que
produisent ces instruments-là. Mais s'ils ne représentent
qu'une piètre valeur harmonique, ces instruments repré-
sentent un fort intéressant travail artistique. Le seul pro-
cédé employé est le repoussé, le martelage, et les ouvriers
tonkinois obtiennent par ce moyen ingrat, des pièces d'une
décoration très soignée. Les vases profanes eux-mêmes
sont ornés de cette façon.
Les étoffes, dont nous trouvons dans ces flottes de soie
dure, les matières premières, sont une des parties les plus
faibles de l'Exposition tonkinoise. C'est une industrie qui
a dû disparaître devant la concurrence des étoffes impor-
tées. Néanmois, Sa Majesté le roi d'Annam a exposé des
étoffes blanches d'une fabrication parfaite et des tissus de
couleur d'une belle franchise de tons.
Citons encore les ouvrages en bambou, paniers, coffrets,
chapeaux, seaux et manteaux imperméables, et surtout
les curieux traversins, formés de fibres de bambous tendues
entre deux pièces de bois carrées et qui ne manquent pas
du tout de confortable. Après cela, nous aurons fini avec
les productions tonkinoises et annamites proprement dites
et il nous restera à voir l'Exposition de l'Instruction publique
et des Beaux-Arts dans l'Indo-Chine,
Elle est assez maigre, il faut l'avouer. Les Beaux-Arts
sont représentés par quelques bustes de hauts person-
nages d'Annam et du Tonkin et par quatre grandes toiles
de M. Roullet, appartenant au Ministère de la Marine, la
baie d'Halong, la vue d'Haïphong, la ville de Hué, et une
autre vue de la baie d'Halong, te soir.
L'Instruction publique est représentée par les livres de
classe et les cahiers de l'école des interprètes d'Hanoi.
Cette petite exposition, un peu bien en désordre, est plus
qu'intéressante, elle est touchante. Les jeunes Tonkinois,
dont plusieurs sont en ce moment-ci parmi nous, mani-
festenRpour notre pays une chaude et naïve sympathie.
Je voudrais vous donner tout entière, la poésie du jeune
Nguyentan-Tu, âgé de 19 ans, qui après 21 mois d'étude
écrit en annamite, en quoc-nagu, ce qui est l'annamite
vulgaire, en caractère romain, et en français : que la
France est un grand pays civilisateur et qu'ii l'aime.
On peut consulter les cahiers des élèves de ce collège
des interprètes. Les cahiers ont de 12 à 30 mois d'étude,
les résultats sont surprenants et l'on sent bien que l'on se
trouve en présence d'une race essentiellement studieuse.
Du reste ne sont-ils pas, du moins dans les régions offi-
cielles, les sectateurs de ce Confucius qui répandent dans
tout l'extrême Orient une morale administrative si élevée,
et dont les grandes lignes se peuvent formuler ainsi :
i L'éducation est la base de la société.
i Tous ceux qui arrivent au pouvoir doivent sortir du
peuple et obtenir leur grade par l'examen, a
Dans la pratique, ce n'est peut-être pas absolument
cela, mais comme principes, que pourrons-nous apporter
de mieux?
J'allais oublier de curieuses cartes du Tonkin, peintes
sur toile par c Phain-Du-Bach, dessinateur au bureau
topographique des troupes indo-chinoises, p La valeur géo-
graphique de ces cartes est, certes, loin d'égaler celle des
cartes que dresse notre État-major, mais elles sont infini-
ment plus pittoresques. Le long des routes on voit circuler,
comme dans la figuration des drames du boulevard, des
seigneurs, des soldats et des hommes du peuple; les
figures qui animent le paysage sont toutes petites, mais
elles ont une rigoureuse exactitude de costume. Par
exemple un capitaine de tirailleurs annamites mène un
détachement, sur les manches du capitaine et à son képi
on peut compter les galons, de même pour son lieutenant
et, Dieu me pardonne, mais je crois bien avoir pu constater
que l'un des sous-officiers était réengagé. Les deux cartes
exposées par Phain-Du-Bach, sont Tune, la carte d'Hanoï
et ses environs, l'autre celle du Tonkin. Je crois que sur
cette dernière la population tout entière de notre colonie
est représentée.
Une autre représentation topographique est celle de
Tuyen-Quan et de ses environs. Celle-là est en relief et
d'assez grandes proportions pour qu'on puisse très nette-
ment distinguer la citadelle que défendirent si héroïque-
ment Dominé et le sergent Bobillot.
S'il n'a pas eu d'autre utilité, le Tonkin nous a du moins
montré que le sang de France coulait encore souvent dans
des veines de héros.
Sans compter les obscurs dont nul ne dira le nom.
Quelle glorieuse série que celle qui va de Francis Garnier
au petit sergent, en passant par Henri Rivière et Courbet)
Ce dernier n'a du reste pas été oublié et dès qu'on entre
dans le pavillon, on peut apercevoir une couronne en bois
sculpté avec ces mots : t Hommage à Courbet. * Et
certes ce n'est que justice.
LA COCHINCHINE
Chronologiquement, c'est par la Cocbinchine que nous
eussions dû commencer notre visite aux colonies fran-
çaises d'extrême Orient. Mais il faut reconnaître que l'in-
térêt de l'Exposition cochinchinoiseestinfiniment moindre
que celui qu'offre l'Exposition de i'Annam et du Tonkin.