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Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 3]): L'art renaissant — Paris: Librarie Plon, 1948

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https://doi.org/10.11588/diglit.71102#0176
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murailles pour conduire ceux qui viendraient. Le génie prophétique
des Toscans trouve en lui son écho, un peu sourd et comme étouffé
par le mysticisme du Nord, mais d'un accent peut-être plus humain.
Îl a l'instinct des harmonies puissantes, l'opaque éclat, l'insistance de
la couleur, mais c'est pour dramatiser la vie, pour donner des ailes
de feu aux anges, pour déployer les violets vineux sur les bleus dégradés
des ciels. La force qu'il tient de sa race à particulariser les types, à
donner aux corps la maigreur et les déviations de la misère, à exprimer
la douleur des visages par le jeu violent de leurs muscles, il l'emploie
à ouvrir les portes de l'enfer. Et sa lourde arabesque, lourde d'entraîner
de vrais membres et de vrais os, pleins de sang et de moelle, elle lui
sert, plutôt qu'à dégager des formes leur sens abstrait, à les pousser
avec la compacte matière et la flamboyante couleur d'un seul mouve-
ment dramatique, à faire peser les cadavres au bout des bras tendus,
à manifester la présence des épaules et des poitrines sous l'épaisseur
des vêtements, à accentuer le désespoir des têtes inclinées dans les
coiffes blanches, à tordre les cous et les mains. Tout pèse et tombe,
les genoux ploient, les fronts se baissent, seul le ferme dessin soutient
ce désespoir au cœur de la vie magnifique, comme un hymne profond
qui descend et qui monte pour bercer les vaincus. Mais la voix a des
accents déchirés. C'est celle d'un mystique. Quelque chose de nouveau
est passé sur les Flandres, a troublé leur paix plantureuse, a dérangé
l'égoïsme de leurs marchands, éventré leurs coffres trop pleins, ouvert
aux vents leurs chambres trop bien closes. Les figures qui s'agenouil-
laient autrefois ou s'asseyaient sur des tapis, au milieu des boiseries
sculptées ou des tentures, marchent maintenant ou s'écroulent sur
des dalles d'églises, s'encadrent du fleurissement compliqué de la der-
nière architecture chrétienne, les clochetons et les pinacles envahissent
de leur décor dentelé la toile où les vitraux répandent l'averse de leurs
rayons.
En Flandre, en France, la même ardeur mystique monte des
manuscrits du même temps. Les processions portant des châsses d'or
se déroulent aux creux des ruelles, des archanges d'or planent sur
les villes ajourées, pignons aigus, clochers grêles, dentelles aériennes,
flèches d'azur et de soleil traversant les vitres étroites des églises et
des maisons. Tous les nerfs de l'artiste vibrent avec la vibration des
cloches, s'exaspèrent de faim, de prière, de rêve, de désespoir. Rien ne
peut exprimer la dernière lueur que jette le manuscrit enluminé au
moment d'entrer en agonie. On dirait que tout le tumulte sensuel du
début de la peinture franco-flamande, tout l'embrasement mystique
de sa fin se sont concentrés sur la page pour y faire éclater leur fan-
fare d'or et de feu. Il flambe comme une verrière. La fournaise infer-
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Jean Van Eyck. Retable du chanoine Van de Paele.
Musée de Bruges. (Cl. Buloz.)
 
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