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Faure, Élie
Histoire de l'art ([Band 3]): L'art renaissant — Paris: Librarie Plon, 1948

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https://doi.org/10.11588/diglit.71102#0235
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d'une sensibilité accessible à tous les spectacles. Tout l'inquiétait
passionnément, la forme des herbes, des bestioles, la mousse des rochers
éclatés sous la poussée patiente des racines, les monstruosités humaines
ou animales, les choses vivantes, les choses inertes, les cuirasses de
fer forgé, les armes, les casques à antennes, les bannières armoriées.
Il exécutait pour les orfèvres, les forgerons, les costumiers, les armu-
riers, les imprimeurs, les libraires, des motifs de décoration. Il écrivait
des traités didactiques. Sa sympathie universelle ne négligeait rien de
ce qu'elle jugeait nécessaire au perfectionnement de son métier et de
son esprit, ni un bout de bois mort, ni un tas de pierres, ni la dispo-
sition de fortune de la clôture d'un champ maintenue avec des cordes,
que les grandes nuées du ciel, les forêts moutonnantes, les lourdes
maternités, les accords mystérieux de la terre et de l'espace ne lui
dissimulaient pas.
Si l'humanité l'intéresse aussi fort qu'un vieil os qui traîne, à
demi rongé, elle ne l'attire pas plus. S'il a signé des portraits tout-
puissants, d'un modelé serré et dur, s'il a vu passer près de lui des
hommes musclés, mal équarris, laids, mais d'âpre élégance, des femmes
au cou gras dont le visage est rond et plein, les cheveux lourdement
tressés, on retrouve dans une écorce d'arbre, un cep de vigne, un roc
émergeant d'un bouquet d'herbes, la même vigueur noueuse, le même
souci de vie totale et dense, le même esprit méticuleux. Pas de ces
courbes audacieuses par qui les Italiens rattachent la forme à la forme,
pas un soupçon de ces passages subtils par qui les Vénitiens ou les
Flamands dénoncent la pénétration incessante de tous les éléments
du monde. Tout est d'importance égale et de prime abord séparé, sans
échos réciproques... Mais chaque chose est tellement fouillée dans sa
forme, tellement saisie dans sa vie intime, chaque détail est tellement
senti par sa vibration personnelle, sa caractéristique imperceptible et
mystérieuse, que tout tremble et tout murmure, qu'une animation
générale et vague fait bouger ce monde précis. On dirait que la nature
est restituée pêle-mêle, dans l'ordre, ou plutôt dans l'absence d'ordre
où elle se présente à nous, que l'homme n'est pas intervenu pour la
ramener au plan humain et exprimer par elle les idées qu'elle vient
de lui révéler, mais qu'il lui demande de chanter seule, par toutes
ses voix innombrables où la voix de l'homme ne compte pas plus ni
moins que les autres, le poème confus qu'elle n'interrompt jamais.
C'est déjà le panthéisme allemand. Il ne paraît pas résulter de l'absorp-
tion du corps universel dans la substance humaine et jaillir d'elle
avec la puissante ivresse rythmique qui fait un poème vivant des
temples hindous ou des cathédrales françaises. Il semble exprimer
l'impuissance d'un être trop armé pour l'analyse, trop fait pour étudier

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