LES EMPREINTES
I
Prenez une tribu quelconque de Nègres ou de Polyné-
siens. Dès les premières heures de votre contact avec
elle, un phénomène vous transporte d'enthousiasme ou
d'indignation. Elle est spontanément artiste. L'homme noir
pratique sans relâche, sans effort, et avec une ardeur qui
touche à la violence, toutes les formes primitives de l'art.
Elles sont son existence même. Il les vit, pour ainsi dire, dans
le geste de chaque jour. Il est, en vérité, ivre de son et de
couleur. Des cadences frénétiques, de brûlantes orgies
visuelles voilent ses yeux, bourdonnent dans sa tête, mêlées
aux odeurs fauves et aux parfums trop lourds. Il scande son
travail et sa marche de récits rythmés et de chants. Des
rangées de cercles d'argent autour de ses bras, de son cou,
de ses jambes, luisent et tintent à chaque pas. Tout pour lui
est prétexte à la musique et à la danse, nubilité, fiançailles,
mariage, funérailles, départ pour la chasse ou la guerre,
fêtes rituelles, repas. Musique, danse où prennent part
toutes les femmes, tous les hommes, tous les enfants de la
tribu. Les industries du ménage, du costume, de la guerre,
de la chasse, ne se séparent pas, dans leurs origines, des
premières et des plus essentielles manifestations de l'art.
Pas un métier qui ne soit l'exercice continu d'un lyrisme
rudimentaire, mais impossible à contenir. Le corroyeur, le
— 65 —
5
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Prenez une tribu quelconque de Nègres ou de Polyné-
siens. Dès les premières heures de votre contact avec
elle, un phénomène vous transporte d'enthousiasme ou
d'indignation. Elle est spontanément artiste. L'homme noir
pratique sans relâche, sans effort, et avec une ardeur qui
touche à la violence, toutes les formes primitives de l'art.
Elles sont son existence même. Il les vit, pour ainsi dire, dans
le geste de chaque jour. Il est, en vérité, ivre de son et de
couleur. Des cadences frénétiques, de brûlantes orgies
visuelles voilent ses yeux, bourdonnent dans sa tête, mêlées
aux odeurs fauves et aux parfums trop lourds. Il scande son
travail et sa marche de récits rythmés et de chants. Des
rangées de cercles d'argent autour de ses bras, de son cou,
de ses jambes, luisent et tintent à chaque pas. Tout pour lui
est prétexte à la musique et à la danse, nubilité, fiançailles,
mariage, funérailles, départ pour la chasse ou la guerre,
fêtes rituelles, repas. Musique, danse où prennent part
toutes les femmes, tous les hommes, tous les enfants de la
tribu. Les industries du ménage, du costume, de la guerre,
de la chasse, ne se séparent pas, dans leurs origines, des
premières et des plus essentielles manifestations de l'art.
Pas un métier qui ne soit l'exercice continu d'un lyrisme
rudimentaire, mais impossible à contenir. Le corroyeur, le
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