Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (8.1860)

MOUVEMENT DES ARTS.

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« Entre Pons et M. Sauvageot, il se rencontrait quelques ressemblances. M. Sauva-
geot, musicien comme Pons, sans grande fortune aussi, a procédé de la môme manière,
par les mômes moyens, avec le môme amour de l'art, avec la môme haine contre ces
illustres riches qui se font des cabinets pour faire une habile concurrence aux mar-
chands. Pour toutes ces œuvres de la Main, pour ces prodiges du travail, Pons se sen-
tait au cœur une avarice insatiable, l'amour de l'amant pour une belle maîtresse, et la
revente, dans la salle de la nie des Jeûneurs (Balzac écrivait ceci en 1846), aux
coups de marteau des commissaires-priseurs, lui semblait un crime de lèse-bric-
à-brac. »

Saisi d'abord par la manie de la chinoiserie, Sauvageot, « qui possédait les trois
éléments du succès : les jambes du cerf, le temps du flâneur et la patience de l'israé-
lite, » abandonna plus tard cette branche de la curiosité à l'un de ses collègues de
l'Opéra, M. Lami, et se livra tout entier à la recherche des débris du Moyen Age et sur-
tout de la Renaissance. A sa mort, ce qui, dans sa collection, ne pouvait être
offert à tous les regards, fut légué par lui à son ami le sculpteur Dantan. En ces temps
heureux, je veux dire jusqu'à ce que le mouvement romantique eût mis les crédences
et les bonnes lames de Tolède à la mode, il put moissonner largement dans des champs
inexplorés. « Il paya 300 francs ces faïences de Henri II qui sont, au moins pmir la
rareté, l'honneur de sa collection, et qui en vaudraient aujourd'hui plus de 50,000.
Quatre-vingt-dix-sept pièces des faïences de Bernard Palissy, estimées en 1856 par les
experts 1 38,110 francs, lui en avaient coûté moins de mille. Ainsi du reste; et l'on lira
bientôt dans ce recueil l'inventaire des richesses qu'il avait ramassées avec autant de
patience que de sûreté de goût1.

Ch. Sauvageot habita longtemps un modeste logement dans le faubourg Poisson-
nière, et c'est là qu'il faisait avec une complaisance exemplaire l'exhibition de ses tré-
sors aux visiteurs qui devinrent peu à peu trop nombreux, et l'obligèrent sur les der-
niers temps à se restreindre à quelques amis intimes. Peu à peu aussi, les infirmités
vinrent ébranler sa robuste constitution. Un jour, des marchands anglais vinrent lui offrir
500,000 fr. de son musée; mais Sauvageot ne put supporter cette idée que ce qu'il
avait mis tant de peine et tant de temps à réunir pouvait se disperser et tomber dans
des mains banales. 11 émit la noble pensée de confier son trésor à son pays, qu'il inté-
resse par une foule de souvenirs historiques uniques au monde, et M. de Nieuwerkerke
eut l'honneur de le décider à le transporter au Louvre de son vivant. La collection fut
estimée 587,812 francs.

Ch. Sauvageot choisit au Louvre des salles magnifiques pour ses précieuses reliques,
accepta le titre de conservateur honoraire, et reçut le ruban de chevalier de la Légion
d'honneur. C'est au Louvre qu'il mourut le 30 mars 1860.

Nous n'eûmes que deux fois l'occasion de visiter M. Ch. Sauvageot. Nous lui por-
tions la photographie, fort intéressante pour lui, d'un miroir presque exactement sem-
blable à celui qu'il a laissé reproduire lourdement en chromolithographie dans le
Moyen Age et la Renaissance, et celle d'un admirable portrait en émail représentant

1. Nous renvoyons le lecteur qui désirerait des détails biographiques plus étendus à la Notice
écrite par M. Le Roux de Lincy en tête du catalogue de cette bibliothèque ; à un article
anecdotique de M. Jules Lecomte dans le Monde illustré du 7 avril 1860; à un autre article de
M. Clément de Ris dans le Moniteur du 20 avril 1860, et enfin à un excellent catalogue publié
par notre collaborateur M. A. Darcel, dans les Annales d'archéologie de Didron, année 18.V.).