TITIEN A LA GALERIE DE FLORENCE
Un artiste dont on ne se fait pas, chez nous, une idée tout à fait juste,
c'est Titien. Pour celui-là, il ne suffit pas même de l'avoir vu chez lui,
à Venise, dans toute la splendeur d'une souveraineté nationale et incon-
testée, il faut l'avoir cherché au milieu de ses pairs, dans le voisinage
redoutable des Léonard, des Raphaël, des Rubens, des "Van Dyck, des
Rembrandt, dans les musées de Dresde*, de Madrid, de Rome; à Florence
surtout, au sein de cette grande école toscane où le génie grec a refleuri
dans sa grâce sévère et son idéale beauté.
Je l'avoue, je n'étais pas sans crainte en me rappelant mon admi-
ration d'autrefois : enthousiasme de jeune fille, pensais-je, prédilection
d'enfant pour l'opulence et l'éclat de la couleur ; séduction des sens, qui
va se dissiper au contrôle d'un esprit mûri par l'étude ; et déjà je pleu-
rais mes illusions perdues; et déjà je prenais le deuil, pensant ne plus
retrouver le beau Titien, chéri de ma jeunesse. Je l'ai retrouvé grandi
par la comparaison, supérieur à presque tous , calme dans la conscience
de sa force ; sans crainte d'aucun jugement, comme en ce jour de verve
orgueilleuse où, renvoyant à des nonnes impertinentes un tableau qu'elles
n'estimaient pas assez bon, il répétait, sans autre argumentation, le mot
fecit à la suite de sa signature : Tizinno Vecellio fccil fecit.
Des portraits, rien que des portraits, cela suffit pour marquer à
Titien, dans les galeries de Florence, un rang parmi les premiers peintres
du monde. Entre les portraitistes proprement dits, entre les imagiers de
la noble créature faite à l'image de Dieu, il occupe, sans contredit, la
première place. Personne ne l'égale dans le sentiment de la vie, dans
l'expression de cette diversité presque infinie de caractère, de mouve-
1. Ces quelques pages sont détachées d'une suite de lettres que Daniel Stern pré-
pare sur l'Italie septentrionale, lettres danû lesquelles la question d'art trouvera natu-
rellement une large place.
Un artiste dont on ne se fait pas, chez nous, une idée tout à fait juste,
c'est Titien. Pour celui-là, il ne suffit pas même de l'avoir vu chez lui,
à Venise, dans toute la splendeur d'une souveraineté nationale et incon-
testée, il faut l'avoir cherché au milieu de ses pairs, dans le voisinage
redoutable des Léonard, des Raphaël, des Rubens, des "Van Dyck, des
Rembrandt, dans les musées de Dresde*, de Madrid, de Rome; à Florence
surtout, au sein de cette grande école toscane où le génie grec a refleuri
dans sa grâce sévère et son idéale beauté.
Je l'avoue, je n'étais pas sans crainte en me rappelant mon admi-
ration d'autrefois : enthousiasme de jeune fille, pensais-je, prédilection
d'enfant pour l'opulence et l'éclat de la couleur ; séduction des sens, qui
va se dissiper au contrôle d'un esprit mûri par l'étude ; et déjà je pleu-
rais mes illusions perdues; et déjà je prenais le deuil, pensant ne plus
retrouver le beau Titien, chéri de ma jeunesse. Je l'ai retrouvé grandi
par la comparaison, supérieur à presque tous , calme dans la conscience
de sa force ; sans crainte d'aucun jugement, comme en ce jour de verve
orgueilleuse où, renvoyant à des nonnes impertinentes un tableau qu'elles
n'estimaient pas assez bon, il répétait, sans autre argumentation, le mot
fecit à la suite de sa signature : Tizinno Vecellio fccil fecit.
Des portraits, rien que des portraits, cela suffit pour marquer à
Titien, dans les galeries de Florence, un rang parmi les premiers peintres
du monde. Entre les portraitistes proprement dits, entre les imagiers de
la noble créature faite à l'image de Dieu, il occupe, sans contredit, la
première place. Personne ne l'égale dans le sentiment de la vie, dans
l'expression de cette diversité presque infinie de caractère, de mouve-
1. Ces quelques pages sont détachées d'une suite de lettres que Daniel Stern pré-
pare sur l'Italie septentrionale, lettres danû lesquelles la question d'art trouvera natu-
rellement une large place.