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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 17.1864

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Nr. 5
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Leclercq, Émile: Expositions de Cartons à Bruxelles
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https://doi.org/10.11588/diglit.18740#0478

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EXPOSITION DE BRUXELLES. Z|63

comme sous un voile sacré. Ils ont un art à eux, qui n’est ni l’art grec, ni l’art italien,
ni l’art flamand, et qu’on pourrait nommer architecture parlante.

Mais si l’Allemagne se plaît dans les allégories, les rébus et les hiéroglyphes, est-ce
une raison pour que la Belgique se plonge dans ces mystérieuses combinaisons où le
vrai sens de l’art finit par se perdre?

L’art flamand est caractéristique; il a sa grandeur et sa signification; il parle une
langue compréhensible, non-seulement aux Belges, mais à tous les peuples du monde.
C’est une de nos gloires, et peut-être la plus pure de toutes. Croit-on que si l’on
greffe cet art local avec l’art allemand, on obtienne des fruits plus savoureux et plus
sains? Trouve-t-on peut-être que nous sommes en décadence, et qu’il est nécessaire de
nous retremper à une école robuste qui redonne à notre virilité le sang qu’elle a perdu?
Mais quoi de plus robuste et de plus sain que notre école flamande? D’ailleurs, déca-
dence, dans les arts, on l’oublie trop souvent, c’est transition. Il faut laisser faire,
abandonner l’esprit à lui-même, fùt-ce dans la nuit : pendant qu’il se cherche, il réflé-
chit; mais si on lui donne forcément un guide, il finira — l’esprit est faible — par
n’écouter que ce guide et par perdre la conscience de son individualité.

A mon avis, les gouvernements devraient rester neutres lorsqu’il s’agit d’art. Les
encouragements officiels donnés aux masses n’ont pas seulement une grande influence
comme idée sociale, ils pèsent aussi très-lourdement sur le style et la pensée des
artisles. Ainsi, depuis quelques années, des commandes considérables ont été faites à
nos peintres, et nos monuments religieux et civils commencent à se couvrir partout de
fresques : c’est déjà un résultat obtenu par l’art allemand. La première exposition de
cartons a eu pour effet d’éveiller l’ambition — ou la vanité — de nos peintres, et de
stimuler le patriotisme de nos gouvernants. Or, après avoir organisé l’exposition des
cartons allemands, en I 859, si le gouvernement belge a commandé des fresques, n’a-t-il
pas semblé dire : « Vous avez vu comment nos savants voisins formulent leurs pensées;
vous avez étudié leur style; vous connaissez leurs procédés; tâchez d’arriver à cette
hauteur d’expression, et je serai content de vous? »

Si le gouvernement n’a pas parlé ainsi, je me trompe fort; car il est certain que
nos artistes ont compris qu’il fallait travailler selon l’esthétique allemande pour histo—
rier nos édifices. Déjà nous avons un groupe de peintres tout germains, qui ne jurent
que par Cornélius, Overbeeck et Kaulbach; qui singent leur manière et font des efforts
immenses pour arriver à s’accrocher à un pli de leurs manteaux; qui composent des
rébus; qui font de belles hachures avec du fusain sur du papier gris. L’invasion alle-
mande, préparée de longue date par quelques peintres d’histoire très-malins, est faite
aujourd’hui. Et cette annexion par l’esthétique, quoiqu’elle soit étrange, n’en est pas
moins déshonorante pour nous.

L’art flamand a eu deux périodes magnifiques : la première commence aux van
Evck et finit à Franz Floris; la seconde comprend l’école de Rubens. Deux gloires
pures, à la fois nationales et humaines. Quel exemple! et comment peut-il laisser aveu-
gles des hommes intelligents? La poésie épique a-t-elle un peintre plus grandiose que
Rubens? La candeur, la pureté, la sincérité ont-elles des interprètes plus charmants
et plus respectables que les van Eyck, les Memling, lesStuerbout, les van der Wevden?
Quel peintre au monde a plus aimé la grâce et la distinction que van Dyck? Quel a
mieux représenté la vie et la santé que Jordaens? Ce sont là nos véritables aïeux, et,
quelle que soit la gloire des maîtres allemands, elle est bien pâle à côté de celle des
maîtres flamands qui ont illustré le quinzième, le seizième et le dix-septième siècle.
 
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