Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 22.1867

DOI Heft:
Nr. 2
DOI Artikel:
Bulletin mensuel
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19883#0218

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
BULLETIN MENSUEL.

207

suprême d’un génie que l’âge n’avait pu affaiblir. On le voit, la Gazelle des Beaux-
Arts, tout en accueillant dans un esprit libéral les manifestations les plus diverses de
l’art ancien et moderne, a regardé presque comme un devoir de rendre au génie
d’Ingres un hommage périodique. Ces hommages sont des titres. Il m’était permis de
les rappeler à cette heure critique où la disparition du plus grand peintre de l’École
contemporaine va la jeter plus que jamais dans les périls et les aventures.

Trop de preuves attestent chaque jour rabaissement du grand art, pour qu’il soitpos-
sible de douter d’une vérité désormais banale. Le mois écoulé nous a apporté un témoi-
gnage de plus. Je veux parler du pavillon Denon, dont l’inauguration, annoncée pour le
15 août dernier, a été reculée jusqu’en 1867. On sait que ce pavillon sépare et réunit
les deux grandes galeries de l’École française. Si l’architecte du Louvre de Napo-
léon III avait songé le moins du monde a faire un musée, c’était là l’emplacement
naturel d’un salon consacré aux chefs-d’œuvre français des xvne et xvmc siècles.
Mais on n’a rien prévu. Les dispositions extérieures, indépendantes de toute idée pré-
conçue, s’imposent comme une gêne à tous les aménagements futurs. Au dehors, le
pavillon Denon est un énorme massif de pierre, un somptueux motif d’architecture,
partie importante d’un vaste ensemble. Les frontons, les statues, lès ornements qui le
décorent semblent annoncer une destination monumentale. Au dedans, c’est un simple
passage. Tant d’apparat ne sert qu’à déguiser un membre inutile.

Si encore on y avait logé un escalier! Mais non. Dans un musée où la place est si
précieuse que la moitié des tableaux restent au grenier, le pavillon Denon s’ouvre
béant et vide entre deux galeries trop pleines. En vain y a-t-on prodigué les peintures
et les décorations, tout ce luxe, dépensé en pure perte, n’arrive pas à le meubler. On
a essayé d’accrocher aux murs quatre toiles de Le Brun. Elles demeurent invisibles.
Cependant la lumière pénètre par douze hautes croisées. Mais elle n’éclaire que la
voûte : la salle proprement dite est vouée aux ténèbres. D’épaisses tentures de velours
vert interceptent le peu de jour que pourraient lui donner les trois fenêtres basses, et
une corniche proéminente arrête les rayons qui voudraient descendre d’en haut. Il
était difficile de rencontrer, même pour une antichambre, un ensemble de conditions
plus défavorables.

Si, du fond de ce puits, on regarde au-dessus de sa tête, le spectacle le plus
étrange vous aveugle, sans vous éblouir. La corniche, qui supporte un balcon, est
ruolzée de tous les tons de l’or. Aux quatre angles, des colonnes d’une forme particu-
lière supportent quatre bustes, dont on n’aperçoit, comme de juste, que le dessous du
menton, le dessous du nez et le dessous de l’arcade sourcilière, ce qui ne rend pas
les reconnaissances faciles. Derrière, quatre touffes, ou plutôt quatre forêts de lauriers
gigantesques s’élèvent en haut-relief le long des encoignures, entourant quatre aigles
d’or dont les serres étreignent quatre globes de l’outremer le plus violent Cet outre-
mer, ces ors blancs, jaunes et cuivrés, le velours vert des tentures, le sang-de-bœuf
des murs, tout cela forme une cacophonie de couleurs indescriptible. Ajoutez-y un
immense camaïeu qui se déploie au sommet de la calotte, « un camaïeu mordoré »,
suivant la désignation officielle. En effet, on croirait voir un tapis de cuir accroché
sous la voûte, comme si l’expérience journalière ne nous apprenait que le cuir, même
mordoré, se porte en bottines et non pas en chapeau, et que les tapis sont faits pour
être foulés aux pieds et non suspendus sur la tète.

Deux innovations caractérisent le pavillon Denon : la nuance mordorée, et les
angles récalcitrants. Au moment de se rejoindre, les murs des pieds-droits semblent
 
Annotationen