DOI Heft:
Nr. 3
DOI Artikel:Decamps, Louis: Correspondance, [1]
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.21410#0287
CORRESPONDANCE
A Monsieur le Rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts.
Mon cher ami.
uand vous avez appris que l’exposition rétrospective ouverte à Bruxelles
par la Société néerlandaise de bienfaisance venait de s’enrichir de plu-
sieurs tableaux appartenant à M. le vicomte Bernard du Bus de Gysignies,
dont la riche collection, d’un accès assez difficile, a été formée exclusi-
vement par le connaisseur le plus compétent, — j’ai nommé M. Étienne Le Roy, —
vous avez tenu à ce que la Gazelle s’occupât à nouveau de cette si intéressante exhi-
bition, et, ne pouvant quitter Paris, vous m’avez prié de faire le voyage et de vous
remplacer. Lors de votre séjour en Belgique, vous aviez entendu dire qu’un remanie-
ment avec épuration était prochain, et vous vous étiez empressé do mettre une forte
sourdine à la clef de vos critiques, vous faisant la douce illusion que l’on comprendrait
à demi-mot vos conseils et que l’on tiendrait à les mettre à profit. En âme charitable,
je m’empresse de vous détromper. Il y avait de l’ivraie lors de votre venue, il y en
a un peu plus aujourd’hui, voilà l’exacte vérité ; et dans l’intérêt même des expo-
sitions rétrospectives, l’un des plus utiles enseignements que-je sache, je suis d’avis
qu’il faut parler de celle-ci en toute franchise.
Il est impossible de déployer plus de zèle qu’on ne l’a fait dans l’intérêt des infor-
tunes que secourt en Belgique la Société néerlandaise ; la légation des Pays-Bas a
fait plus quo patronner l’entreprise, elle s’est mise en quatre, et le ministro, M. de
Lansberge, n’a eu littéralement ni trêve ni repos pour assurer le succès financier qui
est très-réel. J’ai été heureux de constater qu il n y a qu une voix pour rendre justice
à tant de dévouement; mais au point de vue artistique on est loin, très-loin d’être
aussi unanime, et l’on a parfaitement raison.
En effet, une seconde exposition rétrospective organisée dans de semblables con-
ditions refroidirait beaucoup, et pour longtemps, à l’endroit de ce genre d’exhibitions ;
leur grande utilité, leur influence considérable, résident uniquement dans le choix rigou-
reux des œuvres qui y sont admises. Songer à ne réunir que des chefs-d’œuvre serait
absurde; mais n’admettre que des œuvres de belle qualité, d’une authenticité et d’une
pureté indiscutables, voilà ce qui est de première nécessité, sinon d’un côté vous
VIII. — 2e PÉRIODE. 35
A Monsieur le Rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts.
Mon cher ami.
uand vous avez appris que l’exposition rétrospective ouverte à Bruxelles
par la Société néerlandaise de bienfaisance venait de s’enrichir de plu-
sieurs tableaux appartenant à M. le vicomte Bernard du Bus de Gysignies,
dont la riche collection, d’un accès assez difficile, a été formée exclusi-
vement par le connaisseur le plus compétent, — j’ai nommé M. Étienne Le Roy, —
vous avez tenu à ce que la Gazelle s’occupât à nouveau de cette si intéressante exhi-
bition, et, ne pouvant quitter Paris, vous m’avez prié de faire le voyage et de vous
remplacer. Lors de votre séjour en Belgique, vous aviez entendu dire qu’un remanie-
ment avec épuration était prochain, et vous vous étiez empressé do mettre une forte
sourdine à la clef de vos critiques, vous faisant la douce illusion que l’on comprendrait
à demi-mot vos conseils et que l’on tiendrait à les mettre à profit. En âme charitable,
je m’empresse de vous détromper. Il y avait de l’ivraie lors de votre venue, il y en
a un peu plus aujourd’hui, voilà l’exacte vérité ; et dans l’intérêt même des expo-
sitions rétrospectives, l’un des plus utiles enseignements que-je sache, je suis d’avis
qu’il faut parler de celle-ci en toute franchise.
Il est impossible de déployer plus de zèle qu’on ne l’a fait dans l’intérêt des infor-
tunes que secourt en Belgique la Société néerlandaise ; la légation des Pays-Bas a
fait plus quo patronner l’entreprise, elle s’est mise en quatre, et le ministro, M. de
Lansberge, n’a eu littéralement ni trêve ni repos pour assurer le succès financier qui
est très-réel. J’ai été heureux de constater qu il n y a qu une voix pour rendre justice
à tant de dévouement; mais au point de vue artistique on est loin, très-loin d’être
aussi unanime, et l’on a parfaitement raison.
En effet, une seconde exposition rétrospective organisée dans de semblables con-
ditions refroidirait beaucoup, et pour longtemps, à l’endroit de ce genre d’exhibitions ;
leur grande utilité, leur influence considérable, résident uniquement dans le choix rigou-
reux des œuvres qui y sont admises. Songer à ne réunir que des chefs-d’œuvre serait
absurde; mais n’admettre que des œuvres de belle qualité, d’une authenticité et d’une
pureté indiscutables, voilà ce qui est de première nécessité, sinon d’un côté vous
VIII. — 2e PÉRIODE. 35