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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 16.1877

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Nr. 2
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Bonnaffé, Edmond: À propos d'un passage de Plutarque, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.21845#0145

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136

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

s’attacher une âme pure et qui se rappelle son origine1 ». Mais j’imagine
que vous faites exception pour les tableaux et les statues qui parlent de
vous et célèbrent vos mérites.

D’ailleurs n’êtes-vous pas bien exigeants? Vous comptez, à raison,
parmi les écrivains les plus raffinés, vous êtes les plus fameux ciseleurs
et damasquineurs de périodes, des coloristes achevés en beau style, des
peintres et des sculpteurs en littérature. Vous trouvez bon de faire de
l’art pour votre compte ; souffrez donc que les autres usent de la même
liberté. Est-ce que l’art au bout de la plume serait différent de l’art au
bout du pinceau ou de l’ébauchoir? aurait-il un monopole de vertu et
d’innocence ?

Vous professez que la pratique de la sagesse est incompatible avec
la pratique des beaux-arts, et qu’en polissant une statue, comme disait
l’un des vôtres1 2, on ne peut également polir son âme. Il y a temps
pour tout. Puen n’empêche qu’un grand artiste soit un modèle de
vertu; l’homme qui s’élève sans relâche vers les régions hautes, à la
recherche du beau qui est la splendeur du vrai, trouvera dans son art,
n’en doutez pas, un enseignement égal aux meilleures leçons de la phi-
losophie. Quant à savoir quelle est son influence au dehors, quel profit
la moralité humaine peut tirer de ses œuvres, il est permis de croire
qu’une madone de Fra Angelico, une cathédrale gothique, une Pietà de
Michel-Ange, ont opéré autant de conversions que toute la phraséologie
de votre répertoire. « Raphaël, disait Diderot3, est aussi éloquent sur la
toile que Bossuet dans la chaire; » cela est vrai. Raphaël a même un
avantage : c’est un prédicateur permanent, toujours en chaire. Le monu-
ment, l’image, pénètrent, instruisent, convainquent à la longue, par
l’habitude journalière, inconsciente; la langue qu’ils parlent est univer-
selle, à la portée de tous, du vulgaire comme du savant; tous les peuples
l’entendent sans interprète. Il me semble que voilà des collaborateurs
que vous traitez bien cavalièrement ; Platon, votre maître, tenait un autre
langage quand il associait les grands artistes à la moralisation de leurs
concitoyens4.

Vous assurez que l’art est une invention du luxe, une sécrétion des
civilisations faisandées. Gela était bon à dire de votre temps; la science
moderne y regarde de plus près. En fouillant les profondeurs préhisto-
riques, en descendant dans ces cavernes où l’homme primitif disputait à

1. Senec. Consol. ad Helviam.

2. Voir plus haut : Lucien, Discours de la sagesse.

3. Essai sur les règnes de Claude et de Néron, p. 4to.

4. Voir plus haut.
 
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