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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 6
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Bonnaffé, Edmond: Physiologie du curieux, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0519
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PHYSIOLOGIE DU CURIEUX.

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des compliments homicides. Il sait son répertoire par cœur; c’est un
toréador raffiné, il massacre artistement.

Peu d’enthousiasme chez les autres, voilà sa profession de foi ordi-
naire; chez lui, tous les œufs ont deux jaunes, comme disent les Pro-
vençaux.

Il faut un moral solide, une-grande chaleur de conviction chez le
néophyte pour résister à ces douches courtoises et glaciales. Avec le
temps on s’y fait, on se bronze, on finit par acquérir la foi du charbon-
nier, et l’on bêche à son tour sans remords les plates-bandes du voisin.

La passion de la curiosité est complexe : elle comprend le désir de
posséder pour soi-même, le désir de posséder pour les autres, et le
désir d’empêcher les autres de posséder. Suivez Maxime à l’hôtel Drouot;
il ne regarde même pas l’objet dont il a le plus envie, il le dédaigne; il
laissera dire, au besoin il dira lui-même qu’il est restauré, suspect,
médiocre. Si le concurrent persiste et qu’il faille lui céder, eh bien, on
luttera jusqu’au bout, on lui fera payer le double, le triple; le vain-
queur saura du moins ce que lui coûte la victoire. Parfois l’amateur ren-
contre en voyage, chez un particulier, une pièce excellente qu’il n’est
pas assez riche pour acquérir et qu’un rival est en train de marchander.
Comment l’évincer à coup sûr? bien n’est plus simple : il suffit de dire
à l’oreille du propriétaire que sa pièce est sans égale et vaut dix fois le
prix qu’on lui offre; le procédé réussit toujours. C’est ce qu’on appelle,
en argot de la curiosité, clouer un objet.

Vous achetez une œuvre excellente, vous l’installez chez vous, vous
lui donnez la place d’honneur, vous en parlez à vos amis; on s’empresse,
on vous félicite, on admire, — autant qu’un amateur peut admirer. —
Quinze jours, un mois se passent, on est blasé; les Athéniens se fatiguent
d’entendre toujours nommer Aristide le Juste. L’objet n’a pas changé de
place, il est là, on le sait, cela suffit. D’abord on lui faisait la révé-
rence en entrant, bientôt la révérence fait place au bonjour amical ;
aujourd’hui révérence et bonjour sont supprimés; à quoi bon se mettre
en frais pour un vieil ami de la maison, pour un habitué? on ne le salue
même pas.

Un beau matin, l’ami disparaît; on apprend qu’il est vendu, que
Fabiano l’a acheté. Immédiatement l’objet se transforme, il redevient une
merveille; un changement de main suffit pour opérer la métamorphose.
Et chacun accourt chez Fabiano : quel conquérant que ce Fabiano ! Ces
bonnes fortunes n’arrivent qu’à lui.—Cela dure ainsi un mois, quelque-
fois deux.

XXI. — 2" PÉRIODE.

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