JOURNAL DU VOYAGE DU CAVALIER RERNIN EN FRANCE, 261
de commander le carrosse du roi entre trois et quatre. Pendant que nous
avons été là ensemble, l’abbé m’a dit que le Cavalier irait voir la coupe de
Mignard, qui réussissait fort bien, ayant profité de l’avis que le Cavalier lui
avait donné de faire plus grande, comme la principale partie de la gloire
de paradis qu'il disposait dans cette coupe, une Trinité qu’il ne faisait voir
dans son premier dessein que dans un lointain où l’on ne la discernait
presque pas, et lui avait dit qu’il devait la faire porter sur une nue qui des-
cendrait vis-à-vis des principales figures, ce que Mignard avait heureuse-
ment exécuté. Je dis à l’abbé, que ç’avait été moi qui avais le plus servi à
lui faire avoir cette occasion1, ayant été appelé parla Reine-Mère, quand
on opina qui l’on choisirait; que j’avais dit qu’il fallait que l’ouvrage fût à
fresque, et qu’il en avait la pratique plus qu’aucun autre, outre que Le Brun
relevait de maladie.
Je suis allé faire quelques visites durant la méridienne du Cavalier. Au
retour il m’a dit qu’il attendait Madame, mais que peut-être ne viendrait-elle
pas, et qu’il perdrait ainsi toute son après-dînée. Je suis allé chez S. A. R.,
qui, à dire vrai, ne songeait pas à venir. Mme d’Angoulême2 était avec elle.
Lui ayant dit que le Cavalier s’attendait qu’elle devait venir voir le buste,
elle m’a dit qu’elle y allait, qu’aussi bien n’avait-elle que faire l’après-dînée,
et qu’elle l’allait dire à Monsieur, et, de fait, elle lui est allée dire. Monsieur
m’a demandé quand il verrait le dessein de cette cascade. J’ai répondu qu’on
le peignait devant le Cavalier et m’en suis venu devant avertir le Cavalier.
J’ai trouvé avec lui M. le maréchal de Gramont, qui a loué le buste avec exa-
gération, ce qui m’a fait juger que l’air du bureau était favorable. A l’arrivée
de Madame, qui s’est fait porter en chaise, le Cavalier l’est allé recevoir. Elle
lui a fait bien de l’accueil. A l’entrée de la salle, elle a témoigné être sur-
prise de la grande ressemblance du buste dans tous les aspects qu’elle l’a
regardé, et toutes les dames qui étaient avec elle. S. A. R. a trouvé aussi
l’ouvrage du signor Paul extrêmement beau. Le Cavalier s’est étudié de dire
à Madame les choses les plus obligeantes qu’il a pu, donnant à sa beauté des
louanges extrêmes, tant pour la noblesse et délicatesse des traits que pour
la vivacité dont ils sont animés. Il a dit qu’elle avait de grandes grâces à
rendre à Dieu de celles qu’il lui avait données dans le visage et dans l’esprit.
Il a répété la même pensée qu’il avait dite à la Reine, qui est, qu’ayant le
Roi dans le cœur, elle trouvait sa ressemblance partout.
Après que Madame a été sortie, nous sommes allés au Val-de-Grâce, le
Cavalier, son fds, l’abbé Butti, M. du Metz, mon frère et moi, et arrivés nous
sommes montés sur le palque3 pour voir la coupe de Mignard que nous avons
trouvé là. Le Cavalier, l’ayant très longtemps considérée et en différents
lieux, a dit que c’est un très bel ouvrage et qu’on pouvait presque dire qu’un
peintre qui n’avait point peint de coupe n’était pas tout à fait peintre ; que
cet ouvrage était riche sans confusion. 11 a dit la difficulté qu’il y a dans ces
grands ouvrages, où il faudrait, s’il se pouvait, des pinceaux d’une aune de
1. C’est-à-dire à procurer cette peinture à Mignard.
2. Françoise de Nargonne, veuve depuis 1650 du fils naturel de Charles IX et de Marie
Touchet, Charles de Valois, que Louis XIII avait créé duc d’Angoulême en 1G20.
3. Palque, échafaud; de l’italien, palco.
de commander le carrosse du roi entre trois et quatre. Pendant que nous
avons été là ensemble, l’abbé m’a dit que le Cavalier irait voir la coupe de
Mignard, qui réussissait fort bien, ayant profité de l’avis que le Cavalier lui
avait donné de faire plus grande, comme la principale partie de la gloire
de paradis qu'il disposait dans cette coupe, une Trinité qu’il ne faisait voir
dans son premier dessein que dans un lointain où l’on ne la discernait
presque pas, et lui avait dit qu’il devait la faire porter sur une nue qui des-
cendrait vis-à-vis des principales figures, ce que Mignard avait heureuse-
ment exécuté. Je dis à l’abbé, que ç’avait été moi qui avais le plus servi à
lui faire avoir cette occasion1, ayant été appelé parla Reine-Mère, quand
on opina qui l’on choisirait; que j’avais dit qu’il fallait que l’ouvrage fût à
fresque, et qu’il en avait la pratique plus qu’aucun autre, outre que Le Brun
relevait de maladie.
Je suis allé faire quelques visites durant la méridienne du Cavalier. Au
retour il m’a dit qu’il attendait Madame, mais que peut-être ne viendrait-elle
pas, et qu’il perdrait ainsi toute son après-dînée. Je suis allé chez S. A. R.,
qui, à dire vrai, ne songeait pas à venir. Mme d’Angoulême2 était avec elle.
Lui ayant dit que le Cavalier s’attendait qu’elle devait venir voir le buste,
elle m’a dit qu’elle y allait, qu’aussi bien n’avait-elle que faire l’après-dînée,
et qu’elle l’allait dire à Monsieur, et, de fait, elle lui est allée dire. Monsieur
m’a demandé quand il verrait le dessein de cette cascade. J’ai répondu qu’on
le peignait devant le Cavalier et m’en suis venu devant avertir le Cavalier.
J’ai trouvé avec lui M. le maréchal de Gramont, qui a loué le buste avec exa-
gération, ce qui m’a fait juger que l’air du bureau était favorable. A l’arrivée
de Madame, qui s’est fait porter en chaise, le Cavalier l’est allé recevoir. Elle
lui a fait bien de l’accueil. A l’entrée de la salle, elle a témoigné être sur-
prise de la grande ressemblance du buste dans tous les aspects qu’elle l’a
regardé, et toutes les dames qui étaient avec elle. S. A. R. a trouvé aussi
l’ouvrage du signor Paul extrêmement beau. Le Cavalier s’est étudié de dire
à Madame les choses les plus obligeantes qu’il a pu, donnant à sa beauté des
louanges extrêmes, tant pour la noblesse et délicatesse des traits que pour
la vivacité dont ils sont animés. Il a dit qu’elle avait de grandes grâces à
rendre à Dieu de celles qu’il lui avait données dans le visage et dans l’esprit.
Il a répété la même pensée qu’il avait dite à la Reine, qui est, qu’ayant le
Roi dans le cœur, elle trouvait sa ressemblance partout.
Après que Madame a été sortie, nous sommes allés au Val-de-Grâce, le
Cavalier, son fds, l’abbé Butti, M. du Metz, mon frère et moi, et arrivés nous
sommes montés sur le palque3 pour voir la coupe de Mignard que nous avons
trouvé là. Le Cavalier, l’ayant très longtemps considérée et en différents
lieux, a dit que c’est un très bel ouvrage et qu’on pouvait presque dire qu’un
peintre qui n’avait point peint de coupe n’était pas tout à fait peintre ; que
cet ouvrage était riche sans confusion. 11 a dit la difficulté qu’il y a dans ces
grands ouvrages, où il faudrait, s’il se pouvait, des pinceaux d’une aune de
1. C’est-à-dire à procurer cette peinture à Mignard.
2. Françoise de Nargonne, veuve depuis 1650 du fils naturel de Charles IX et de Marie
Touchet, Charles de Valois, que Louis XIII avait créé duc d’Angoulême en 1G20.
3. Palque, échafaud; de l’italien, palco.