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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sur une large et libre interprétation de la nature, hardiment sim-
plifiée sous l’empire d’une idée maîtresse. Tous les chefs-d’œuvre
authentiques sont, à ce point de vue, riches en révélations et reste-
ront éternellement, pour les artistes avisés et sincères, des conseillers
écoutés et féconds.
Je ne rencontre jamais une de ces trop nombreuses académies,
que nous envoie chaque année l’Ecole néo-classique, sans penser à
ces tête-à-tète de Millet avec le chef-d’œuvre de l’art grec. Il est à
craindre, en effet, que nos professeurs n’aient pas très bien compris
le rôle des Maîtres dans l’éducation artistique et que, avec les meil-
leures intentions du inonde et les plus nobles visées, ils n’aient, dans
une large mesure, contribué à tarir les sources de l’art qu’ils
prétendaient préserver. Dans la très incomplète étude que nous
avons faite des tendances de l’art moderne et du conflit des esthétiques
rivales, nous avions négligé de parler de cette Ecole néo-classique,
qui tient encore tant de place au Salon. Quelques-unes des œuvres
exposées et une polémique récente nous fournissent l’occasion de
nous expliquer à ce sujet.
Un professeur, qui doit à son titre de membre de l’Institut une
grande autorité dans l’Ecole, M. Boulanger, vient justement de
prendre publiquement la parole pour revendiquer les droits du haut
enseignement, tel qu’il le conçoit. Dans une brochure, dont on a
parlé, il signale à ses élèves 1 les dangers de cette « nouvelle esthé-
tique, basée sur la vulgarité, proscrivant toute poésie, émanation de
l’esprit bourgeois ». L’honorable académicien s’élève avec énergie
contre les tendances modernes, dont le caractère « particulier » et
« sans précédents dans l’histoire » serait de 11e « s’appuyer que sur
des négations », et il adjure ses disciples « d’être les prêtres du
Beau, de ce Beau dont l’expression souveraine est le corps humain,
la dernière et la plus parfaite des choses créées ». Quant aux doc-
trines hétérodoxes, il n’est pas loin de les traiter comme un délit.
E11 même temps qu’il publiait ce pathétique appel, M. Boulanger,
pour ajouter à ses conseils théoriques l’autorité d’un exemple,
envoyait au Salon les deux tableaux qu’011 y peut admirer : la
Mère des Gracques et un Porteur d'eau juif.
La querelle rajeunie par M. Boulanger est bien vieille et n’est
pas près de finir : chaque Salon la ramène et longtemps encore nous
la verrons renaître. On aurait peut-être quelque chance de s’entendre
1. T nos élèves (Imprimerie Lahure).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sur une large et libre interprétation de la nature, hardiment sim-
plifiée sous l’empire d’une idée maîtresse. Tous les chefs-d’œuvre
authentiques sont, à ce point de vue, riches en révélations et reste-
ront éternellement, pour les artistes avisés et sincères, des conseillers
écoutés et féconds.
Je ne rencontre jamais une de ces trop nombreuses académies,
que nous envoie chaque année l’Ecole néo-classique, sans penser à
ces tête-à-tète de Millet avec le chef-d’œuvre de l’art grec. Il est à
craindre, en effet, que nos professeurs n’aient pas très bien compris
le rôle des Maîtres dans l’éducation artistique et que, avec les meil-
leures intentions du inonde et les plus nobles visées, ils n’aient, dans
une large mesure, contribué à tarir les sources de l’art qu’ils
prétendaient préserver. Dans la très incomplète étude que nous
avons faite des tendances de l’art moderne et du conflit des esthétiques
rivales, nous avions négligé de parler de cette Ecole néo-classique,
qui tient encore tant de place au Salon. Quelques-unes des œuvres
exposées et une polémique récente nous fournissent l’occasion de
nous expliquer à ce sujet.
Un professeur, qui doit à son titre de membre de l’Institut une
grande autorité dans l’Ecole, M. Boulanger, vient justement de
prendre publiquement la parole pour revendiquer les droits du haut
enseignement, tel qu’il le conçoit. Dans une brochure, dont on a
parlé, il signale à ses élèves 1 les dangers de cette « nouvelle esthé-
tique, basée sur la vulgarité, proscrivant toute poésie, émanation de
l’esprit bourgeois ». L’honorable académicien s’élève avec énergie
contre les tendances modernes, dont le caractère « particulier » et
« sans précédents dans l’histoire » serait de 11e « s’appuyer que sur
des négations », et il adjure ses disciples « d’être les prêtres du
Beau, de ce Beau dont l’expression souveraine est le corps humain,
la dernière et la plus parfaite des choses créées ». Quant aux doc-
trines hétérodoxes, il n’est pas loin de les traiter comme un délit.
E11 même temps qu’il publiait ce pathétique appel, M. Boulanger,
pour ajouter à ses conseils théoriques l’autorité d’un exemple,
envoyait au Salon les deux tableaux qu’011 y peut admirer : la
Mère des Gracques et un Porteur d'eau juif.
La querelle rajeunie par M. Boulanger est bien vieille et n’est
pas près de finir : chaque Salon la ramène et longtemps encore nous
la verrons renaître. On aurait peut-être quelque chance de s’entendre
1. T nos élèves (Imprimerie Lahure).