TABLEAUX DE MAITRES ANCIENS.
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entr’ouverte, est d’une vérité si prochaine qu’on est tenté d’oublier
l’artiste. Plus vivant encore, un autre Portrait d’homme, inachevé. La
figure sort de la toile et va parler, les yeux pétillent d’intelligence
et d’humour. C'est le debater aisé, l’homme d’expérience et d’activité
pratique, prompt à l’action, prompt à la riposte; quelle vision rapide
et quelle prestesse de pinceau !
Auprès de ces évocations caractérisques, le Portrait du duc de
Richelieu semble superficiel et d’une facture beurrée. Dès qu’il n’est
plus dans son élément génuine et spécialement anglais, Lawrence a
des faiblesses étranges. Son observation est limitée, comme son art,
à ce qu’il a d’ordinaire sous les yeux et pour ainsi dire au bout des
doigts.
Non moins anglais, mais d’une tout autre façon, par la fantaisie
illimitée, par les violences qu’il fait à la nature, Turner a rêvé un
pays idyllique qui n’est pas l’Arcadie de Poussin, qui serait peut-être
celle de Shakespeare. C’est un beau rêve. A ne le considérer que
comme tache lumineuse, ce paysage est singulièrement séduisant
avec ses verts et ses orangées imprégnés de soleil, son azur laiteux
réfléchi dans les eaux, ses gouttes de ciel dormant entre deux berges
et ses horizons noyés où s’estompent des promontoires. En face de
ces tempéraments singuliers il faut faire un acte de foi, croire ou ne
pas croire. Il est assez doux de croire.
Goya lui non plus ne supporte pas la tiédeur. Génie excentrique
et macabre, impressionnable à l’excès, toujours vibrant, soit qu’il
évoque des cauchemars, soit qu’il exprime des réalités truculentes,
il étonne par la variété de ses créations. Dans la Course de taureaux,
la facture heurtée juxtapose les tons vifs avec une hardiesse sur-
prenante. Le couteau promené en pleine pâte jette nerveusement des
indications sommaires ; les couleurs éclatent dans leur fraîcheur
virginale. Tout s’agite d’un mouvement forcené dans ce fouillis de
personnages, dont le double courant enveloppe et maîtrise l’élan
du taureau. Sur le fond vague où s’étagent les gradins, les étoffes
brillent, les corps se précipitent, les figures grimacent, un large
ruban de couleurs se déroule sur l’arène; l’impression est soudaine
et de toute justesse. Et comme ce talent s’affine et s’assouplit à
l’occasion. La Jeune femme à la rose n’est pas une inconnue pour
le public. On avait admiré déjà le joli contraste d’un regard souriant
et d’une bouche sérieuse, la mutinerie contenue des lèvres et 1a.
flamme qui couve en ces grands yeux noirs. Cela est fait de rien; des
tons rabattus, des reflets jouant sur des étoffes claires ; et c’est une
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entr’ouverte, est d’une vérité si prochaine qu’on est tenté d’oublier
l’artiste. Plus vivant encore, un autre Portrait d’homme, inachevé. La
figure sort de la toile et va parler, les yeux pétillent d’intelligence
et d’humour. C'est le debater aisé, l’homme d’expérience et d’activité
pratique, prompt à l’action, prompt à la riposte; quelle vision rapide
et quelle prestesse de pinceau !
Auprès de ces évocations caractérisques, le Portrait du duc de
Richelieu semble superficiel et d’une facture beurrée. Dès qu’il n’est
plus dans son élément génuine et spécialement anglais, Lawrence a
des faiblesses étranges. Son observation est limitée, comme son art,
à ce qu’il a d’ordinaire sous les yeux et pour ainsi dire au bout des
doigts.
Non moins anglais, mais d’une tout autre façon, par la fantaisie
illimitée, par les violences qu’il fait à la nature, Turner a rêvé un
pays idyllique qui n’est pas l’Arcadie de Poussin, qui serait peut-être
celle de Shakespeare. C’est un beau rêve. A ne le considérer que
comme tache lumineuse, ce paysage est singulièrement séduisant
avec ses verts et ses orangées imprégnés de soleil, son azur laiteux
réfléchi dans les eaux, ses gouttes de ciel dormant entre deux berges
et ses horizons noyés où s’estompent des promontoires. En face de
ces tempéraments singuliers il faut faire un acte de foi, croire ou ne
pas croire. Il est assez doux de croire.
Goya lui non plus ne supporte pas la tiédeur. Génie excentrique
et macabre, impressionnable à l’excès, toujours vibrant, soit qu’il
évoque des cauchemars, soit qu’il exprime des réalités truculentes,
il étonne par la variété de ses créations. Dans la Course de taureaux,
la facture heurtée juxtapose les tons vifs avec une hardiesse sur-
prenante. Le couteau promené en pleine pâte jette nerveusement des
indications sommaires ; les couleurs éclatent dans leur fraîcheur
virginale. Tout s’agite d’un mouvement forcené dans ce fouillis de
personnages, dont le double courant enveloppe et maîtrise l’élan
du taureau. Sur le fond vague où s’étagent les gradins, les étoffes
brillent, les corps se précipitent, les figures grimacent, un large
ruban de couleurs se déroule sur l’arène; l’impression est soudaine
et de toute justesse. Et comme ce talent s’affine et s’assouplit à
l’occasion. La Jeune femme à la rose n’est pas une inconnue pour
le public. On avait admiré déjà le joli contraste d’un regard souriant
et d’une bouche sérieuse, la mutinerie contenue des lèvres et 1a.
flamme qui couve en ces grands yeux noirs. Cela est fait de rien; des
tons rabattus, des reflets jouant sur des étoffes claires ; et c’est une