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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 3.1890

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Nr. 1
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Courajod, Louis: La part de la France du Nord dans l'oeuvre de la Renaissance, 3
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https://doi.org/10.11588/diglit.24447#0090

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

du style antique que pendant le xiv3 siècle. L’Italie n’a jamais été plus insouciante,
ni peut-être plus ignorante du style antique qu’à la veille du jour qu’on appelle
l’avènement de la Renaissance. L’Italie, en même temps, a connu dans ses provinces
du Nord, notamment à Florence et à Venise, une Renaissance dont aucun élément
n’est emprunté à l’antiquité classique; et cette Renaissance participe du style
international de l’art européen tel qu’il fut pratiqué en France, en Flandre et en
Allemagne dès le milieu du xiv' siècle. Celte Renaissance particulière, — sœur et
sœur cadette des autres Renaissances que le Nord de l’Europe possédait avant ou
concurremment avec l’Italie, — cette Renaissance n’a pas vu le jour à Rome et
ne s’est ralliée que fort tard au principe de l’imitation du style antique.

La Renaissance vénitienne est là pour prouver que l’art gothique pouvait se
régénérer tout seul, môme en Italie, c’est-à-dire précisément dans le pays do
l’Europe où l'art gothique avait été le moins heureux et le moins florissant. On peut
remarquer, au Museo Cioico de Bologne, les charmantes sculptures des tombeaux
des professeurs de l’Université de celte ville exécutées les unes vers 1383, d’autres
au commencement du xve siècle, par des artistes vénitiens. Dans l’examen de ces
monuments, on constate l’existence d'un art nouveau, bien différent de la vieille
École pisane et qui n’est pas autre chose que l’épanouissement de l’esprit de la
Renaissance sous des formes restées encore extérieurement gothiques. C’est préci-
sément en cela que consiste l’originalité de Venise. Jusque vers 1460 et même plus
tard, elle a continué à pratiquer et à professer toutes les doctrines de l’art
émancipé et échappé à la férule de l’École giottesque; elle a continué à parler la
langue de la Renaissance, mais sans renoncer à la grammaire et à l’orthographe
gothiques.

Il avait suffi à cette école de s’émanciper. Une fois libre, elle n’éprouva pas
immédiatement le besoin de tendre le cou à un nouveau joug, celui de l’antique.
Ses rapports avec ses arts septentrionaux la rendirent longtemps réfractaire à une
inoculation trop rapide et trop complète du virus, du vaccin grec et romain. Cette
période de transition, dont parle Burckhardt, et qui est l’aurore de la Renaissance
sans ruines et sans archéologie, cette période de transition, passagère seulement
à Florence, à Sienne et à Rome, se perpétua près d’un siècle à Venise.

A oilà le secret de la longue jeunesse et de la robuste santé de l’art vénitien, de
cet art italien privilégié qui a survécu, non seulement au xive siècle, mais à
presque toutes les décadences nationales de la péninsule. Tout venait chez lui de la
souche primitive; et la grande sève du moyen âge n’avait pas été tout d’un coup
arrêtée dans son cours ni desséchée par lu vent de l’antiquité. Oui, l’art véni-
tien fut émancipé aussi tôt que les autres arts, ses rivaux des autres provinces
italiennes. Sa veine épuisée fut ranimée comme celle des autres arts italiens ;
mais son propre sang ne fut pas brûlé par la transfusion trop complète du sang
échauffé de l’art classique.

L’art vénitien connut la Renaissance, sans avoir à subir presque immédiate-
ment 1 invasion de l’influence antique; son développement spontané, normal et
régulier, à la fin du xiv° siècle et pendant les trois premiers quarls du xvJ siècle,
permet d’aflîrmer que l’art gothique pouvait naturellement passer à la Renaissance
et que le mouvement universel d’opinion qui fonda notre art moderne n’est pas
partout, et même en Italie, sorti, comme le prétendu vampire florentin, des ruines
et des tombeaux.
 
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