Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 3.1890)

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GAZETTE DES BEAUX ARTS.

nale et propriétaire à Asnières », manifeste au ministre de l’Intérieur,
comte de Montalivet, l’intention d’écrire des vers sur l’Arc de
triomphe, « fidèle à son habitude de célébrer, au nom de la garde
nationale, toutes les fêtes et les inaugurations des monuments que nous
procurent la sagesse de notre roi et son amour pour les beaux-arts *».
Plus audacieux encore, le sieur Bajot fait insérer au Moniteur une
inscription en vers latins à graver au mur de l’édifice 2. Ainsi, dans
tous les milieux, les imaginations se débrident. C’est un étrange
concert, où domine, certainement, la note néo-bonapartiste, mais où
l’éloge de Louis-Philippe revient, à tout propos, comme un refrain
obligé.

Parmi le peuple, on est comme dans l’attente de grands événe-
ments heureux. Il semble que l’inauguration de l’Arc doive être le
signal d’on ne sait quelles prospérités nouvelles. Le dimanche, des
attroupements de promeneurs se forment autour des palissades non
encore arrachées, qui enserrent les chantiers, gardés par un poste de
soldats, et des cris, parfois, s’élèvent : « Vive Napoléon ! vive le Roi ! »
Au nombre des promeneurs souvent on a vu Rude, inconnu de la
foule et causant avec sa femme, l’œil toujours fixé vers le pan de
muraille où sommeille encore son œuvre. Depuis qu’il a donné au
bloc, désormais vivant, ses derniers coups de ciseau, des craintes
l’ont obsédé. S’il s’était trompé ! S'il était resté au-dessous de son
but! S’il allait ne pas trouver en ses géants cette force de mouve-
ment, cette ampleur d’enthousiasme qu’il a tout fait pour leur
assurer! Le suffrage de ses confrères, tous émus d’admiration le jour
où le haut-relief s’est dépouillé de ses échafaudages, ce suffrage ne lui
suffît pas. C’est son propre témoignage qu’il lui faut, — et il doute de
lui-même. Mme Rude, revenant plus tard sur ces souvenirs avec la
douce mélancolie delà vieillesse, disait : « Je ne l’ai jamais vu si tour-
menté. Lui, si calme d’ordinaire, il ne pouvait tenir en place. L’Arc
de triomphe l’attirait invinciblement et il me répétait, d’un ton si
triste, en longeant les Champs-Elysées : Ce serait trop beau d’être capable
de rendrece qu’on sent! Il n’y aque cela d’enviable. Le reste ne comptepas...
J’osais lui parler de ses succès, de sa gloire. Il me répondait : La
gloire n’est due qu’aux maîtres. Je serai content si l'on dit de moi, quand
je serai mort : C’était vraiment un honnête homme dans son art... »

■1. Archives nationales, Lettre du 18 juin 1830.

2. « Surgit ail aslra, gigantœis onerata triumphis.

Arx quœ, Martis opus, surgit comitante Pliilippo. »