Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 3.1890)

402

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

était beau, et désirable même en dehors de l'esprit et de la passion de
la collection. C’est pour atteindre ce but que Piot se décida à publier
le Cabinet de l’Amateur. La presse fut le premier moyen employé
par lui pour préparer la révolution qu’il méditait.

Au début de l’entreprise, sans brutaliser du premier coup l’opi-
nion, Piot prit la curiosité au point où elle se trouvait alors, avec la
ferme intention de la transformer. « Il y a mille occasions, disait-
il, dont profite un homme de goût. Les chances sont infinies comme
la variété des objets. Sans compter les tableaux, les statues et les
estampes, n’y a-t-il pas les ivoires, les camées, les gravures ou pierres
fines, les émaux, les nielles, l’orfèvrerie ancienne, les cannes (sic),
les tabatières, les éventails, les vases de tout pays, les épées, les
armures, jusqu’aux pagodes de l’Inde et aux fétiches du sauvage, tout
un monde, toute une science, tout un art complet? » En même temps
il manifeste très nettement ses intentions pour l’avenir. Ce qu’il
veut, c’est relever, raisonner et ennoblir aux yeux des gens du monde
la pratique de l’exercice de leurs propres penchants; ce qu’il pour-
suit, c’est le recrutement pour la grande armée de l’art et de la
science des irréguliers et des francs-tireurs qui manquent de direc-
tion et de commandement. Et il termine ainsi son programme: « Nous
tâcherons de réduire à l’état de science exacte ce qui n’est encore
chez beaucoup d’amateurs qu’une occupation do penchant et d’ins-
tinct; et, en faisant l’histoire, l’esthétique et la théorie de ce qu’on
appelle la Curiosité, nous nous efforcerons d’ajouter une pierre à ce
vaste monument qui, de longtemps encore, ne sera achevé : l’Histoire
de l'Art. »

Je manque ici d’espace pour pouvoir expliquer par le menu de
quelle façon Eugène Piot a, par la direction et la publication du
Cabinet de l'Amateur, tenu parole aux engagements renfermés dans
son programme. Si le directeur de cette Revue avait eu plus do
lumières personnelles sur l’art du Moyen Age, dont les plus hautes
manifestations, aussi bien que l’esprit et le sens intime, lui restèrent
malheureusement fermées ', on pourrait dire que les promesses ont
été non seulement remplies mais encore dépassées. Les quatro
volumes du Cabinet de l’Amateur, publiés de 1842 à 1846, contiennent

1. Voyez notamment les arlieics publiés par lui en 1878 dans la Gaulle des
Beaux-Arts où il a livré le secret de sa faiblesse. Piot ne pénétra profondément
que l'antiquité et la Renaissance classique italienne. Pour lui « la France et sa
littérature sont filles de la Grèce et de Home, sœurs de l’Espagne et de l’Italie ».
Cabinet de tAmateur, 18(11, p. 118.