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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 3.1890

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Nr. 6
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Mabilleau, Léopold: Le salon du Champ de Mars, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.24447#0522

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LE SALON DU CHAMP DE MARS.

479

En quoi consiste l’ensorceleuse poésie qui émane de ce tableau?
pourquoi ne peut-on pas s’y attarder sans se sentir envahi par une
mélancolie si enivrante et si douce qu’on songe à Fénelon disant :
« Malheur à qui n’a pas senti ses yeux se mouiller lorsqu’il lisait
Virgile ! » pourquoi aussi, dans cet attendrissement, surgit-il aus-
sitôt un besoin d’oubli, un regret amer, un dégoût de la vie, et com-
ment se fait-il que l’enchantement s’achève en tristesse découragée ?

Je ne saurais le dire, mais ce n’est pas, à coup sûr, de la physio-
nomie ni de l’aspect des personnages que se dégagent ces sentiments
ineffables : au contraire de M. Meissonier, M. Puvis de Chavannes
ne demande aucune indication précise à la figure humaine. Hommes
ou femmes, enfants ou vieillards ne révèlent dans leurs traits impas-
sibles et leurs gestes équilibrés que la conscience de la grâce et la
sérénité de la pensée. L’arrangement même de leur costume n’a
aucune signification expressive : la nudité antique s’y mêle au vête-
ment moderne de manière à accuser la portée idéale de l’œuvre par
le dédain du détail indifférent. Ce qu’il faut que nous comprenions et
sentions par-dessus tout, c’est que nous sommes en présence d’artistes
cherchant à extraire de la nature l’intime beauté qu’elle recèle. Il
faut qu’ils soient jeunes, car la jeunesse est l’âge des amours désin-
téressées et de la foi triomphante, — et il faut qu’ils soient déjà désa-
busés de la passion brutale qui troublerait leur âme. Aussi, est-ce à
la tombée du jour, en cet automne qui est le déclin de l’année, que
le poète les rassemble, pensifs et graves, dans un rêve d’art. La
note de l’impression est donnée par cette lumière pure et pourtant
voilée, par cet air fluide et pâle, « imprégné de divinité », comme dit
Platon, par les teintes décolorées de ces robes qui semblent tissées
avec des pétales de fleurs mortes, par ces carnations translucides et
éteintes qui donnent l’illusion d’une vie spectrale et encore harmo-
nieuse...

Tout cela est aussi impossible à formuler nettement que la poésie
elle-même; mais ouvrez les Méditations de Lamartine, vous qui n’a-
vez pas le tableau devant les yeux, relisez le «Vallon » et vous sentirez
se glisser dans votre âme quelque chose de la secrète et mélancolique
douceur que j’ai vainement essayé de traduire.

Ce n’est point moi qui ai préparé ces contrastes, c’est l'ordre
même suivi par la Société nationale dans l’énumération de ses plus
illustres membres qui m’amène à parler maintenant des envois de
M. Carolus Duran. Sept portraits dont trois au moins sont de tout
premier ordre, et de plus une figure nue chargée de prouver que la
 
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