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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
allégorique de la Vie humaine! N’en pouvant pas admirer de près la belle exécu-
tion, nous nous sommes plu à en admirer la composition. Que ne peignez-vous la
vie d’une nation comme celle de l’individu! L’ombre de Frédéric le Grand repré-
senterait, caractériserait les Prussiens, et cette ombre, errant parmi des ruines,
offrirait un tableau digne de votre génie. »
Sept ans après, lorsque les vicissitudes sanglantes de la guerre
eurent amené les alliés à Paris, c’est Humboldt qui sert de négocia-
teur entre le roi de Prusse, demandant son portrait au « peintre des
rois », et le peintre lui-même.
« Paris, 18-14.
« Mon cher ami et mon maître, le roi de Prusse, vous demande la permission
de poser chez vous à midi, aujourd’hui samedi. J’espère que cela ne vous dérangera
pas. Mille amitiés.
« H. »
D’ailleurs Humboldt se fait auprès de Gérard l’introducteur
d’un grand nombre d’étrangers de distinction que la paix avait
amenés à Paris. Presque aussi Français qu’Allemand, le grand natu-
raliste pouvait mieux que personne aplanir les difficultés qui, dans
ces conjonctures délicates, entravaient parfois la reprise des rela-
tions privées. Les billets adressés vers cette époque à Gérard témoi-
gnent de la dextérité diplomatique de Humboldt en ces sortes d’af-
faires. Ils contiennent, en outre, certains traits assez piquants sur
l’état d'esprit des ultra-royalistes d’alors. : ainsi ces quelques lignes
sur le zèle réactionnaire d’un fameux mathématicien :
« Cauchy a proposé hier, dans un comité secret, de purger la Bibliothèque de
l’Institut de tous les livres qui insultaient les majestés divines et royales; il a
menacé Voltaire, Rousseau, et il s’est déchaîné surtout contre la Guerre des dieux... »
Ou encore :
« Vous savez que la duchesse de Berry et Castel-Cicala (ministre de Naples à
Paris), ont dénoncé Forbin auprès du roi pour l’impiété et l’hérésie politique de
son livre; on lui a d’abord voulu ordonner la suppression de ce qui reste de l’édi-
tion; Forbin a eu hier là-dessus une conférence avec M. de Blacas; il paraît que,
pour le moment, la faveur d’être victime et illustré par la persécution ne l’amuse
pas. Plus tard, ce sera utile au livre. »
Ou encore les plaisantes erreurs de lady Morgan qui, après avoir
visité l’atelier de Gérard, confondait ses œuvres avec celles de ses
rivaux :
« Vous avez eu la bonté de lui montrer cet Achille qui est resté invisible à vos
plus zélés admirateurs; elle l’attribue au jeune Guérin; c’est lui aussi qui a fait le
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
allégorique de la Vie humaine! N’en pouvant pas admirer de près la belle exécu-
tion, nous nous sommes plu à en admirer la composition. Que ne peignez-vous la
vie d’une nation comme celle de l’individu! L’ombre de Frédéric le Grand repré-
senterait, caractériserait les Prussiens, et cette ombre, errant parmi des ruines,
offrirait un tableau digne de votre génie. »
Sept ans après, lorsque les vicissitudes sanglantes de la guerre
eurent amené les alliés à Paris, c’est Humboldt qui sert de négocia-
teur entre le roi de Prusse, demandant son portrait au « peintre des
rois », et le peintre lui-même.
« Paris, 18-14.
« Mon cher ami et mon maître, le roi de Prusse, vous demande la permission
de poser chez vous à midi, aujourd’hui samedi. J’espère que cela ne vous dérangera
pas. Mille amitiés.
« H. »
D’ailleurs Humboldt se fait auprès de Gérard l’introducteur
d’un grand nombre d’étrangers de distinction que la paix avait
amenés à Paris. Presque aussi Français qu’Allemand, le grand natu-
raliste pouvait mieux que personne aplanir les difficultés qui, dans
ces conjonctures délicates, entravaient parfois la reprise des rela-
tions privées. Les billets adressés vers cette époque à Gérard témoi-
gnent de la dextérité diplomatique de Humboldt en ces sortes d’af-
faires. Ils contiennent, en outre, certains traits assez piquants sur
l’état d'esprit des ultra-royalistes d’alors. : ainsi ces quelques lignes
sur le zèle réactionnaire d’un fameux mathématicien :
« Cauchy a proposé hier, dans un comité secret, de purger la Bibliothèque de
l’Institut de tous les livres qui insultaient les majestés divines et royales; il a
menacé Voltaire, Rousseau, et il s’est déchaîné surtout contre la Guerre des dieux... »
Ou encore :
« Vous savez que la duchesse de Berry et Castel-Cicala (ministre de Naples à
Paris), ont dénoncé Forbin auprès du roi pour l’impiété et l’hérésie politique de
son livre; on lui a d’abord voulu ordonner la suppression de ce qui reste de l’édi-
tion; Forbin a eu hier là-dessus une conférence avec M. de Blacas; il paraît que,
pour le moment, la faveur d’être victime et illustré par la persécution ne l’amuse
pas. Plus tard, ce sera utile au livre. »
Ou encore les plaisantes erreurs de lady Morgan qui, après avoir
visité l’atelier de Gérard, confondait ses œuvres avec celles de ses
rivaux :
« Vous avez eu la bonté de lui montrer cet Achille qui est resté invisible à vos
plus zélés admirateurs; elle l’attribue au jeune Guérin; c’est lui aussi qui a fait le