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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sarcophages de style et de marbre grec trouvés à Ayaa ne sont le
produit d’un art indigène. Si l’hellénisme, c’est-à-dire le goût des
choses grecques, avait pénétré à Sidon dès le ive siècle, nous savons
par les inscriptions qu’encore en plein 111e siècle un Phénicien qui
voulait se procurer une statue un peu soignée était obligé de s’adresser
à Rhodes. A plus forte raison en eut-il été ainsi à l’époque plus
reculée d’où datent les plus beaux de nos sarcophages. La vérité
est que ces monuments ont été les uns exécutés sur commande par
des artistes étrangers, les autres, arrachés de leur emplacement
primitif à la suite de cataclysmes politiques inconnus ; transportés
par le commerce à Sidon, ils y ont été ré-utilisés après coup comme
les gaines égyptiennes dont nous venons de parler : ce sont des
cercueils d’occasion, mais dont le choix fait honneur au goût éclairé
des princes ou des grands de Sidon.
Tous ces sarcophages, il est vrai, ne sont pas ornés de bas-reliefs
où intervient la figure humaine; tous n’en sont pas moins des œuvres
d’art accomplies. Ce qui distingue précisément le sarcophage grec du
sarcophage romain, dont plus d’un millier d’exemplaires encombrent
les musées d’Italie, c’est que chez ce dernier le bas-relief est tout, la
forme du monument rien, ou peu de chose. Supprimez par la pensée
la scène mythologique qui remplit sa face extérieure et parfois la
déborde, vous n’avez plus qu’une cuve de marbre informe, bonne à
renvoyer au praticien. Au contraire le sarcophage grec, destiné le
plus souvent à être exposé en plein air et vu de tous les côtés, est
essentiellement une œuvre d’architecture ; elle vaut par elle-même,
, par la juste proportion des parties, l’élégance des lignes, la netteté
des profils et des moulures ; la décoration plastique, si admirable
qu’elle soit parfois, n’est qu’un accessoire qui peut manquer ou se
réduire à quelques rinceaux, à une frise purement ornementale,
sans que le monument lui-même cesse de satisfaire l’esprit et de
charmer l’œil. La forme constante de ces sarcophages est celle d’un
temple : le mort qui repose dans la cuve en marbre n’est-il pas un
héros, presque un dieu ? Mais si l’artiste a reproduit dans son aspect
général le temple grec, le naos encadré de pilastres ou de colonnes,
avec son entablement robuste, son fronton triangulaire et les tuiles
de marbre de son faîtage, il s’est bien gardé d’en reproduire tous
les détails ni même tous les rapports : l’art grec ignorait la super-
stition des copies mathématiques, dont la servilité infidèle trahit les
œuvres qu’elle prétend traduire, et à force de conserver la lettre tue
l’esprit. Chaque dimension possède en réalité son canon déterminé.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
sarcophages de style et de marbre grec trouvés à Ayaa ne sont le
produit d’un art indigène. Si l’hellénisme, c’est-à-dire le goût des
choses grecques, avait pénétré à Sidon dès le ive siècle, nous savons
par les inscriptions qu’encore en plein 111e siècle un Phénicien qui
voulait se procurer une statue un peu soignée était obligé de s’adresser
à Rhodes. A plus forte raison en eut-il été ainsi à l’époque plus
reculée d’où datent les plus beaux de nos sarcophages. La vérité
est que ces monuments ont été les uns exécutés sur commande par
des artistes étrangers, les autres, arrachés de leur emplacement
primitif à la suite de cataclysmes politiques inconnus ; transportés
par le commerce à Sidon, ils y ont été ré-utilisés après coup comme
les gaines égyptiennes dont nous venons de parler : ce sont des
cercueils d’occasion, mais dont le choix fait honneur au goût éclairé
des princes ou des grands de Sidon.
Tous ces sarcophages, il est vrai, ne sont pas ornés de bas-reliefs
où intervient la figure humaine; tous n’en sont pas moins des œuvres
d’art accomplies. Ce qui distingue précisément le sarcophage grec du
sarcophage romain, dont plus d’un millier d’exemplaires encombrent
les musées d’Italie, c’est que chez ce dernier le bas-relief est tout, la
forme du monument rien, ou peu de chose. Supprimez par la pensée
la scène mythologique qui remplit sa face extérieure et parfois la
déborde, vous n’avez plus qu’une cuve de marbre informe, bonne à
renvoyer au praticien. Au contraire le sarcophage grec, destiné le
plus souvent à être exposé en plein air et vu de tous les côtés, est
essentiellement une œuvre d’architecture ; elle vaut par elle-même,
, par la juste proportion des parties, l’élégance des lignes, la netteté
des profils et des moulures ; la décoration plastique, si admirable
qu’elle soit parfois, n’est qu’un accessoire qui peut manquer ou se
réduire à quelques rinceaux, à une frise purement ornementale,
sans que le monument lui-même cesse de satisfaire l’esprit et de
charmer l’œil. La forme constante de ces sarcophages est celle d’un
temple : le mort qui repose dans la cuve en marbre n’est-il pas un
héros, presque un dieu ? Mais si l’artiste a reproduit dans son aspect
général le temple grec, le naos encadré de pilastres ou de colonnes,
avec son entablement robuste, son fronton triangulaire et les tuiles
de marbre de son faîtage, il s’est bien gardé d’en reproduire tous
les détails ni même tous les rapports : l’art grec ignorait la super-
stition des copies mathématiques, dont la servilité infidèle trahit les
œuvres qu’elle prétend traduire, et à force de conserver la lettre tue
l’esprit. Chaque dimension possède en réalité son canon déterminé.