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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
individualité ethnique. La forme du monument est à peine indiquée.
C’est dire que par avance M. Peynot se condamne à accoler ses quatre
statues à un piédestal quelconque. Dispersez-les dans un vaste espace
comme la place de la Concorde et elles ne perdront rien à se séparer
les unes des autres. Elles sont aussi bien figures isolées que figures
groupées. Comparez à cette association de rencontre l’intime et
active union des femmes placées par Carpeaux sous le globe du monde
dans sa Fontaine du Luxembourg, et vous mesurerez la distance qui
sépare les deux conceptions. L’une constate une division géographique,
l’autre explique comment le monde moderne essaie de réunir toutes
les nations dansune commune fraternité. Et comme il arrive toujours,
là où la pensée a été faible, l’exécution est restée molle et monotone;
là où le cerveau a travaillé sur une idée neuve, la main a trouvé
une expression vigoureuse et originale.
Le monument commandé par la ville de Lyon, A la gloire de la
République, a déjà des formes plus précises, mais on y découvre le
singulier assemblage d’une colonne dominant une proue de navire
qui plonge de l’avant dans une vasque de fontaine, le tout flanqué à
droite et à gauche de deux forts pilastres. C’est de 1’inc.ohérence
architecturale et il est clair que l’artiste a songé surtout à trouver
des supports décoratifs pour ses groupes, sans se préoccuper d’un-lien
logique entre eux. Un autre écueil que M. Peynot n’a pas su éviter,
c’est le danger de sacrifier tout à la façade. Il a cherché à donner
une fière tournure à la Liberté assise à l’avant du navire; le Triton
et la Néréide qui se tendent la main à travers la vasque sont, malgré
le souvenir de nombreuses compositions analogues, traités avec un
sentiment adroit de la décoration. Mais si vous voulez apprécier les
groupes représentant l’Egalité et la Fraternité, ne vous avisez pas
de les regarder en vous plaçant au centre; vous n’y verrez qu’un
fouillis de draperies envolées, formant un maladroit remplissage
d’où émergent d’inattendus objets tels qu’une presse, un coffret, une
console, un plat et une aiguière. La première loi de toute composition
sculpturale n’est-elle pas de veiller à l’agencement des lignes sur
toutes les faces, de façon que l’oeil ne soit jamais choqué en quelque
endroit qu’il se place pour regarder? Et comment justifier cette
erreur, quand c’est le point de vue central, celui-là même que vous
impose l’auteur, qui est fautif?
En présence d’œuvres qui attestent tant de labeurs et d’études
préalables, il est pénible de résumer ses critiques brièvement et
sèchement : je voudrais avoir un article entier à consacrer à
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
individualité ethnique. La forme du monument est à peine indiquée.
C’est dire que par avance M. Peynot se condamne à accoler ses quatre
statues à un piédestal quelconque. Dispersez-les dans un vaste espace
comme la place de la Concorde et elles ne perdront rien à se séparer
les unes des autres. Elles sont aussi bien figures isolées que figures
groupées. Comparez à cette association de rencontre l’intime et
active union des femmes placées par Carpeaux sous le globe du monde
dans sa Fontaine du Luxembourg, et vous mesurerez la distance qui
sépare les deux conceptions. L’une constate une division géographique,
l’autre explique comment le monde moderne essaie de réunir toutes
les nations dansune commune fraternité. Et comme il arrive toujours,
là où la pensée a été faible, l’exécution est restée molle et monotone;
là où le cerveau a travaillé sur une idée neuve, la main a trouvé
une expression vigoureuse et originale.
Le monument commandé par la ville de Lyon, A la gloire de la
République, a déjà des formes plus précises, mais on y découvre le
singulier assemblage d’une colonne dominant une proue de navire
qui plonge de l’avant dans une vasque de fontaine, le tout flanqué à
droite et à gauche de deux forts pilastres. C’est de 1’inc.ohérence
architecturale et il est clair que l’artiste a songé surtout à trouver
des supports décoratifs pour ses groupes, sans se préoccuper d’un-lien
logique entre eux. Un autre écueil que M. Peynot n’a pas su éviter,
c’est le danger de sacrifier tout à la façade. Il a cherché à donner
une fière tournure à la Liberté assise à l’avant du navire; le Triton
et la Néréide qui se tendent la main à travers la vasque sont, malgré
le souvenir de nombreuses compositions analogues, traités avec un
sentiment adroit de la décoration. Mais si vous voulez apprécier les
groupes représentant l’Egalité et la Fraternité, ne vous avisez pas
de les regarder en vous plaçant au centre; vous n’y verrez qu’un
fouillis de draperies envolées, formant un maladroit remplissage
d’où émergent d’inattendus objets tels qu’une presse, un coffret, une
console, un plat et une aiguière. La première loi de toute composition
sculpturale n’est-elle pas de veiller à l’agencement des lignes sur
toutes les faces, de façon que l’oeil ne soit jamais choqué en quelque
endroit qu’il se place pour regarder? Et comment justifier cette
erreur, quand c’est le point de vue central, celui-là même que vous
impose l’auteur, qui est fautif?
En présence d’œuvres qui attestent tant de labeurs et d’études
préalables, il est pénible de résumer ses critiques brièvement et
sèchement : je voudrais avoir un article entier à consacrer à