LES SARCOPHAGES DE SIDON.
189
couleurs, surtout des couleurs dont tout le mérite consiste dans ce
fugitif et inexprimable rapport qui s’appelle l’harmonie. Indiquons
du moins qu’un des éléments principaux de ces vifs et charmants
contrastes réside dans la manière si différente dont est exécutée
d’une part la coloration des draperies et des armes, d’autre part celle
des nus, hommes ou animaux. L’hypothèse souvent avancée que les
parties de chair restaient incolores dans les reliefs polychromes est
peut-être vraie de la statuaire funéraire attique ; elle ne l’est certai-
nement pas du relief alexandrin *, pas plus que de la frise du
Mausolée; il faut aussi renoncer à l’opinion, accréditée par les théori-
ciens, que la sculpture grecque répudiait à reproduire l’iris et la
pupille de l’œil, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus vivant dans la vie.
La vérité c’est qu’au lieu d’exécuter péniblement ces détails en
relief, on trouvait plus simple et plus expressif de les traduire
par le pinceau. Le peintre de notre sarcophage n’y a pas manqué : il
a reproduit non seulement le cercle coloré de l’iris — ordinaire-
ment bleu chez les Perses et brun chez les Grecs — et le cercle
intérieur plus foncé, mais encore le luisant où vient se refléter la
lumière ambiante, et qui communique le feu au regard. Les cils, les
sourcils, les lèvres, les cheveux ne sont pas exécutés avec un soin
moins méticuleux. Quant au reste du corps, le visage y compris,
l’artiste s’est contenté de le revêtir d’une sorte de frottis léger et trans-
parent, de valeur uniforme, jaune clair ou foncé suivant qu’il s’agissait
d’un Grec ou d’un Barbare, sans aucune tentative de rendre par des
nuances multiples l’aspect varié des chairs, avec le réseau azuré des
veines et le sang affluant sous certains points de l’épiderme; ces
glacis sont si différents des teintes plates, opaques et consistantes,
appliquées sur les parties de draperie, le temps en a si bien rongé le
voile fluide qu’au premier aspect on pourrait s’imaginer qu’il n’y
a là que le marbre naturel, doré par les années. Mais un examen
plus attentif révèle des traces indiscutables de la couleur origi-
naire; d’ailleurs les nus des animaux, chevaux, cerfs, lions, pan-
thères, lévriers, sont traités exactement par le même procédé, sauf
la nuance qui varie d’un animal à l’autre et que viennent aviver
çà et là les taches naturelles de la robe et le sang rouge coulant des
fraîches blessures. 1
1. Plusieurs archéologues se sont déjà prononcés dans ce sens (Voyez Treu dans
le Jahrbuch des arch. Instituts, IV, 22, note; Newton, Travels and discoveries in
the Levant, I, 131; E. Robinson, dans le Century de New-York, 1892, p. 809 suiv.).
189
couleurs, surtout des couleurs dont tout le mérite consiste dans ce
fugitif et inexprimable rapport qui s’appelle l’harmonie. Indiquons
du moins qu’un des éléments principaux de ces vifs et charmants
contrastes réside dans la manière si différente dont est exécutée
d’une part la coloration des draperies et des armes, d’autre part celle
des nus, hommes ou animaux. L’hypothèse souvent avancée que les
parties de chair restaient incolores dans les reliefs polychromes est
peut-être vraie de la statuaire funéraire attique ; elle ne l’est certai-
nement pas du relief alexandrin *, pas plus que de la frise du
Mausolée; il faut aussi renoncer à l’opinion, accréditée par les théori-
ciens, que la sculpture grecque répudiait à reproduire l’iris et la
pupille de l’œil, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus vivant dans la vie.
La vérité c’est qu’au lieu d’exécuter péniblement ces détails en
relief, on trouvait plus simple et plus expressif de les traduire
par le pinceau. Le peintre de notre sarcophage n’y a pas manqué : il
a reproduit non seulement le cercle coloré de l’iris — ordinaire-
ment bleu chez les Perses et brun chez les Grecs — et le cercle
intérieur plus foncé, mais encore le luisant où vient se refléter la
lumière ambiante, et qui communique le feu au regard. Les cils, les
sourcils, les lèvres, les cheveux ne sont pas exécutés avec un soin
moins méticuleux. Quant au reste du corps, le visage y compris,
l’artiste s’est contenté de le revêtir d’une sorte de frottis léger et trans-
parent, de valeur uniforme, jaune clair ou foncé suivant qu’il s’agissait
d’un Grec ou d’un Barbare, sans aucune tentative de rendre par des
nuances multiples l’aspect varié des chairs, avec le réseau azuré des
veines et le sang affluant sous certains points de l’épiderme; ces
glacis sont si différents des teintes plates, opaques et consistantes,
appliquées sur les parties de draperie, le temps en a si bien rongé le
voile fluide qu’au premier aspect on pourrait s’imaginer qu’il n’y
a là que le marbre naturel, doré par les années. Mais un examen
plus attentif révèle des traces indiscutables de la couleur origi-
naire; d’ailleurs les nus des animaux, chevaux, cerfs, lions, pan-
thères, lévriers, sont traités exactement par le même procédé, sauf
la nuance qui varie d’un animal à l’autre et que viennent aviver
çà et là les taches naturelles de la robe et le sang rouge coulant des
fraîches blessures. 1
1. Plusieurs archéologues se sont déjà prononcés dans ce sens (Voyez Treu dans
le Jahrbuch des arch. Instituts, IV, 22, note; Newton, Travels and discoveries in
the Levant, I, 131; E. Robinson, dans le Century de New-York, 1892, p. 809 suiv.).