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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
aériennes de son professeur. Ses œuvres en Russie ont été publiées
dans un album intitulé : « Collection de 24 portraits de la famille
impériale peints parti. Benner qui a obtenu de S. M. l’Empereur la
permission de faire graver ces portraits1. » Il y a là dedans deux
parties : une rétrospective, où Benner montre le czar Pierre le
Grand, Catherine, Paul Ier, etc., une contemporaine, prise sur
nature, où l’artiste a réuni toute la famille régnante en 1815,
Alexandre, grands-ducs et grandes-duchesses dans leurs costumes
ordinaires. Or, Isabey eût peint lui-même les grandes-duchesses que
nous ne les verrions pas différentes; ce sont ses poses, ses façons de
dire les étoffes, d’enrouler des voiles légers ou des plumes à l’entour
des visages. Aussi bien ces princesses'étaient-elles tributaires de nos
modes et de nos usages; j’ai eu occasion de signaler ailleurs le nom
de leur tailleur parisien. C’étaient presque des Françaises que Benner
avait trouvées là-bas; à les voir dans ses dessins on s’y laisserait
prendre.
Au point de vue de la réputation d’une école et de la célébrité
d’un atelier, Singry et Aubry auront davantage travaillé à la gloire
de leur maître. Chacun d’eux prendra à Isabey une bonne chose :
Singry la ressemblance flattée des modèles, la coquetterie des ajus-
tements; Aubry, la distinction et cette habileté de fini remarquée
surtout dans l’Escalier du Musée ou les cérémonies du Sacre'2. Entre
eux, ces deux artistes n’ont que de lointains points de contact;
Singry est clair, papillotant, il s’attache aux gens de théâtre affublés
de défroques, comme ce Michot, comédien ordinaire du roi, une de ses
plus délirantes trouvailles, ou Mme Catalani couronnée de roses et
que le graveur Dien rendra plus tard sous le nom de l’impératrice
Joséphine. Par contre, Aubry recherche le sombre, les tableaux de
genre, sous prétexte de portraits; ses modèles sont des personnes
nées, dont l’anonymat protège la modestie. Mais il n’est point si
mal avec les princes; on a gardé de lui une reine Caroline de
Westphalie, une Joséphine autrefois à San-Donato, un Charles X;
le Louvre possède de lui un portrait d’homme ordinaire, mais aussi
la plus capiteuse femme blonde qui soit, sanglée dans un fourreau de
velours noir et appuyée d’un bras sur une harpe d’or. Pour cette
1. Cet album se vendait à Moscou chez Rosenstranch « Au Magasin cosmé-
tique ».
2. Jean-Baptiste Singry, né à Nantes en 1780, mort en 1824. 11 débute au Salon
de 1806 par son portrait. — L.-F. Aubry, né en 1767, mort en 1831, avait exacte-
ment l’àge d’Jsabey. Il exposa en 1798, en 1804, et jusqu’en 1833.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
aériennes de son professeur. Ses œuvres en Russie ont été publiées
dans un album intitulé : « Collection de 24 portraits de la famille
impériale peints parti. Benner qui a obtenu de S. M. l’Empereur la
permission de faire graver ces portraits1. » Il y a là dedans deux
parties : une rétrospective, où Benner montre le czar Pierre le
Grand, Catherine, Paul Ier, etc., une contemporaine, prise sur
nature, où l’artiste a réuni toute la famille régnante en 1815,
Alexandre, grands-ducs et grandes-duchesses dans leurs costumes
ordinaires. Or, Isabey eût peint lui-même les grandes-duchesses que
nous ne les verrions pas différentes; ce sont ses poses, ses façons de
dire les étoffes, d’enrouler des voiles légers ou des plumes à l’entour
des visages. Aussi bien ces princesses'étaient-elles tributaires de nos
modes et de nos usages; j’ai eu occasion de signaler ailleurs le nom
de leur tailleur parisien. C’étaient presque des Françaises que Benner
avait trouvées là-bas; à les voir dans ses dessins on s’y laisserait
prendre.
Au point de vue de la réputation d’une école et de la célébrité
d’un atelier, Singry et Aubry auront davantage travaillé à la gloire
de leur maître. Chacun d’eux prendra à Isabey une bonne chose :
Singry la ressemblance flattée des modèles, la coquetterie des ajus-
tements; Aubry, la distinction et cette habileté de fini remarquée
surtout dans l’Escalier du Musée ou les cérémonies du Sacre'2. Entre
eux, ces deux artistes n’ont que de lointains points de contact;
Singry est clair, papillotant, il s’attache aux gens de théâtre affublés
de défroques, comme ce Michot, comédien ordinaire du roi, une de ses
plus délirantes trouvailles, ou Mme Catalani couronnée de roses et
que le graveur Dien rendra plus tard sous le nom de l’impératrice
Joséphine. Par contre, Aubry recherche le sombre, les tableaux de
genre, sous prétexte de portraits; ses modèles sont des personnes
nées, dont l’anonymat protège la modestie. Mais il n’est point si
mal avec les princes; on a gardé de lui une reine Caroline de
Westphalie, une Joséphine autrefois à San-Donato, un Charles X;
le Louvre possède de lui un portrait d’homme ordinaire, mais aussi
la plus capiteuse femme blonde qui soit, sanglée dans un fourreau de
velours noir et appuyée d’un bras sur une harpe d’or. Pour cette
1. Cet album se vendait à Moscou chez Rosenstranch « Au Magasin cosmé-
tique ».
2. Jean-Baptiste Singry, né à Nantes en 1780, mort en 1824. 11 débute au Salon
de 1806 par son portrait. — L.-F. Aubry, né en 1767, mort en 1831, avait exacte-
ment l’àge d’Jsabey. Il exposa en 1798, en 1804, et jusqu’en 1833.