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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
public. Je les y ai trouvés, non sans peiné, exposés à des hauteurs
vertigineuses, où l’œil les distingue mal. Le Collin de Vermont est
debout, près de son chevalet qui porte une toile ébauchée ; il est vêtu
d’un riche costume orné d’un jabot de dentelles et de manchettes où
Roslin se montre déjà « l’inimitable brodeur » que, quelques années
plus tard, on célébrera ironiquement. Le portrait de Jeaurat vaut
mieux. Assis dans un fauteuil, tenant d’une main sa palette, de l’autre
un pinceau, il est vêtu d’un habit de velours d'un ton savoureux,
que fait habilement valoir une veste de drap d’or, et tourne vers le
spectateur un visage épanoui. C’est une excellente ligure, largement
et solidement peinte, d’une couleur brillante sans fracas. M. de
Chennevières n’hésite pas à traiter ce portrait de chef-d’œuvre ;
peut-être est-ce aller un peu loin et ne faut-il pas, pour cela, trop
comparer l’œuvre de Roslin au portrait du même Jeaurat par Greuze.
Le premier a l'aimable et brillante banalité d’un portrait officiel ;
l’autre a le charme pénétrant d’une œuvre intime et longuement
méditée.
Non loin de ces portraits et plus accessible au regard se trouve
celui de Randré-Bardon, que Roslin exposa au Salon de 1757. C’est,
à mon avis, le meilleur des trois. Encore que l’éclat de cette peinture
se soit quelque peu terni et qu’une sorte de moisissure, qui soulève
la pâte par endroits, ait déformé le bas du visage de l’artiste, il reste
plein de vie, d’exubérance, de malice goguenarde. Vêtu d'un habit
de soie changeante, la main gauche appuyée sur son portefeuille, il
se présente de face, l’œil noiret vif, la bouche sarcastique, et semble
bien tel que nous nous le figurons : un souple et malin Provençal,
un peu peintre, un peu poète, un peu musicien aussi, et que son
savoir-faire pins que son savoir a sans doute poussé à l’Académie.
Le Louvre possède encore quelques œuvres de Roslin. Je ne
mentionnerai que pour mémoire une assez pauvre figure de femme
qui fait partie de la collection Lacaze, mais je recommanderai les
portraits de Vien et de sa femme, un ménage d’académiciens,
comme le sera plus tard le ménage Roslin. On peut avoir confiance
dans la sincérité de ces portraits, dont les modèles purent être lon-
guement contemplés par l’artiste suédois, au cours d’une étroite
amitié qui dura autant que sa vie.
A ce même Salon de 1755 figure un des premiers en date des
nombreux portraits de l’artiste par lui-même. On peut voir, par les
livrets, qu’il s’est souvent pris lui-même pour modèle; je connais,
pour ma part, cinq de ces portraits. Celui de 1755 a été gravé par
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
public. Je les y ai trouvés, non sans peiné, exposés à des hauteurs
vertigineuses, où l’œil les distingue mal. Le Collin de Vermont est
debout, près de son chevalet qui porte une toile ébauchée ; il est vêtu
d’un riche costume orné d’un jabot de dentelles et de manchettes où
Roslin se montre déjà « l’inimitable brodeur » que, quelques années
plus tard, on célébrera ironiquement. Le portrait de Jeaurat vaut
mieux. Assis dans un fauteuil, tenant d’une main sa palette, de l’autre
un pinceau, il est vêtu d’un habit de velours d'un ton savoureux,
que fait habilement valoir une veste de drap d’or, et tourne vers le
spectateur un visage épanoui. C’est une excellente ligure, largement
et solidement peinte, d’une couleur brillante sans fracas. M. de
Chennevières n’hésite pas à traiter ce portrait de chef-d’œuvre ;
peut-être est-ce aller un peu loin et ne faut-il pas, pour cela, trop
comparer l’œuvre de Roslin au portrait du même Jeaurat par Greuze.
Le premier a l'aimable et brillante banalité d’un portrait officiel ;
l’autre a le charme pénétrant d’une œuvre intime et longuement
méditée.
Non loin de ces portraits et plus accessible au regard se trouve
celui de Randré-Bardon, que Roslin exposa au Salon de 1757. C’est,
à mon avis, le meilleur des trois. Encore que l’éclat de cette peinture
se soit quelque peu terni et qu’une sorte de moisissure, qui soulève
la pâte par endroits, ait déformé le bas du visage de l’artiste, il reste
plein de vie, d’exubérance, de malice goguenarde. Vêtu d'un habit
de soie changeante, la main gauche appuyée sur son portefeuille, il
se présente de face, l’œil noiret vif, la bouche sarcastique, et semble
bien tel que nous nous le figurons : un souple et malin Provençal,
un peu peintre, un peu poète, un peu musicien aussi, et que son
savoir-faire pins que son savoir a sans doute poussé à l’Académie.
Le Louvre possède encore quelques œuvres de Roslin. Je ne
mentionnerai que pour mémoire une assez pauvre figure de femme
qui fait partie de la collection Lacaze, mais je recommanderai les
portraits de Vien et de sa femme, un ménage d’académiciens,
comme le sera plus tard le ménage Roslin. On peut avoir confiance
dans la sincérité de ces portraits, dont les modèles purent être lon-
guement contemplés par l’artiste suédois, au cours d’une étroite
amitié qui dura autant que sa vie.
A ce même Salon de 1755 figure un des premiers en date des
nombreux portraits de l’artiste par lui-même. On peut voir, par les
livrets, qu’il s’est souvent pris lui-même pour modèle; je connais,
pour ma part, cinq de ces portraits. Celui de 1755 a été gravé par